dimanche 27 novembre 2011

Straight Time / Le Récidiviste (1978) d’Ulu Grosbard


         Après le succès de Marathon Man (1976), Dustin Hoffman décide de passer à la mise en scène. Il s’est mis en tête d’adapter No Beast So Fierce, un roman centré sur la vie d’un multirécidiviste. Renonçant finalement à réaliser le film, il fait alors appel à Ulu Grosbard, qui avait déjà dirigé l’acteur dans plusieurs pièces à Broadway ainsi que dans Qui est Harry Kellerman ? (1971), son second film. Malgré un sujet assez classique (déjà évoqué dans Casier Judiciaire, La Grande Evasion, Chasse au Gang, Quand la Ville dort…), il en résulte un film original et criant de vérité.


         La première partie du film est sur le « straight time » qu’évoque le titre américain : placé en liberté conditionnelle, Max Dembo, épuisé par les nombreuses années passées derrière les barreaux, décide de prendre un nouveau départ : il trouve ainsi du travail, un toit et même une petite amie. Dustin Hoffman incarne tout en subtilité cet homme meurtri mais plein d’espoir.
         La seconde, plus conventionnelle, prend pour objet la récidive. En effet, en dépit de toutes ses bonnes intentions, Max est victime d’une manœuvre délibérée de la part du policier chargé de sa surveillance, celui-ci le transférant de nouveau dans un centre de détention. Enragé, il s’évade et reprend ses vols. « Once a Thief, always a thief ».
         Edward Bunker, l’auteur du roman, accuse une vision assez déterministe de la criminalité, constatant avec amertume la difficulté pour un délinquant d’échapper à son passé. La faute semble incomber au système carcéral qui broie ses sujets sans vraiment les réinsérer dans la vie sociale. Il faut dire que Bunker est un habitué de ce monde : incarcéré à San Quentin en 1951 (dès l’âge de 17 ans !), il ne mit fin à sa vie criminelle qu’en 1976. Pour cet homme, le salut fut possible grâce à la littérature et au cinéma [1].
         Bunker fut conseiller technique sur le tournage du Récidiviste. Cet apport semble considérable, au regard du vérisme qui ressort de nombreuses scènes, tant celles dans la prison que celles des braquages. Grâce à de nombreux détails (comme le minutage lors des hold-ups), la mise en scène, nerveuse, est au service d’une tension certaine. De plus, Le Récidiviste bénéficie de la présence de formidables seconds rôles (Harry Dean Stanton, Theresa Russell, M. Emmett Walsh) qui, par la sobriété de leur jeu, contribuent fortement à la justesse du film.


         Le Récidiviste aborde donc de façon intelligente et réaliste le problème de la réinsertion. Sensible au personnage du criminel, ce film peut être envisagé comme un contre-pied aux films sécuritaires, genre qui fleurissait à l’époque et qui refusait de d’adopter le point de vue des délinquants, réduits à des déchets irrécupérables pour la société.

27.11.11.


[1] Edward Bunker était voisin de cellule de Caryl Chessman : exécuté sur la chaise électrique en 1960, ce dernier s’était fait connaitre par une série de romans écrits lors dans sa réclusion. Influencé par Chessman et incité à écrire par Louise Fazenda (une gloire déchue du muet, mariée à Hal B. Wallis, producteur à la Warner Bros), Bunker a trouvé sa rédemption dans la littérature. Son second roman The Animal Factory (1977) a été adapté par Steve Buscemi en 2000. En plus de son rôle de conseiller technique, Bunker tient un petit rôle dans Le Récidiviste. Il s’était lié d’amitié avec Tim Zinneman, le producteur du film, ce qui lui a permis de jouer des seconds rôles dans d’autres films. Notons également qu’il tient le rôle de Mr Blue dans Reservoir Dogs (1992) de Tarantino et qu’il était un bon ami de Danny Trejo, ami de « détention ». Edward Bunker est mort en 2005.

samedi 26 novembre 2011

Bound for Glory / En Route pour la Gloire (1976) de Hal Ashby


         Avec En route vers la Gloire, Hal Ashby, à la façon de Michael Cimino et de sa Porte du Paradis, parvient à concilier le ton contestataire du Nouvel Hollywood avec un sens de l’épique et de l’Americana.

