jeudi 26 décembre 2013

Il Vangelo Secondo Matteo / L'évangile selon Saint Matthieu (1964) de Pier Paolo Pasolini

 
Dans Le fromage blanc, épisode du film collectif RoGoPaG (1963), Pasolini relate avec humour la vie sur le plateau de tournage d'un film autour de la crucifixion. Après ce filmé jugé blasphématoire, le réalisateur décide d'adapter l'évangile selon Saint Matthieu.
 
La nostalgie du sacré. Pourquoi Pasolini, intellectuel marxiste et scandaleux, adapte-il le nouveau testament ? Si le réalisateur se présentait comme athée, il s'est également exprimé sur sa nostalgie «du mythique, de l'épique et du sacré  »[1]. Cette nostalgie peut psychologiquement s'expliquer par les origines frioulanes de Pasolini: l'auteur (qui cite souvent Mircea Eliade) déclare que la civilisation paysanne, proche de la terre, est la seule qui possède encore un sentiment du sacré[2]. Selon Pasolini, ses contemporains ne lisaient plus l'évangile et «deux mille ans d'interprétation chrétienne » ont mis à mal la véritable histoire du Christ. Comme il le fera plus tard en revisitant les mythes antiques ou les textes fondateurs, Pasolini décide donc de revenir aux sources premières pour parler au public de son temps et s'adresse autant aux croyants qu'aux non-croyants.
 
Le visage humain du Christ. Pasolini a décidé de transposer l'évangile de Matthieu car il jugeait celui de Jean trop mystique, celui de Marc trop vulgaire et celui de Luc trop sentimental. Pasolini veut donner un visage humain au Christ: son Jésus n'est pas interprété par un bel éphèbe barbu mais par un visage inconnu, celui d'un jeune espagnol de 19 ans, étudiant en économie. Le Jésus de Pasolini apparaît comme un Christ exigeant et humain: il s'énerve, réprimande, doute et souffre. Ce récit de la passion insiste aussi sur la portée sociale de la parole du Christ, proche des pauvres et opposé au pouvoir des pharisiens. A l'origine, Pasolini voulait que son Christ soit incarné par un poète comme Allen Ginsberg ou Jack Kerouac et c'est finalement sa propre mère qui interprète le rôle de Marie: Pasolini a surement été touché par la marginalité de Jésus, seul dans sa lutte en faveur du peuple et de la vérité.
 
Le refus de la représentation classique. Pasolini évite la représentation des évènements surnaturels: l'ange Gabriel n'est pas un ange ailé mais une jeune femme androgyne; après avoir renié le Christ par trois fois, Saint Pierre n'entend pas le coq chanter; les miracles ne font pas l'objet de scènes d'effets spéciaux (la multiplication des pains, les guérisons) mais sont retranscrits par le biais d'un simple jeu de montage. Le réalisateur refuse de reconstituer les visions classiques des grands moments de la vie du Christ: la venue des rois mages ne se déroule pas dans une étable, la danse de Salomé n'est pas la fameuse danse érotique des sept voiles, la cène n'est pas filmée dans un plan large avec le Christ au milieu, la résurrection se manifeste elle par un plan sur la pierre du tombeau du Christ qui tombe simplement par terre...
 
La crucifixion en temps réel. Tourné dans les paysages arides et archaïques du sud de l'Italie, L'évangile selon Saint Matthieu de Pasolini est filmé dans un noir et blanc très âpre. Les visages que filme Pasolini sont durs. Héritier du cinéma néo-réaliste, Pasolini adopte une esthétique proche du cinéma documentaire et du cinéma vérité: on suit le Christ en gros plans, caméra à l'épaule; son arrivée à Jérusalem est cadrée en plongée depuis les fenêtres des habitants; son procès, filmé depuis la foule, place le spectateur dans une situation de témoin d'un évènement présent. Voulant donner une actualité au récit du Christ, Pasolini mélange à la Passion de Bach des airs de blues noir-américain dont une version de Sometimes I feel like a motherless child de la chanteuse Odetta.
 
Voir la passion pour la première fois. S'écartant des représentations académiques (comme peuvent l'être les récits de la vie du Christ par Hollywood que cela soient Le roi des Rois, Ben-Hur ou La plus grande histoire jamais contée, qui s'apparentent à des péplums), Pasolini nous montre l'évangile d'une façon pure, comme jamais on ne nous l'avait montré. Le spectateur qui connait le récit de la passion, est ému parce qu'il le découvre comme si c'était la première fois qu'il le voyait. L'église catholique allait favorablement accueillir le film en lui accordant Grand prix de l'Office catholique du cinéma de l'année, perpétuant ainsi les liens complexes entre le réalisateur et l'église.
 
