jeudi 23 juin 2011

Pourquoi tu pleures ? (2011) de Katia Lewkowicz


         On a souvent peur quand un chanteur délaisse un temps la musique pour le cinéma. Cette transformation fréquente nous fait doublement douter : chanter et jouer sont deux métiers différents et on craint un mélange à l’écran du personnage fictif avec le personnage réel.
         Après le succès de son album La Superbe, victoire de la musique 2010, Benjamin Biolay tient le rôle principal de Pourquoi tu pleures ?, première réalisation de l’actrice Katia Lewbowicz. Le chanteur s’était déjà essayé au cinéma, tenant ici et là quelques seconds rôles comme dans Stella de Sylvie Verheide.

         Pourquoi tu Pleures ? est une tragi-comédie centrée sur les jours précédents le futur mariage d’Arnaud, trentenaire bougon qui ne supporte pas la solitude. Le sujet, simple et concret, suit subtilement les errances et les hésitations du futur marié, exaspéré par les bons sentiments de ses amis et de sa famille qui souhaitent à tout prix son bonheur. Au lieu de se réjouir de son mariage, Arnaud en devient malade et sombre dans le doute. Il a l’impression d’être obligé de poursuivre une voie tracée par son entourage et non pas de suivre sa volonté.
         Entouré par de bons comédiens (dont Nicole Garcia en mère étouffante, Emmanuelle Devos en sœur autoritaire et Valérie Donzelli en amoureuse gracieuse et malicieuse), Biolay s’avère convaincant dans le rôle d’Arnaud, éternel indécis, toujours stressé et agacé (putain ! putain ! putain !). Nous présentant des personnages aussi communs par leurs préoccupations, Pourquoi tu pleures ? ressemble aux films de Christophe Honoré. Car voilà un film qui, comme les Chansons d’amour ou Non ma Fille…, nous parle beaucoup : un Paris sous un ciel gris, des familles décomposées, des enfants dans un parc le mercredi après midi, des téléphones portables qui sonnent trop ou alors qui ne répondent pas.

         Certes, Pourquoi tu pleures ? souffre de quelques conventions narratives (évidemment, Arnaud rencontre une nouvelle femme la veille du mariage !). Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un film touchant par son humanité.

lundi 20 juin 2011

The Locket / Le Médaillon (1946) de John Brahm



         John Brahm est un cinéaste de l’âge classique méconnu. Ce metteur en scène de théâtre allemand émigre aux USA en 1937. Dans sa chaotique filmographie hollywoodienne, on décèle bon nombre de remakes[1]. Quelques films ont acquis une certaine réputation : The Lodger (1944) et Hangover Square (1945), deux films situés dans le Londres brumeux du XIXème siècle ; The Brasher Doubloon (1947), une adaptation de Chandler avec George Montgomery dans le rôle de Philip Marlowe. Plus tard, il réalisera des d’épisodes de la Twilight Zone.
         Le Médaillon est l’un de ses films les plus célèbres de Brahm. Cette production RKO s’inscrit dans une série de drames conjugaux aux confluents du film noir et qui comprend notamment La Proie du Mort (1941) de Woody S. Wan Dyke II, Péché mortel (1945) de John Stahl, Lame de Fond (1946) de Vincente Minnelli ainsi que certains des premiers films américains d’Hitchcock comme Rebecca (1940) et Soupçons (1941). Dans ces films, le doute sur le conjoint, sur son identité ou sa culpabilité, se trouve au cœur de l’intrigue. Le film est assez conventionnel mais n’exclue pas pour autant quelques audaces.

         Le début insolite fait songer à une nouvelle. Le Médaillon s’ouvre en effet par une réception mondaine en préparation d’un mariage. Le futur époux y reçoit la visite d’un psychiatre qui lui révèle que sa fiancée Nancy a été sa femme auparavant et qu’elle souffre d’importants troubles psychiques. Commence alors un flash back dans lequel le médecin narre la venue similaire après son mariage d’un inconnu qui accuse Nancy de kleptomanie et de meurtre. Trois flashes backs se retrouvent ainsi imbriqués dans ce film à la construction complexe typique du film noir.
         Pourtant, le film n’est pas marqué par des cadrages et des éclairages particulièrement expressionnistes. Il n’y aura pas non plus de véritable criminel dans cette histoire : le portrait de Nancy s’éloigne de la femme fatale et s’avère moins une vamp perverse qu’une manipulatrice maladive.
         Néanmoins, comme bien d’autres films noirs et notamment le contemporain La Maison de docteur Edwardes, Le Médaillon exploite l’engouement d’alors pour la psychanalyse. Le freudisme y est réduit à une grossière caricature : l’héroïne est meurtrie par un traumatisme enfantin qu’une boîte de musique vient mécaniquement réveiller. Dans son traitement de la psychanalyse, le film n’est pas sans ironie, dépeignant un psychiatre parfois peu attentif aux déclarations de ses propres patients. Quant à Nancy, elle parvient à influencer son mari de telle sorte qu’elle le persuade d’examiner son ancien amant !
         Un autre trait qui fait du Médaillon un film noir est la présence d’une peinture de Norman sur le thème de la folie et dont le modèle n’est autre que Nancy. Cette représentation de l’être aimé contribue, comme dans Laura d’Otto Preminger, a renforcé la fascination qu’exerce la jeune femme sur les personnages et les spectateurs. Cette intrusion de l’art dans Le Médaillon fait apparaître une dimension sociale puisque Brahm oppose les riches faussement amateurs (leurs femmes, elles, sont couvertes de colliers) et les domestiques, tenus à l’écart de ce monde.
         La présence de bourgeois imperturbables, en contrepoint d’un meurtre, fait tout le sel de l’haletante séquence. Parmi les autres éléments insolites du film, relevons le suicide par défenestration tout à fait inattendu de Norman, campé par Robert Mitchum ainsi qu’un final buñuelien où l’héroïne, se croyant démasquée, devient hystérique. Le film, sombre, n’offrira pas de résolution par la psychanalyse. Il ne tranchera pas non plus vraiment sur la culpabilité de la jeune femme et laissera planer le doute chez le spectateur.