         Adaptation de l’autobiographie de Woody Guthrie, En route vers la Gloire est centré sur la vie du chanteur folk entre 1936 et 1940. A 24 ans, Guthrie laisse sa famille (une femme et deux enfants) et sa terre (le Texas, ravagé par le Dust Bowl), pour la Californie, suivant des milliers de okies dans leur migration et leur quête de travail. Révolté par l’exploitation de ouvriers agricoles, sous payés par les patrons, il va se lancer dans une lutte pro-syndicaliste avec comme seule arme sa guitare et ses chansons engagées. Sa proximité avec le peuple et sa soif de liberté lui permettent de se détourner des pièges de la Gloire et il se dirigera alors vers New York pour continuer son combat.
         Film épique (de près de 2h30), En route vers la Gloire illustre une page de l’histoire de l’Amérique. Dans cette période de Grande Dépression, l’espoir, incarné par Woody Guthrie, semble être la seule façon de sortir du misère. Les images du Dust Bowl et des camps de travailleurs sont très impressionnantes : on n’est pas loin des Raisins de la Colère de Steinbeck mais aussi du film de John Ford ou des photographies de Dorothea Lange, œuvres qui partagent la même volonté de montrer la dignité de l’homme dans la pauvreté.
         Le récit de la vie errante et mouvementée de ce grand patriote est aussi grandiose. Ceci explique le sentiment que la biographie tourne parfois à l’hagiographie. La photographie d’Haskell Wexler [1], sépia et nostalgique, contribue également à donner au film un aspect un peu académique. On peut néanmoins nuancer ce classicisme avec la modernité de la mise en scène dont la souplesse est due à la toute première utilisation de la steady cam.
         Woody Guthrie reste une figure contestataire et libertaire, adulée par la génération des années 60 (Bob Dylan, Joan Baez, Phil Ochs...). Bien qu’il ne fut jamais membre du parti communiste, Guthrie était engagé bien à gauche. Hal Ashby, qui avait passé son enfance dans une petite ferme de l’Utah dans les années 30, s’est senti proche de Guthrie : sans aucun doute, il a pu se reconnaître dans ce personnage de marginal indépendant.
         Du point de vue de la distribution, David Carradine est parfait dans le rôle du chanteur. Il semble poursuivre son rôle de syndicaliste convaincu qu’il avait tenu dans Boxcar Bertha de Scorsese (1972) [2]. Interprétant lui-même les chansons de Guthrie, il venait de se lancer dans la musique et avait sorti l’année précédente un album unique intitulé Grasshopper.


         Toujours authentique, En Route vers la Gloire mêle avec intelligence l’enthousiasme innocent à la contestation ardente.

26.11.11.




[1] Haskell Wexler gagna l’oscar de la meilleure photographie 1976 pour En Route vers la Gloire. Il s’agit de sa deuxième statuette, après celle remportée pour son travail sur Qui a peur de Virginia Woolf ? en 1966. En Route vers la Gloire a aussi remporté l’oscar de la meilleure bande-son.
[2] Il faut re-contextualiser la sortie d’En Route pour la Gloire dans l’époque où l’on redécouvrait les grands noms de la culture gauchiste : le syndicaliste Joe Hill a fait l’objet d’un film par Bo Widerberg en 1971 alors que le journaliste américain et communiste John Reed est sujet de Reds (1981) de Warren Beatty.

dimanche 20 novembre 2011

Lock, Stock and Two Smoking Barrels / Arnaques, Crimes et Botanique (1998) de Guy Ritchie

         Premier film de Guy Ritchie, Arnaques, Crimes et Botanique donne un nouveau souffle au polar britannique. D’abord, il instaure un genre avec un style bien particulier. Ensuite, il lance la carrière d’un réalisateur mais aussi celle de nombreux acteurs.