17.11.13.


[1] In Entretiens avec Pier Paolo Pasolini par Jean Duflot, éditions Pierre Belfond, 1970, page 27.
[2] Id, pages 90-91.

Un Singe en Hiver (1962) d'Henri Verneuil

 
Après Le Président (1960) et Mélodie en sous-sol (1962), Un Singe en Hiver marque la troisième collaboration du trio formé par le réalisateur Henri Verneuil, le comédien Jean Gabin et le scénariste Michel Audiard. Le film marque également la rencontre entre deux générations de comédiens: d'un côté, Jean Gabin, célèbre représentant du cinéma dit de la "qualité française", et de l'autre, Jean-Paul Belmondo, jeune visage de la Nouvelle Vague.
 
Plus qu'une confrontation, la réunion se transforme en une sorte d'osmose, Belmondo s'inscrivant dans la filiation du jeu confiant et parfois cabotin de Gabin. Bebel, toréador perdu loin des arènes de Madrid, et Gabin, ancien soldat de la légion étrangère reconverti en hôtelier dans une petite ville balnéaire, se lient d'amitié lors de soirées très arrosées. Mais le film, adaptation d'un roman d'Antoine Blondin, écrivain hussard et alcoolique notoire, est moins l'histoire d'ivrognes que la réunion mélancolique de vieux baroudeurs qui rêvent de leur gloire passée.
 
A l'image de la musique de Michel Magne (un blues à l'harmonica qui suit une musique chinoise, réminiscence du passé de Gabin), Un Singe en Hiver peut être aussi drôle que triste, amer: dans le morne village de Normandie, on boit pour oublier, on rêve de Chine et d'Espagne, de jonques et de corridas. Comme ailleurs n'existe plus, nos deux compagnons de boissons se lancent dans une dernière aventure, une dernière farce, une grande explosion sur la plage. Le plan final du film sera celui d'un Jean Gabin délaissé, seul sur un quai de gare, avant qu'il ne reprenne sa vie moribonde. Derrière la comédie, le film de Verneuil décèle en réalité un drame, celui du singe en hiver, c'est-à-dire l'histoire de l'homme qui n'est plus de son temps.
 
10.11.13.

Seuls Two (2008) d'Éric Judor et Ramzy Bedia


 
Retour sur la carrière d'Eric & Ramzy. Issu des salles de spectacles parisiennes, le duo de comiques Eric & Ramzy connait la consécration avec H, une série TV produite par Canal + et qui révéle également Jamel Debouze. Passé au cinéma, le tandem est à l'affiche de La Tour Montparnasse infernale (2001, Charles Nemes, production de Christian Fechner), une parodie de Piège de Cristal qui s'avère un succès public (plus de deux millions d'entrées). Ils poursuivent dans cette veine avec Double Zéro (2004, Gérard Pirès, production par Thomas Langman), parodie de James Bond, et Les Dalton (2004, Philippe Haïm), adaptation de la bande dessinée Lucky Luke. Steak (2007) de Quentin Dupieux marque un tournant dans leur carrière vers un comique plus fin et décalé. En 2008, Eric & Ramzy coréalisent leur premier film, Seuls Two, qu'ils qu'interprètent et scénarisent. 

Paris désert. Le point de départ du film d'Eric & Ramzy est une course-poursuite à la Tom & Jerry dans une ville abandonnée. Eric, le policier, poursuit Ramzy, le cambrioleur, et alors qu'il semble enfin avoir atteint son but, il se retrouve sur l'avenue des Champs-Élysées vidée de ses habitants. Complètement désert, Paris devient alors un véritable terrain de jeu, un bac à sable géant pour les deux compères: Ramzy roule en formule 1 sur la place de la Concorde et fait une razzia à la Fnac des Ternes alors qu'Eric s'inquiète de la disparition des arabes à Barbès... Poussant l'idée jusqu'au bout, les deux compagnons finiront par pique-niquer sur l'autoroute. Pour mettre en œuvre cette idée folle d'un Paris désertique[1], le tandem s'est appuyée sur une production généreuse d'Alain Attal, de l'ordre de 18 millions d'euros. 

