lundi 22 décembre 2008

Sleuth / Sleuth – Le Limier (2007) de Kenneth Branagh


        Après l’échec de sa Flûte enchantée (2006), d’après l’opéra de Mozart, Kenneth Branagh, loin d’être découragé, est revenu à son premier amour qu’est le théâtre. Ainsi, il a décidé de faire une nouvelle version cinématographique du Limier (1970), pièce de théâtre à succès d’Anthony Schaffer.
        Joseph Mankiewicz en avait déjà tiré une adaptation en 1972 : le rôle du riche romancier Andrew Wyke était tenu par l’acteur Laurence Olivier alors que Michael Caine jouait celui de Milo Tindle, l’amant de la femme de l’écrivain. Trente cinq ans après, Branagh inverse les rôles et c’est Caine qui incarne cette fois-ci l’aristocrate aisé. Se référant à la version de Mankiewicz, Branagh signe pourtant un film différent, actualisé, plus violent et pervers.


        Schaffer, qui adaptait lui-même sa propre pièce dans la version de 1972, est remplacé par le dramaturge de renommée Harold Pinter, récemment décédé. Ce dernier ne va pas beaucoup changer l’histoire. Il s’agit toujours de la vengeance du mari sur l’amant, lequel, par une machination diabolique, parvient à renverser la tendance. Il est donc question d’une lutte à mort à la Hegel où l’un cherche à dominer l’autre à tout prix. Le jeu du chat et de la souris étant le même, qu’est-ce qui a donc vraiment changé d’une version à l’autre ?
        Tout d’abord, Branagh renouvelle le sens de la pièce en modifiant quelque peu les enjeux de l’interminable duel. En effet, Branagh, à défaut d’insister sur le caractère social de l’opposition entre les deux hommes (l’aristocrate contre le parvenu), approfondit son caractère sexuel en rajoutant une histoire d’homosexualité.
        Dans le film de Mankiewicz, Wyke était joué par Laurence Olivier, acteur notoirement gay, mais l’homosexualité envisageable entre les deux hommes n’était pas développée, même si elle était latente. En revanche, l’homosexualité était véritablement appréhendée dans Piège mortel (1982) de Sidney Lumet. Ce film, également adapté d’une pièce de théâtre, entretient des liens directs avec Le Limier : l’intrigue est pratiquement la même (le romancier devient dramaturge) et on y trouve encore la présence de Michael Caine.
        Branagh aborde donc lui directement le sujet de l’homosexualité. Dans son film, Wyke propose en effet à Tindle d’arrêter leur duel : après s’être séparé de sa femme, Tindle pourrait devenir son secrétaire à plein temps… Tindle feint tout d’abord d’accepter avant de violement repousser les avances de Wyke.

        Le caractère pervers du conflit est également souligné par la mise en scène de Branagh. Ce dernier privilégie en effet de nombreux plans de reflets dans des miroirs ou de caméras de surveillance qui apportent un côté voyeur et plus vicieux. Branagh a en fait remplacé la demeure baroque et labyrinthique du film de Mankiewicz par une maison « high-tech » : murs mobiles, écrans omniprésents, système de surveillance, ascenseur, lumières changeantes… Celui qui s’approprie la télécommande devient alors le maître de la manipulation.
        Avec cette maison hypermoderne, Branagh opère une véritable stylisation visuelle et assume donc bien plus que Mankiewicz l’origine théâtrale de son film. Le réalisateur trouve son bonheur dans Le Limier : grand admirateur de Shakespeare, qu’il a de nombreuses fois adapté, il peut voir dans Wyke une figure moderne du roi maure Othello dont la jalousie mène au meurtre.
        Face au septuagénaire Michael Caine en Wyke, on trouve Jude Law, brillant acteur de la nouvelle génération. Les liens de filiation entre Caine et Law apparaissent une fois de plus vraiment évidents, après que Law ait repris le rôle du dragueur Alfie, tenu par Caine en 1966, dans le remake Irrésistible Alfie (2004) de Charles Shyer. Jude Law, très investi dans la réalisation du film, est allé jusqu’à le produire[1].