         Arnaques, Crimes et Botanique prend pour protagonistes des gangsters londoniens. Tenues d’une dette de jeu envers le parrain local, quatre petites frappes décident, faute d'alternative, de braquer leurs voisins, après avoir entendu par hasard que ceux-ci mettent au point leur propre braquage de cultivateurs de marijuana. Guy Ritchie oppose ainsi le gang organisé (des personnages violents et hauts en couleur) à une fratrie d’artisans dans le crime: avec leurs blagues potaches et leurs cuites puériles, ces malfrats ridicules suscitent la sympathie du spectateur. Idiots, ils tentent de revendre leur marchandise à celui qu’ils ont (sans le savoir) volé. Débrouillards, ils arrivent toujours après la bataille, alors que tout le monde se soit entretué.
         Les influences de Ritchie sont avant tout américaines. La violence et la BO rock déchainées sont dans la veine de Scorsese. On pense également à un des ses héritiers, Tarantino, pour les intrigues télescopées, l’utilisation fréquente du montage parallèle et les dialogues futiles et comiques, détonant au milieu de la sauvagerie. Les Coen sont aussi convoqués pour le goût du grotesque (les personnages fous furieux qui veulent tuer tout le monde).
         Néanmoins, avec Arnaques, Crimes et Botanique, Ritchie signe un film bien anglais. Le film véhicule une vision d’un Londres banlieusard et populaire. L’humour noir, volontiers cynique, semble être hérité de La Loi du Milieu (1971) de Mike Hodges. Arnaques, Crimes et Botanique semble aussi moderniser des films clés tels que The Italian Job [1] ou The Long Good Friday [2].
         Guy Ritchie peaufine ainsi un style très singulier. Entre le polar et la comédie, son cinéma est mené tambour battant par un montage « boosté » à la façon d’un clip [3]. Avec sa voix off malicieuse et ses nombreux personnages, le film s’avère d’ailleurs parfois difficile à suivre. Notons qu’Arnaques, Crimes et Botanique lança également la carrière de nombreux acteurs : Jason Flemyng [4], Dexter Fletcher [5], Nick Moran [6], Jason Statham [7] ainsi que Vinnie Jones [8].

         Bête et méchant, Arnaques, Crimes et Botanique a cependant le mérite de renouveler le polar britannique. Véritable succès, il sera suivi d'une série télévisée homonyme en 2000. Guy Ritchie et son producteur Matthew Vaughn allaient poursuivre dans cette voie avec Snatch, sorte de petit frère de Arnaques, Crimes et Botanique.

20.11.11.


[1] Le final « en suspension » est assez similaire.
[2] Arnaques, crimes et botanique est partiellement produit par Handmade films, la société de George Harrison, qui avait produit The Long Good Friday. Arnaques, Crimes et botanique reprend trois acteurs du film de McKenzie : Dexter Fletcher, P.H. Moriarty et Alan Ford.
[3] Guy Ritchie réalisera par la suite des clips de Madonna, avec qui il a été marié de 2000 à 2008. Ritchie a rencontré sa future épouse à l’occasion d’ Arnaques, crimes et botanique, dont la bo est sorti sur le label de la chanteuse.
[4] Jason Flemyng est le fils de Gordon Flemyng, réalisateur de deux films Dr Who and the Daleks (avec Peter Cushing) et de La Grande Catherine (1968) avec Jeanne Moreau dans le rôle titre.
[5] On retrouvera Dexter Fletcher dans la série Band of Brothers (2001).
[6] Cet acteur a également réalisé deux films dont Telstar (2009) sur la vie du producteur de musique Joe Meek.
[7] Parmi les quatre acteurs principaux d’Arnaques, crimes et botanique, Jason Statham est celui qui a connu la carrière la plus célèbre, notamment avec la série des Transporter.
[8] Footballer célèbre, Vinnie Jones s’est reconverti dans le cinéma grâce à Arnaques, crimes et botanique. Il est la vedette Mean Machine / Carton rouge (2001) de Barry Skornick, remake de The Longest Yard / Plein la gueule (1974) de Robert Aldrich. On retrouve dans cette production de Matthew Vaughn plusieurs comédiens des films de Guy Ritchie (Jason Statham, Jason Flemyng et Vas Blackwood).