Le comique d'Eric & Ramzy. Le duo comique rappelle celui de Jerry Lewis & Dean Martin: le personnage d'Eric, idiot, puéril et encore vierge, évoque l'immature Jerry Lewis alors que le personnage de Ramzy, dragueur sûr de lui, renvoie à de Dean Martin. Mais l'humour d'Eric & Ramzy s'avère aussi neuf que singulier: si leur comique emprunte souvent la voie du burlesque (les mimiques d'Eric, le motif de la course-poursuite, les cascades et autres gags visuels), il lorgne également vers l'absurde et le "nonsense" (suite de quiproquos, développement de dialogues saugrenus) comme on peut mieux le voir dans Steak de Dupieux. En plein dans leur temps, Eric & Ramzy tournent en dérision le parler contemporain: le verlan, les fautes grammaticales, la dyslexie... Issu des colonies (origines antillaises d'Eric, origines magrébines de Ramzy), le couple de comiques se permet même des blagues racistes. 

Assumer le rire. Dans un interview récemment accordé dans Les Cahiers du cinéma (Septembre 2013), Eric Judor n'hésite pas à qualifier l'humour du duo de "gogol", c'est-à-dire bêtement idiot et enfantin. Comme les films de Jerry Lewis & Dean Martin, ceux d'Eric & Ramzy sont des films sur des grands enfants. S'il accepte le délire régressif du duo, la stupidité des personnages et le bide de certains (nombreux ?) gags, le spectateur peut alors assumer son rire. Nouveaux représentants du cinéma comique français, Eric & Ramzy tracent leur voie. Avec la série TV Platane (produite par Canal +), Eric Judor s'ouvre à un nouveau public et confirme l'intelligence de son humour. 

17.11.13.


[1] Cette idée - forte visuellement - d'une ville déserte n'est pas nouvelle et évoque les films de science-fiction apocalyptiques américains où l'univers n'est réduit qu'à quelques individus: Le Monde, la Chair et le Diable (1959, de Ranald MacDougall), les différentes adaptations de Je suis une Légende de Richard Matheson ou encore, plus récemment Wall-E (2008, d'Andrew Stanton). La capitale française désertique était aussi déjà le sujet de Paris qui dort (1925) de René Clair.

Série noire (1979) d'Alain Corneau


 
Débutant sa carrière de réalisateur en 1975, Alain Corneau prend en quelque sorte la succession de Jean-Pierre Melville et apporte un souffle nouveau au cinéma policier français. Après Police Python 357 (1976) et La Menace (1977), le metteur en scène réalise Série Noire qui est autant un hommage à la collection de romans noirs de Gallimard qu'une rénovation du polar en tant que genre. 

Série Noire est une adaptation par George Perec d'un roman de Jim Thompson, auteur américain édité par la fameuse collection de Gallimard[1]. Le récit suit Frank Poupart, minable représentant de commerce, affublé d'un imper miteux, antihéros typique du film noir. Après avoir perdu sa femme et son emploi, ce looser se lance dans une entreprise criminelle: pour les beaux yeux d'une prostituée adolescente, il tue sa maquerelle (qui est aussi sa tante), lui vole ses économies et abat sur les lieux du crime un pauvre immigré au chômage, pour faire croire à un cambriolage qui a mal tourné. Accumulant les emmerdes, il finit par assassiner sa femme avant de se faire voler le butin par son ancien patron... Pathétique et pleurnichard, Poupart, interprété à fleur de peau par Patrick Dewaere, connait des accès de folies et des tendances suicidaire. La spirale cauchemardesque de Poupart rappelle elle le destin fatal du personnage principal du Détour (1945) d'Ulmer et de tant d'autres personnages du film noir.

Si la musique lointaine d'un air de jazz de Duke Ellington évoque un passé révolu, abordé avec nostalgie, Série Noire s'inscrit néanmoins dans la triste réalité des années 70. La radio passe continuellement les airs enjoués de disco de l'époque, contrepoint ironique à la tragédie de Poupart. Les aventures pitoyables de notre héros se déroulent quant à elles dans des paysages sordides de la banlieue parisienne[2]: des grands terrains vagues, de froides cabines téléphoniques et des intérieurs glauques de maisons pavillonnaires au papier peint décoloré... Dans ce monde froid, Frank Poupart rêve de s'enfuir: malgré son échec, peut être finalement qu'une autre vie est réalisable avec son nouvel amour. Mais un ultime sarcasme nous fait penser que son aventure sera aussi courte que dérisoire. Pessimiste, Série Noire de Corneau reprend donc les archétypes du film noir mais les renouvelles par un ancrage dans le présent.

04.11.13.



