vendredi 31 août 2007

Bullets or Ballots / Guerre au crime (1936) de William Keighley



         Malgré le succès de films comme Le Petit César (1930, de Mervyn LeRoy), L’Ennemi public (1931, de William Wellman) ou encore Scarface (1932, de Howard Hawks), le film de gangsters est un genre mal vu, jugé ringard et pervers comme le prouvent les obligatoires pancartes d’avertissement au début de ces films. Dès 1933, le Production Code Authority insiste pour que le gangster ne soit en aucun cas glorifié. Pour la bonne moralité du film et pour satisfaire la censure, la star du film de gangster doit donc passer du bon côté de la loi. Ce sera le cas pour James Cagney qui devient un G Man dans Hors la Loi (1935) et pour Edward G. Robinson qui est un flic infiltré dans Guerre au Crime (1936). Ces deux films sont tournés presque dans la continuité par le même réalisateur William Keighley et sont produits par la même compagnie, la Warner Bros.


         Dans le film, on suit donc Johnny Blake, un flic intègre qui se fait renvoyer après de nombreuses années de carrière. Sans travail, il décide alors d’adhérer au gang d’Al Kruger. Mais c’est en réalité un flic infiltré qui, après avoir démantelé toutes les branches de l’Organisation, va livrer tout le gang.


         Guerre au crime est un film très représentatif de la Warner : générique stylisé au début, film ancré dans une réalité sociale (première séquence originale où deux gangsters se rendent au cinéma pour voir un reportage sur la pauvreté et le crime aux Etats-Unis), gangsters incontrôlables et violents (comme le personnage de Nick Bugs Fenner, interprété par Humphrey Bogart) et premières pages de journaux qui virevoltent au premier plan. C’est aussi un film sans musique qui, bien qu’entièrement tourné en studios, se veut réaliste et documentaire sur le gangstérisme. Pour le personnage de Johnny Blake, le film s’inspire d’ailleurs des véritables actions du policier Johnny Broderick. De plus, le personnage d’Al Kruger ressemble à celui du célèbre gangster Dutch Schultz.

         Dans les informations de la première scène, on aperçoit donc une ironique interview d’un journaliste important qui incite à faire des reportages sur l’organisation de la mafia afin de la dénoncer comme le film le fait aussi, en tout cas plus ou moins. En effet, Johnny Blake/Edward G. Robinson passe du bon côté de la loi mais, pour surprendre le spectateur, il est d’abord montré comme adhérant au gangstérisme avant de se révéler un flic infiltré. Le projet du film reste encore un peu ambigu puisqu’il consiste à voir comment fonctionne le crime en adaptant le point de vue du spectateur attiré-répudié par la violence du gangster en question. Mais Blake n’est pas un personnage violent : c’est un personnage extrêmement positif comme le prouve son héroïsme final. C’est un homme droit et déterminé dont l’ambition est que les voyous qu’il rencontre dans la rue soulèvent leur chapeau pour saluer les policiers.

         Le gangstérisme violent de la prohibition a laissé ici la place au racket organisé, véritable business. Les grands chefs de la mafia sont partout, cachés derrière de hauts rangs dans la société : ce sont des banquiers, fiables d’apparence, ou des politiciens. On ne peut se fier à quelqu’un, dit d’ailleurs Johnny Blake puisque la corruption touche toute la ville.

         On remarque aussi dans le film une étonnante ambivalence gangster/flic (thématique qui sera plus présente dans le film noir, notamment avec La Dernière Rafale (1948) du même William Keighley) puisque Johnny Blake connait intimement Al Kruger, le chef des gangsters. Blake ne l’arrête pas car les nombreuses inculpations de Kruger ont été inutiles. Lorsqu’il se fait renvoyer de la police, c’est sans problème que l’on comprend qu’il n’y a qu’un seul choix pour Johnny Blake: passer de l’autre côté de la loi et devenir un membre de l’Organisation du crime.
         Film de série efficace (le film dure 1h20), Guerre au Crime jouit d’une solide distribution. On trouve un excellent Edward G. Robinson en attachante petite boule de nerf et une pétillante Joan Blondell, actrice de comédies musicales de la Warner[1]. On apprécie d’ailleurs que le scénariste ait refusé une histoire d’amour entre les deux acteurs qui aurait paru très peu probable. En 1936, La Forêt pétrifiée d’Archie Mayo révélait Humphrey Bogart dans le rôle d’un gangster en fuite qu’il jouait déjà au théâtre.
         Après ce succès, la Warner décide alors de ne lui attribuer que des seconds rôles dans des films de gangsters. Guerre au Crime (sorti en juin 1936), qui fait partie de ces films-là, est le film qui suit directement La Forêt pétrifiée (sorti en février 1936) dans la filmographie de Bogart. Celui-ci retrouvera d’ailleurs plus tard Edward G. Robinson dans Le Dernier Round (1937) de Michael Curtiz, Le Mystérieux Docteur Clitterhouse (1938) d’Anatole Litvak et dans Brother Orchid (1940) de Lloyd Bacon. Il jouera aussi les méchants face à James Cagney dans Les Anges aux Figures sales (1938) de Michael Curtiz et dans Les Fantastiques Années 20 (1939) de Raoul Walsh.
         Dans Guerre au Crime, Bogart est amusant en gangster nerveux : il est déjà sarcastique et a déjà son tic de la lèvre frottée. Cependant dans Guerre au Crime, le véritable méchant n’est pas Bogart, mais Al Kruger interprété par Barton MacLane qui jouait déjà dans Hors la Loi. On remarque aussi dans le générique des deux films la présence du scénariste de la Warner Seton I. Miller (1902-1974)[2], qui a signé entre autres les scénarii des Aventures de Robin des Bois (1938) et de L’Aigle des Mers (1940), deux films de Michael Curtiz.