         Le Médaillon, malgré la lourdeur de l’approche psychanalytique, est donc un film noir mineur mais que ses quelques originalités rendent très sympathique. Il nous donne envie de découvrir un peu mieux l’obscur John Brahm.



[1] Son premier film, Broken Blossoms (1936), est un remake du Lys Brisé de Griffith ; Penitentiary/Prison centrale (1938) est un remake du Code criminel d’Howard Hawks ; The Lodger/ Jack l’éventreur (1944) est un remake du film homonyme d’Hitchcock.


dimanche 12 juin 2011

Elvira Madigan (1967) de Bo Widerberg



         Bo Widerberg, grand nom du cinéma suédois, reste pourtant assez peu connu et son œuvre, peu diffusée, du fait de l’aura étouffante d’Ingmar Bergman. L’oubli relatif de Widerberg, cinéaste majeur de la nouvelle vague suédoise, était peut-être le prix à payer pour cet homme réputé exigeant (il a abandonné à plusieurs reprises le tournage de ses films) et audacieux. Il a osé critiquer, entre autres, l’auteur du Septième Sceau dans un pamphlet de 1962 intitulé « regards sur le cinéma suédois ». Le cinéphile français ne pourra s’empêcher de vouloir déceler dans ce texte un équivalent nordique de l’article « une certaine tendance du cinéma français » de François Truffaut. Cinquième film de Widerberg, Elvira Madigan, présenté à Cannes en 1967, a permis la consécration internationale de son réalisateur.

         Le film est tiré d’une histoire populaire suédoise, fondée sur des faits réels de la fin du XIXème siècle. La funambule Elvira Madigan quitte son cirque pour le comte Sixten Sparre, lieutenant de la cavalerie suédoise, qui, lui, délaisse non seulement sa patrie mais également sa femme et ses deux enfants. Trouvant refuge dans la forêt danoise, le couple fugitif vit des moments de bonheur véritable mais éphémère. Voués à vivre dans des conditions précaires (ils sont réduits à manger des fruits sauvages, le couple finit par se suicider.
          Elvira Madigan est le portrait d’un amour à la fois fou (le couple sacrifie tout à ses sentiments) et innocent (aucun ébat sexuel n’est montré ; le couple faisant des tourné boulés et chassant les papillons nous parait bien puéril). Sont alors mis au service de cette paisible représentation, une photographie qui magnifie la lumière (le film est entièrement tourné en décors naturels et s’inspire des toiles de Monet ou de Renoir) ainsi qu’une musique inoubliable (le concerto pour piano n°21 de Mozart, désormais associé au film par son appellation de concerto d’Elvira). Certains peuvent, à juste titre, dénoncer une émotion facile (de belles images + un air de classique mélancolique = larmes du spectateur). Mais, cette esthétisation à des fins lyriques est à l’unisson de la beauté de la pureté de l’union des deux jeunes personnages.
         Film d’époque (l’action se situe en 1889), Elvira Madigan peut néanmoins être vu comme un témoignage élégiaque de l’esprit libertaire et contestataire de la jeunesse des années 60. Ces deux jeunes qui retournent à un mode de vie simple dans la nature (et qui font l’apologie de l’ « herbe » ?) semblent être des cousins suédois du couple de Zabriskie Point et surtout des amants fugitifs de la Ballade Sauvage. La mise en scène d’Elvira Madigan , par la justesse de ses détails, la peinture de la magnificence de la nature et de la grâce des personnages, préfigure aussi le cinéma Terrence Malick. Plus qu’à un film de la nouvelle vague française, Elvira Madigan ressemble en fait à un film du Nouvel Hollywood : si Widerberg est amoureux de ses personnages et de leur cause, il est toujours conscient que leur échec est inévitable et que leur fin sera tragique. Mais, fasciné par ces perdants magnifiques, Widerberg se refuse à détruire la légende et préfère la magnifier : au lieu de nous montrer le suicide du couple, il se contentera d’un arrêt sur image mystificateur comme le fera un peu plus tard George Roy Hill à la fin de Butch Cassidy et le Kid.
         Elvira Madigan connaitra un succès mondial fulgurant. L’air de Mozart contribua à la célébrité du film et l’actrice, non professionnelle, Pia Degermark gagna un prix d’interprétation féminine à Cannes[1]. Fort de son triomphe, Widerberg continua son chemin avec Adalen 31 (1969) sur les grèves en Suède dans les années 30 et surtout Joe Hill (1971), tourné aux Etats-Unis, sur le leader syndicaliste américain d’origine suédoise dans les années 10.


[1] Le destin de cette actrice est tragique. Après Elvira Madigan, Pia Degermark tourna deux autres films : The Looking Glass War (1969), film d’espionnage d’après John Le Carré avec Anthony Hopkins et The Vampire Happening (1971), film d’horreur de Freddie Francis. Pia Degermark, alors âgé de 16 ans à l’époque d’Elvira Madigan, n’a pas supporté la gloire instantanée due à son prix d’interprétation. Souffrant d’anorexie, elle assista à des groupes de thérapie collective aux Etats Unis dans les années 80. Dans les années 90, elle fait de la prison pour fraude. De nos jours, elle se bat pour essayer de récupérer la garde de ses enfants.