[1] Peu après, Bertrand Tavernier adapte de nouveau Jim Thompson avec Coup de Torchon (1981). L'engouement des cinéastes français de l'époque pour la série noire s'illustre également avec l'enthousiasme pour adapter David Goodis: La lune dans le caniveau (1983) de Jean-Jacques Beneix, Rue Barbare (1984) de Gilles Béhat, Descente aux enfers (1986) de Francis Girod et Sans espoir de retour (1989) de Samuel Fuller.
[2] La mélancolie de la banlieue est une thématique récurrente du cinéma français de l'époque, que l'on retrouve dans les films de Jean-Pierre Melville, ceux de Robert Enrico (Les Aventuriers et Les Caids), La 1000ème fenêtre (1959) de Robert Menegoz, Mélodie en sous-sol (1962) d'Henri Verneuil, Les Cœurs verts (1966) d'Edouard Luntz, Deux ou Trois choses que je sais d'elle (1967) de Jean-Luc Godard, Le Chat (1971) de Pierre Granier-Deferre, Elle court, elle court la banlieue (1973) de Gérad Pirès, Les Valseuses (1974) de Bertrand Blier, L’Alpagueur (1976) de Philippe Labro, Buffet froid (1979) de Bertrand Blier...

Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » (2003) d'Arnaud Desplechin



Après le tournage de Esther Kahn (2000), Arnaud Desplechin poursuit sa veine anglaise en adaptant une pièce du dramaturge Edward Bond, proche des "angry young men". Le projet de Desplechin consiste à insérer dans le film de fiction, des images de la répétition de la pièce avec les comédiens[1]. 

Shakespeare chez les magnats de l'armement. Dans la compagnie des hommes revisite et modernise des motifs de la tragédie classique. Comme Le Roi Lear, Henri IV ou d'autres pièces de Shakespeare, la pièce d'Edward Bond met en scène une lutte pour le pouvoir: Léo, le fils adoptif d'un industriel, décide de s'affranchir de son père et de le ruiner afin de mieux le remplacer (instauration d'un conflit œdipien). Prince moderne, Léo tente de survivre dans une guerre sans merci où l'on règle ses comptes à coups de stock options, de complots financiers et d'OPA. La violence de l'intrigue se manifeste par des aspersions de sang: décor de salle de bain ou corps d'un bébé arrosés de sang. Le trône du roi (le père) est donc convoité par son fils héritier mais son entreprise est compliquée par la traitrise d'un bras droit (équivalent du personnage de Iago), la démence d'un domestique (le fou du Roi) et la bêtise d'un manant. Estimant que la pièce manquait de personnages féminins, Desplechin y ajoute celui d'Ophélie, une amoureuse qui sombre dans la folie comme dans Hamlet. 

Une approche postmoderne. La démarche de Desplechin, qui mélange les images du film à celles des répétitions, est certes intéressante mais elle paraît hasardeuse. Quand Al Pacino procédait de la sorte avec Looking for Richard (1996), l'acteur en profitait pour expliciter le sens de la pièce, pièce par ailleurs classique et non inconnue du public. Desplechin lui ne se prête que trop peu à l'exégèse et embrouille une œuvre déjà complexe (en terme d'actions, de personnages) en y ajoutant cette sorte de distanciation. Peut être que ce qui intéressait Desplechin était l'idée d'un produit inachevé mais force est d'admettre que le spectateur préfère le produit fini à l'esquisse... Si la pièce d'Edward Bond séduit, c'est donc bien la mise en scène de Desplechin qui déçoit. Plus l'auteur de ces lignes avance dans la connaissance de sa filmographie, moins il est convaincu par le "style" Desplechin: la longueur importante du métrage (et un récit qui s'égare parfois dans des intrigues annexes), une certaine pauvreté visuelle (utilisation excessive des gros plans et de la caméra à l'épaule), un emploi de la musique extra-diégétique dissonant (ici, une bande-son punk de Paul Weller, le chanteur de The Jam)... Bref, autant d'éléments qui nous laissent dubitatifs quant au statut de Desplechin de roi de l'actuel cinéma d'auteur français...
01.12.13.


[1] Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » est composé à 70% d'images du film tourné en pellicule et à 30 %, d'images numériques  tournées pendant les répétitions. Desplechin a tourné un second film intitulé Unplugged, en jouant « Dans la compagnie des hommes », composé d'images vidéo et d'images argentiques dans les proportions inverses du premier film: 30 % d'images du film et 70 % d'images des répétition.