         Plus tard, le film de gangsters essayera de se renouveler avec Les Anges aux figures sales (1938) de Michael Curtiz, film empreint de religiosité et de bons sentiments, et Les Fantastiques années 20 (1939) de Raoul Walsh, film aux dimensions historiques allant de la guerre de 14-18 aux années 30 en passant par la Grande Dépression. D’un budget bien inférieur à celui des deux films à venir, Guerre au crime est donc un merveilleux film de série. C’est un film de gangsters original et efficace.

31.08.07.




[1] Grande actrice de la Warner, Joan Blondell (1909-1979) joue notamment dans Chercheuses d’Or (1933) de Mervyn LeRoy, Prologues (1933) de Lloyd Bacon et Dames (1934) de Ray Enright, trois films chorégraphiés par Busby Berkley. Elle joue aussi dans Le Gondolier de Broadway (1935) de Lloyd Bacon, Colleen (1936) d’Alfred Green, Stage Struck (1936) de Busby Berkley lui-même et dans Gold Diggers of 1937 (1936) de Lloyd Bacon, encore chorégraphié par Busby Berkley. Dans tous ces films, Dick Powell est à chaque fois son partenaire.
[2] C’est aussi un collaborateur régulier de Howard Hawks puisqu’il a fait les scénarii de Prince sans amour (1927), Les Rois de l’Air (1928), L’insoumise (1928), La Patrouille de l’Aube (1930), Code criminel (1931), La Foule hurle (1932) et Scarface (1932).

dimanche 19 août 2007

Keeping Mum / Secrets de Famille (2005) de Niall Johnson


         Le 3ème film du réalisateur/scénariste britannique Niall Johnson, Secrets de Famille, ayant pour cadre les cottages où vivent des petites vieilles membres d’associations florales et paroissiales, est une farce macabre cynique et amorale avec cadavres à gogo à la façon de certaines comédies anglaises de la Ealing Studios.

         Le révérend Walter Goodfellow (Rowan Atkinson) est, comme son nom l’indique, un brave type sans histoire. Très occupé à écrire ses sermons, le pasteur d’un village de 57 habitants vit dans son petit monde. En effet, Mr. Bean a beau avoir cette fois-ci des lunettes, il plane toujours, ne s’apercevant rien de ce qui se passe autours de lui. Sa femme Gloria (Kristin Scott Thomas) le trompe, son fils se fait brimer à l’école et sa fille a de mauvaises fréquentations. Mais l’arrivée de Grâce Hawkins, la gouvernante (Maggie Smith), va tout changer.

         L’intérêt du film repose énormément sur la présence de deux acteurs. Maggie Smith, mélange d’une Mary Poppins macabre et d’une vieille serial killer digne de Arsenic et vieilles Dentelles (1944) de Frank Capra, est croquante à souhait et, sortant ainsi de son unique registre comique, Rowan Atkinson est lui aussi très convaincant, réussissant à être à la fois drôle, attachant et crédible dans son rôle. Au contraire, le personnage de Lance, l’amant de Gloria, interprété par Patrick Swayze n’est pas très fin : l’unique américain du film est un gros vicelard, plus agaçant que ridicule.

         Secrets de Famille se situe dans la lignée des films de la Ealing Studios : on retrouve ainsi la même peinture d’une communauté restreinte plongée dans une situation pour le moins absurde et embarrassante, tout cela raconté avec un calme apparent. Ici, il s’agit de l’idée qu’une honnête personne héberge le crime sous son toit sans même s’en apercevoir, idée qui n’est pas sans rappeler Tueurs de Dames (1955) d’Alexander Mackendrick. Bien ficelé, le scénario retombe donc sur ses pattes mais, finalement, le film ressemble plus à un conte de fées (la gentille gouvernante va ramener l’ordre et la sérénité dans la maison avant de s’éclipser) qu’à la farce macabre que l’on attendait.

         Les mésaventures de Gloria ne nous intéressent moins à la longue que les meurtres qui ne nous ne sont montrés que très vaguement et c’est justement ici que l’on aurait attendu un peu plus de recherche du point de vue de la réalisation. En effet, malgré une drôle scène d’introduction aussi storyboardée qu’une séquence d’un film des frères Coen d’un humour noir très décalé, la mise en scène de Niall Johnson reste cependant assez plate. On peut aussi reprocher une absence d’esthétique qui aurait pu rajouter du charme au film et regretter un côté plus caricatural de la vision de la vie de la campagne anglaise à la façon d’un Wallace & Gromit et le Mystère du Lapin-Garou (2005) de Nick Park et Steve Box.


         Bref, malgré de bons moments et de bons acteurs, Secrets de Famille ne réussit donc pas à décoller. Certes, il s’agit d’un film plaisant et sympathique mais il manque cependant un peu de folie à son histoire et à sa mise en scène, peut-être parce que le film n’est pas si anglais que cela si l’on considère que le cinéma anglais est celui qui sait combiner réalisme et fantaisie. Avec son humour contenu, Secrets de Famille reste en vérité un bon film, mais presque trop sérieux pour être hilarant.


19.08.07.