        Plus épurée (elle dure quarante minutes de moins), la version du Limier de Kenneth Branagh est bien supérieure à celle de Mankiewicz. Le moment où Tindle se déguise en policier pour effrayer Wyke paraît moins ridicule et Branagh montre qu’il est capable de ne pas faire sombrer son film dans la théâtralité.
        Malgré la virtuosité de la mise en scène et le talent des deux comédiens, Sleuth, excellent exemple du bon remake qu’il fallait faire, n’a pas eu le succès qu’il méritait. Sorti uniquement dans des salles d’art et d’essais aux Etats-Unis, il n’a connu qu’une distribution très limitée en France (trois cinémas à Paris lors de sa sortie). Il n’y a pourtant aucune raison de le cacher…

22.12.08.
[1] Jude Law avait également produit Capitaine Sky et le Monde de Demain (2004) de Kerry Conrad, dans lequel il jouait le rôle principal.

dimanche 21 décembre 2008

Le Rouge et le Noir (1954) de Claude Autant-Lara


        En 1948, Gérard Philipe incarnait à l’écran le marquis Fabrice Del Longo de La Chartreuse de Parme de Stendhal dans la version cinématographique de Christian-Jaque. En 1955, il allait de nouveau endosser le costume d’un autre héros jeune et tourmenté de l’auteur grenoblois en jouant Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara. Cette version du roman de Stendhal, la plus célèbre au cinéma, est un film typique de la Qualité française qui vaut surtout pour la prestation de ses comédiens.


        Après qu’Henri Decoin se soit déjà attaqué à Stendhal en 1953 en réalisant Les Amants de Tolède, d’après la nouvelle Le Coffre et le Revenant, Claude Autant-Lara fait appel au fameux duo de scénaristes Pierre Bost et Jean Aurenche pour adapter Le Rouge et le Noir. Cependant, s’ils livrent une adaptation très sage et fidèle, les deux hommes tentent de tirer profit de l’image cinématographique et renforcent le propos de l’œuvre de Stendhal en opposant de façon évidente le rouge de l’uniforme militaire et le noir de la soutane. Il s’agit donc du conflit permanent entre ce que à quoi l’on aspire à être et ce que l’on est vraiment, un conflit entre rêves et réalité.
        Les scénaristes ont su aussi mettre l’accent sur la satire sociale et retranscrire grâce à d’habiles dialogues le regard critique de Stendhal sur la riche bourgeoisie à l’époque de Charles X. Avec les monologues transformés en voix off, ils parviennent de même à bien saisir l’ambiguïté du personnage de Sorel : est-ce un horrible parvenu planificateur ou un jeune idéaliste insouciant et dépassé par les évènements ?

        En plus de l’adaptation léchée d’un grand classique de la littérature française, on retrouve d’autres caractéristiques de la Qualité française : le tournage en studios, la reconstitution soignée (ici, la France de 1830), les nombreux costumes et les décors somptueux magnifiés par l’Eastmancolor.

        On trouve ainsi un casting de prestige pour cette grosse production : le film dure 3h et est sorti en deux « époques », respectant les deux grandes parties du roman. Gérard Philipe, bien trop vieux pour le rôle de Julien Sorel, se rattrape grâce à son regard tantôt angélique, tantôt machiavélique. Quant à Danièle Darrieux, elle campe une Madame de Rénal assez convaincante. Enfin, Mathilde de la Môle est jouée par Antonella Lualdi, actrice italienne dont la présence est justifiée par la nationalité des fonds de la coproduction.
        En fait, Autant-Lara connaît déjà bien l’équipe avec laquelle il tourne : Gérard Philipe jouait dans Le Diable au Corps (1947) et Danièle Darrieux dans Occupe-toi d’Amélie (1949) et Le Bon Dieu sans Confession (1953). Le directeur de la photographie Michel Kelber a déjà collaboré trois fois avec Autant-Lara et le musicien René Cloërec a travaillé également à huit reprises avec le metteur en scène.


        Coloré et bien interprété, Le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara est une honorable adaptation du roman de Stendhal. Certains moments sont très bons (la marche finale de Julien vers l’échafaud notamment) et la réalisation d’Autant-Lara est efficace (bien qu’un peu « môle » !).
        Plus tard, d’autres réalisateurs s’attaqueront au roman de Stendhal. En 1993, la BBC a produit trois téléfilms réalisés par Ben Bolt avec Ewan McGregor (Julien Sorel) et Rachel Weisz (Mathilde de la Môle). En 1997, la télévision française a produit deux téléfilms réalisés par Jean-Daniel Verhaeghe avec Kim Rossi Stuart (Julien Sorel), Carole Bouquet (Madame de Rénal) et Judith Godrèche (Mathilde de la Môle).

21.12 .08.

Notre-Dame de Paris (1956) de Jean Delannoy


        Après le succès de Marie-Antoinette en 1955 avec Michèle Morgan, Jean Delannoy se lance de nouveau dans une grande production de film à costume en adaptant Notre-Dame de Paris, le roman de Victor Hugo. Première version en couleurs et en cinémascope, le Notre-Dame de Paris de Delannoy est un film caractéristique de la Qualité française en ce sens que c’est un film extrêmement soigné et travaillé.