samedi 19 novembre 2011

The Scarlet Empress / L’Impératrice rouge (1934) de Josef Von Sternberg


         L’Impératrice rouge est la sixième collaboration de Marlène Dietrich avec Josef Von Sternberg. Centré sur l’accès au pouvoir de Catherine II de Russie au XVIIIème siècle, L’Impératrice rouge peut être vu comme une réponse de la Paramount à La Reine Christine (1933) de Rouben Mamoulian, produit par la MGM, avec Greta Garbo dans le rôle titre : réalisés par un réalisateur européen, ces deux drames historiques mettent en scène une femme de pouvoir, dont l’identité est en lien avec celle de la vedette (la Suède pour Garbo ; la Prusse, soit l’Allemagne, pour Dietrich). Comme La Reine Christine, L’Impératrice rouge malmène profondément la réalité historique, préférant exceller dans la création d’un style et d’une atmosphère. Sternberg laisse libre court à sa folie visuelle et signe un chef d’œuvre de baroque.


         La transformation de Sophia Frederica, princesse prussienne, en Catherine II de Russie ressemble à la façon avec laquelle Hollywood racontera plus tard l’histoire de Marie Antoinette. Marlene Dietrich joue une jeune fille innocente et protégée qui se transforme en une femme manipulatrice [1] qui préfigure les femmes fatales du film noir. L’évolution notable du personnage frappe d’ailleurs par sa soudaineté.
         La raison de cette métamorphose n’est autre qu’un mariage malheureux avec un crétin à la fois dangereux et enfantin. Sam Jaffe, aux airs d’Harpo Marx, inquiète dans le rôle du Grand Duc, futur Pierre III de Russie : entouré d’esclaves noirs et nabots, il se déplace grimaçant avec des petits soldats de bois qu’il s’amuse parfois à décapiter. Dans une autre séquence de bravoure, on le voit percer les cloisons avec un vilebrequin pour pouvoir observer sa propre femme. Quant à sa mère, l’impératrice Elizabeth, parfois humaine (elle invite ses domestiques à manger à sa table !), elle se révèle être avant tout despotique et hystérique. A ces personnages principaux, s’ajoute « a supporting cast of 1000 players » comme se plaît à souligner le générique.
         Les personnages sont ainsi de grossières caricatures et c’est d’avantage la mise en scène baroque de Sternberg qui nous séduit. Le film baigne dans une esthétique expressionniste et bizarre, parfois aux confluents du film d’horreur [2]. Du point de vue des décors, la démence est de rigueur : le palais impérial est rempli de statues grotesques (proches de gargouilles) et les portes, géantes, nécessitent une dizaine de servantes pour être ouvertes. L’Impératrice rouge est ainsi un véritable carnaval de bruits de cloches, de chevauchées de cosaques, de banquets et des cérémonies religieuses majestueuses. Une attention particulière est également portée aux costumes, et les robes de Marlène Dietrich sont plus excentriques les unes que les autres. La musique, mélangeant Moussorgski et Tchaïkovski avec la chevauchée des Walkyries de Wagner, participe également à l’élaboration d’un grand n’importe quoi qu’est L’Impératrice rouge.


         La Grande Catherine de Paul Czinner, sorti quelques mois plus tôt, fut préjudiciable à la carrière commerciale de L’Impératrice Rouge. A l’inverse du film de Sternberg, le film anglais, produit par Alexandre Korda, mettait d’avantage l’accent sur les personnages que sur le spectacle. Avec son budget de plus de 900 000 $, L’Impératrice Rouge fut un grave échec financier. Sternberg et Dietrich allaient néanmoins se retrouver pour l’adaptation de La Femme et le Pantin de Pierre Louys. Le film fut un revers encore plus important, ce qui mit fin à la collaboration entre le duo.

19.11.11.


