L'auteur provençal Jean Giono
est adapté à plusieurs reprises dans les années 30 par Marcel Pagnol (Regain, La Femme du Boulanger, Jofroy ou
encore Angèle). En 1960, le romancier
passe lui-même à la mise en scène en réalisant Crésus avec Fernandel. Avec la société de production "Les
Films Jean Giono", il se lance dans le projet d'une adaptation de son
propre son roman Un Roi sans
Divertissement, écrit en 1947, et dont il confie la réalisation à François
Leterrier, auteur d'une adaptation des Mauvais
Coups de Roger Vailland en 1960.
Giono revu par Giono. En adaptant son propre texte, Giono se livre
à l'exercice de faire du neuf avec de l'ancien. Il remodèle alors complètement
le récit de son roman: il rajeunit les personnages (dont celui de Langlois, donnant
ainsi une dimension de récit d'apprentissage), en supprime quelque uns ou les
condense. L'ordre de succession des différentes séquences est modifié et Giono
se concentre sur la première partie de son roman, le pastiche d'intrigue
policière focalisée sur la poursuite d'un assassin dans un petit village
enneigé du Sud. Les tours de force stylistiques du roman (multiplication des
narrateurs avec un jeu sur les champs lexicaux, un art de la digression)
disparaissent donc dans le film au profit d'une attention envers le sujet
véritable de l'œuvre: l'ennui qui mine les hommes et la tentation du crime,
divertissement suprême, pour y contrevenir. En ce sens, les dialogues du texte
sont bien plus explicites que dans le roman et le personnage du procureur,
interprété par Charles Vanel, qui ne cesse de commenter l'action, peut être vu
comme un double de Giono, exégète de sa propre œuvre.
Du sang sur la neige. Si des spécificités du roman disparaissent
lors de l'adaptation, celle-ci frappe par ailleurs par sa puissance visuelle.
Le roman de Giono, obsédé par l'image du sang sur la neige, était déjà
proprement visuel. Les images du film de Leterrier, "film en couleurs sans
couleurs" (à l'exception du sang donc) pour reprendre les mots de ses
auteurs, impressionnent. Les décors naturels et les villages de l'Aubrac (dans
le massif central) fascinent: le plan inaugural où une tache noire (le cavalier
Langlois) se détache péniblement du blanc de la neige évoque le western (des
films postérieurs comme Le Grand Silence
ou Pale Rider). Les descriptions
purement psychologiques des personnages par Giono sont traduites à l'écran par
des images nouvelles: la fascination de Langlois pour un lustre de verre comme
révélateur de sa fascination pour un mal froid, tranchant mais grandiose; la
reprise du lacet du tueur par Langlois pour suggérer sa déviance vers le
crime... L'image et la musique (splendide complainte de Jacques Brel qui explicite
le récit), les comédiens et les décors: tous les outils du cinéma sont
pleinement au service de l'adaptation de l'un des grands romans de la
littérature française du XXème siècle.
24.12.13.