        Le Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy est tellement représentatif des grandes superproductions françaises de l’époque qu’il était alors apparu à ses détracteurs comme la quintessence de la Qualité française. En effet, il fut plus particulièrement sujet à une critique de la part du jeune François Truffaut dont ce film était la bête noire.
        Tout d’abord, comme de nombreux films de la Qualité française, Notre-Dame de Paris est l’adaptation d’un grand classique de la littérature française. Après que d’autres aient revu Zola, Stendhal, Maupassant ou Dumas, Delannoy s’attaque donc au roman grandiloquent de Victor Hugo. Comme souvent, la tâche de l’adaptation est confiée à de talentueux scénaristes : il s’agit en l’occurrence de Jean Aurenche (sans Pierre Bost) et de Jacques Prévert (pour les dialogues). Ces derniers ne changent pas vraiment le sens de l’œuvre originale même s’ils livrent un portrait de Quasimodo sûrement plus humain que dans d’autres versions.

        Ensuite, il s’agit d’une grosse coproduction internationale franco-italienne, produite par les frères Hakim. A côté des stars étrangères Gina Lollobrigida (Esmeralda) et Anthony Quinn[1] (Quasimodo), on trouve de nombreux grands acteurs français de l’époque, des seconds rôles connus et quelques « guest-stars »: Alain Cuny (Frollo), le chanteur Philippe Clay, Boris Vian, Jacques Dufilho, Albert Rémy…


        Le film est évidemment intégralement tourné en studios (ceux de Boulogne). La reconstitution du parvis de Notre Dame est à ce titre très convaincante. En fait, tout est fait pour impressionner : les couleurs, les décors somptueux, les nombreux costumes, les milliers de figurants. Il faut dire que Jean Delannoy, spécialisé dans les films exotiques [Tamara la complaisante (1937), La Vénus de l’Or (1937), Le Paradis de Satan (1938), Macao, l’enfer du jeu (1938)] et les films de reconstitutions [Pontcarral colonel d’empire (1942), Le Bossu (1944), Le Secret de Mayerling (1948), Marie-Antoinette (1955)] a de l’expérience.
        Delannoy s’est entouré d’excellents techniciens : le directeur de la photographie Michel Kelber [Zouzou (1934) de Marc Allégret, Le Rouge et le Noir (1954) de Claude Autant-Lara, French Cancan (1954) de Jean Renoir…], le compositeur George Auric [collaborateur régulier de Jean Cocteau, de Delannoy, A Nous la Liberté (1931) de René Clair, Le Salaire de la Peur (1953) d’Henri-Georges Clouzot, Du Rififi chez les Hommes (1955) de Jules Dassin, Lola Montès (1955) de Max Ophuls, Gervaise (1956) de René Clément…].

        Cependant, malgré tous les efforts mis en œuvre, Notre-Dame de Paris de Delannoy n’est pas un film très entrainant. Cette version détient ses qualités propres ainsi que de bonnes séquences (la danse d’Esmeralda, le supplice de Quasimodo, l'attaque de Notre Dame par l'armée des gueux…) mais elle reste une véritable illustration du roman, assez sage et n’apportant rien de nouveau. Dès lors, la question de l’intérêt de cette énième adaptation du roman d’Hugo se pose.
        Parmi la quinzaine d’adaptations du roman d’Hugo, on peut en effet citer les plus connues : Notre Dame de Paris (1923, muet) de Wallace Worsley, avec Lon Chaney, Quasimodo (1939) de William Dierterle, avec Charles Laughton et Maureen O’Hara ou le dessin animé de Walt Disney (1996) de Gary Trousdale et Kirk Wise.


        Le Notre Dame de Paris de Delannoy est donc une bonne version cinématographique du roman d’Hugo. Sans être passionnant, il se laisse voir avec plaisir. En tout cas, il plût beaucoup lors de sa sortie puisqu’il fut la seconde meilleure recette en France de l’année 1956 avec plus de 500 000 spectateurs. Après ce succès phénoménal, Delannoy allait réaliser Maigret tend un piège (1957), premier film de la série des Maigret avec Jean Gabin dans le rôle titre.

21.12.08.
[1] Anthony Quinn avait déjà joué en 1954 dans deux coproductions italiennes : Ulysse de Mario Camerini et Attila, fléau de Dieu de Pietro Francisci.