[1] Pour s’évader du palais lorsqu’elle est enfermée par son mari, Catherine II se déguise en cavalier. Cette scène permet un fois de plus à Marlene Dietrich de se travestir, jeu récurent dans sa carrière.
[2] Sorti peu de temps avant l’entrée en vigueur du code Hayes, L’Impératrice rouge contient une scène de violences atroces (avec des nus !) lorsque le père de Catherine raconte à son enfant (joué par Maria Sieber, la fille de Marlene Dietrich) les barbaries de Pierre Le Grand et d’Ivan le Terrible.

vendredi 18 novembre 2011

Harold and Maude / Harold et Maude (1971) de Hal Ashby


         Monteur attitré de Norman Jewison dans les années 60, Hal Ashby passe à la réalisation en 1970 avec The Landlord / Le Propriétaire (1970). Harold et Maude, deuxième film du réalisateur, évoque la relation entre une septuagénaire et un jeune homme de vingt ans. Entre la comédie, le film contestataire et la romance, Harold et Maude constitue un film particulièrement singulier.


         Le sujet d’Harold et Maude frappe par son originalité. Les personnages principaux s’avèrent être de vrais excentriques. Harold (Bud Cort [1]), léger autiste dégoûté par sa vie de grand bourgeois, trouve refuge dans l’humour noir : sa passion première est la simulation de suicides (pendaison, ouverture des veines, noyade, hara-kiri…). Sinon, il passe le reste de son temps à assister à des enterrements. C’est dans ce cadre macabre qu’il rencontre Maude (Ruth Gordon), une vieille femme au comportement farfelu. Une forte amitié va se forger entre les deux personnages.
         Au premier abord, nos deux personnages ne partagent pas vraiment la même philosophie de vie. Sombre et introverti, Harold est un adolescent mal dans sa peau dont l’existence est marqué par l’ennui. Le folk rock de Cat Stevens souligne avec justesse la noirceur et le spleen d’un adolescent en quête identitaire. Le « haroldisme » consiste en un manque d'intérêt global pour l'existence et une tendance lascive à la dépression. A l’opposé, le « maudisme » est une approche tout à fait différente : c'est la joie et l'optimisme, l'envie de vivre la vie à fond ("Give me an L! Give me an I! Give me a V! Give me an E! L---I---V---E! LIVE! Otherwise you got nothing to talk about in the locker room!") alors même que sa fin est proche.
         Hal Ashby perturbe en inversant les rapports normaux entre l’âge et l’espoir. En opposant le nihilisme à la foi en l'avenir, Hal Ashby, a ainsi voulu confronter l'état d'esprit déjà fermé et négatif de la jeunesse de son époque à l'optimisme préservés par ceux qui ont pourtant enduré les horreurs du vingtième siècle (le passé de Maude est révélé pendant un court instant, lorsqu'Harold découvre son numéro d'identité tatoué dans un camp de concentration). En même temps, ces deux individualités, différentes en apparence, sont rapprochées par une même lutte libertaire et par le désir de vivre différemment en rejetant les codes de la société.
         Tous deux portés vers la bizarrerie, les protagonistes sont des rebelles dans l’âme. L’absence de père et la superficialité de sa mère expliquent la révolté inconsciente d’Harold, jeune homme porté vers le morbide. Quant à Maude, elle vit en marge de la société : non influencée par le regard des autres, elle accumule les expériences insolites et se caractérise par une négligence vis-à-vis des conventions : elle conduit à toute vitesse, expose son corps âgé en tant que modèle, collectionne des odeurs… Anarchiste, elle refuse même de se soumettre à la police lorsque celle-ci l’interpelle.
         Harold et Maude, également marqué par un fort antimilitarisme et un certain anticléricalisme, trouve ainsi parfaitement sa place dans sa place dans l’idéologie contestataire des seventies. Comme Jules et Jim de Truffaut (l’amour à trois), Harold et Maude présente une situation choquante (un amour fort malgré l’écart générationnel) [2] que le réalisateur se plaît à banaliser (le ménage d’Harold et Maude nous est montré comme un couple comme les autres) en portant un regard attentionné et dénué de tout jugement. Ashby semble ainsi nous inviter à penser différemment, à remettre en cause l’influence d’un interdit sans fondement. Si l’Amour est plus fort que tout, pourquoi ne vaincrait-il pas les différences d’âge, d’état d’esprit, de culture ou de milieu social ? D’ailleurs, n’y-a-t-il pas plus proche d’un vieillard qu’un enfant agité et fragile ?


