samedi 1 février 2014

La Trilogie de la Vie de Pier Paolo Pasolini


Il Decamerone / Le Décaméron (1971)
I Raconti di Canterbury / Les Contes de Canterbury (1972)
Il fiore delle mille e una notte / Les Mille et Une Nuits (1974)

Après l'adaptation de l'Ancien Testament (L'évangile selon Saint Matthieu, 1964) et de mythes antiques (Oedipe Roi en 1967 et Médée en 1970), Pasolini poursuit sa relecture des textes fondateurs avec la trilogie de la Vie. 
Retour aux textes premiers. Pour Pasolini, revenir aux grands récits de la littérature, c'est retourner aux fondements de la culture et de l'histoire. Ces classiques nous frappent aujourd'hui par leur audace subversive, leur violence première et leur crudité intacte. Les contes proposés par Le Décaméron, Les Contes de Canterbury ou Les Mille et Une Nuits se présentent ainsi comme des histoires simples et triviales, accessibles à tous[1]: on y énonce des moralités élémentaires et universelles (la dénonciation de l'injustice, de l'avarice, du pouvoir), on se moque des puissants (les autorités religieuses, le pouvoir politique) et on y prône la vie, l'humour et le désir. 
Le sexe et l'art comme moteurs de la vie. Le sexe, thématique récurrente de la trilogie, apparaît comme le moteur de cette vitalité, le sang indispensable à la vie. L'art apparaît lui aussi comme un élément nécessaire pour réinventer notre vie et notre quotidien: l'idée est portée par Pasolini lui même  qui incarne dans ses films deux personnages d'artistes (l'écrivain Chaucer dans Les Contes de Canterbury et le peintre Giotto dans Le Décaméron). Les trois films de la trilogie forment donc bien un corpus cohérent bien que chacun se différencie par des éléments singuliers: Le Décaméron revient régulièrement sur la thématique de la duperie, Les Contes de Canterbury se distingue par son sens du grotesque (scatologie et vision de l'enfer) alors que Les Mille et Une Nuits séduit par son exotisme et peut être par un érotisme plus assumé que dans les deux autres films. 
La reconstitution selon Pasolini. Dans la lignée de son travail sur Oedipe Roi et Médée, Pasolini réinvente le film à reconstitution. Pasolini participe à un double mouvement: d'un côté, il rompt avec le péplum en nous montrant une vision réaliste et brute du passé (on y voit des animaux, des basses-cours, des vêtements cousus à main ou déchirés, des corps nus); de l'autre, il procède en même temps à une stylisation extrême de certains costumes ou décors. En faisant renaître le passé avec du neuf, en procédant à un bricolage syncrétique, un mélange des différentes cultures et nationalités, Pasolini produit une sorte d'esthétique "new age". Ainsi, dans Le Décaméron, un roi est coiffé d'une toque russe et ses soldats sont armés de hallebardes de taille démesurée, dans Les Contes de Canterbury, un sketch avec un clochard débrouillard renvoie aux muets de Chaplin, dans Les Mille et Une Nuits, une armure en toc évoque moins le Moyen-âge qu'un robot de Science-fiction... 
Après la sortie des Les Mille et Une Nuits, Pasolini renie la trilogie de la Vie car il considère les films comme trop convenus. Il se lance alors dans une "trilogie de la mort", initiée par Salo ou Les 120 jours de Sodome en 1975 mais qui restera inachevée en raison de la mort du cinéaste la même année.
 
06.01.14.


[1] Avec la trilogie de la Vie, qui se caractérise par un regard décomplexé sur le sexe et la nudité, Pasolini trace la voie pour un genre spécifique de la comédie populaire italienne qui est la "sexy comedy" dans les années 70.