         Avec l’insolite Harold et Maude, Hal Ashby parvient à combler le fossé entre les générations. Voilà un film audacieux, à la fois touchant et dérangeant.

18.11.11.




[1] Bud Cort venait de jouer dans Brewster McLoud (1970) de Robert Altman.
[2] Les producteurs ont refusé qu’Hal Ashby filme une scène de sexe entre Harold et Maude. On voit toutefois, vers la fin du film, le duo s’embrasser et, à un autre moment, les deux personnages nus dans le même lit.

vendredi 4 novembre 2011

The Adventures of Tintin: Secret of the Unicorn / Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne (2011) de Steven Spielberg



         Attendu avec impatience, ce Tintin de Spielberg est un projet qui remonte aux années 80 (cf. article du Figaro). Le célèbre personnage d’Hergé avait déjà fait l’objet de deux films dans les années 60 (Tintin et Le Mystère de la Toison d’Or et Tintin et Les Oranges bleues) ainsi que de plusieurs films d’animation (Tintin et Le Lac au requin ainsi que deux séries animées dans les années 60 et 90) : ce corpus traduisait le passage réussi du célèbre reporter du neuvième au septième art.
         Qu’ont donc apporté Steven Spielberg et son compère Peter Jackson [1] ? Optant pour le motion capture en 3D, technique relevant à la fois du dessin et du cinéma, Spielberg a prétendu « rendre Tintin réel ». Tout en restant fidèle à l’œuvre d’Hergé, Spielberg a su s’approprier le personnage. Cependant, transformé en film d’action, Tintin a perdu de sa touchante simplicité.


         Le scénario adapte trois albums : Le Crabe aux Pinces d’Or, Le Secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham Le Rouge. Au début du film, Tintin croise un dessinateur ressemblant à Hergé et qui lui dresse son portrait. Force est de reconnaître que Spielberg a bien su retranscrire l’esprit (la naïveté de l’intrigue, l’innocence des protagonistes) et l’univers en général (les personnages, le décor européen ou exotique) de la BD.
         Le metteur en scène trouve dans Tintin un personnage d’aventurier digne de celui d’Indiana Jones [2]. Le metteur en scène se permet même de s’auto-citer : une scène de décapitation avortée par une hélice d’avion ainsi qu’une course-poursuite en side-car renvoient directement aux Aventuriers de l’arche perdue et à La dernière Croisade. La musique de John Williams renforce encore plus le sentiment de ressemblance.
         Cependant, le rapprochement devient une fusion malheureuse. En fait, les scènes d’action de Tintin, chorégraphiées à la façon de celles d’un Pirates des Caraïbes, se révèlent plus assommantes qu’impressionnantes (je pense en particulier à une scène de bataille entre grues, « climax » absent de tout album de Tintin). Métamorphosé en véritable montagne russe déchainée, ce Tintin perd en chemin la pureté de la BD d’origine. De plus, pour pallier le manque de moralité de l’œuvre d’Hergé, les scénaristes ont jugé opportun de rajouter un propos moralisateur : Tintin apprend à ne jamais baisser les bras alors qu’Haddock se détache de l’alcool pour défendre l’honneur de sa famille. Une étrange idée de vengeance à travers les siècles, à la Highlander, a d’ailleurs été renforcée.


         Indiana Jones nous avait plu par le sentiment qu’il procurait de retourner dans un imaginaire d’aventure, tout en conservant un second degré. La série d’Hergé nous frappait par son mélange de candeur et de subtilité (notamment dans la peinture du cadre sociopolitique qui rend passionnante la relecture à l’âge adulte). On ne retrouve aucune de ses qualités dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne, uniquement destiné pour un public d’enfant. La qualité certaine du divertissement ne doit pas faire oublier son inconsistance.





[1] Peter Jackson et Steven Spielberg se sont lancés dans une trilogie Tintin, produite par leurs soins. Spielberg a réalisé le premier opus, Jackson réalisera le second et le troisième sera coréalisé par les deux metteurs en scène.
[2] Rappelons la tagline de la franchise spielbergienne: “If Adventure has a name, it must be Indiana Jones ».