La Discrète (1990) de Christian Vincent


 
Issu de l'IDHEC (35ème promotion), Christian Vincent signe avec La Discrète son premier long-métrage. Le film révèle au grand public Fabrice Luchini, acteur venu du cinéma d'Eric Rohmer (Perceval le Gallois et Les Nuits de Pleine Lune). L'esprit du réalisateur de Ma Nuit chez Maude règne sur le film de Christian Vincent: un décor (le Paris de la rive gauche), un milieu ("intello": Luchini interprète ici un écrivain), une forme (finesse des dialogues), un jeu (spontané grâce à la découverte de jeunes comédiens comme ici Judith Henry). La Discrète est donc un pastiche, une variation sur le cinéma de Rohmer en somme. 

Comme chez Rohmer, le marivaudage s'inscrit dans des références à la culture classique: le titre du film renvoie aux "mouches" des femmes au XVIIIème siècle; Luchini, en décidant de séduire la première venue pour le bonheur de son éditeur, se livre à un jeu libertin digne du Valmont de Laclos; la mélodie hongroise de Schubert vient enfin souligner le côté doux-amer de l'histoire. Servi par la justesse de son scénario et par la grâce de ses comédiens, Christian Vincent, avec La Discrète, ne signe pas du "sous-Rohmer" mais devient au contraire l'élève qui surpasse le maître.

20.11.13.

La bête humaine (1938) de Jean Renoir

 
Tourné après La Grande illusion (1937) et La Marseillaise (1938), La bête humaine marque les retrouvailles de Jean Renoir avec Jean Gabin (qui jouait déjà dans Les Bas Fonds, 1936). Cette adaptation du roman d'Emile Zola[1], située dans la période la plus réputée de la filmographie du réalisateur, s'inscrit dans le cinéma français de l'époque tout en répondant aux préoccupations politiques de son auteur.
La bête humaine apparaît ainsi comme un « film noir » au sens où l'entendait la critique française pour qualifier une série de films d’avant-guerre, marqués par un pessimisme accablant, tel que Pépé le Moko (1935) de Julien Duvivier, Gueule d’Amour (1937) de Jean Grémillon ou encore Le Quai des Brumes (1938) de Marcel Carné. Sous l'influence d'une femme fatale qui le pousse au crime, Jacques Lantier, cheminot qui conduit la ligne Paris-Le Havre, est un véritable personnage de film noir, victime du désespoir et de la fatalité. La noirceur thématique se double d'une noirceur visuelle: les scènes de crime, tournées dans une nuit de studio, font la part belle aux jeux de lumière expressionisants qui feront la gloire du film noir américain. La bête humaine ressemble aussi beaucoup au Quai des Brumes de Carné, tourné la même année: l'esthétique est la même et l'on retrouve des motifs identiques (le personnage de Jean Gabin qui tombe amoureux d'une femme sous l'emprise d'un homme plus âgé et meurtrier[2]).
Mais comme le souligne Renoir, citant Zola, le véritable personnage de La bête humaine est aussi "La Lison", la locomotive que conduit Lantier. En transposant le récit de Zola dans les années 30, Renoir modernise l'œuvre de l'auteur de L'Assommoir dont il partage les opinions socialistes. Les thématiques du réalisme poétique et du roman réaliste de Zola s'entremêlent pour ne faire qu'un (le poids du destin, le déterminisme social...). Renoir a voulu suivre son aîné en se documentant de façon précise sur la vie des cheminots: préfigurant le travail de l'actors studio, Jean Gabin a suivi un stage auprès d'un mécanicien de rapides pendant plusieurs semaines afin de rentrer dans la peau de son personnage; les séquences d'ouverture de La bête humaine, où l'on suit le train de Lantier de gare en gare et de voie en voie, sont marqués par un rythme endiablé en même temps qu'une dimension quasi-documentaire.
01.12.13.


[1] Jean Renoir avait déjà adapté Zola avec Nana (1926).
[2] Dans l'ouvrage de Noël Burch et Geneviève Sellier, La Drôle de Guerre des Sexes dans le cinéma français, cette situation est identifiée comme la plus vieille du cinéma français des années 30 qu'ils définissent comme "le règne du père".

Hannah Arendt (2013) de Margarethe Von Trotta



Après Les Années de plomb (1981), Rosa Luxembourg (1986), Les années du Mur (1995) et Rosenstrasse (2003), Margarethe Von Trotta, avec Hannah Arendt, continue d'explorer les fissures de l'histoire allemande.

Le film suit le reportage par Hannah Arendt du procès du criminel de guerre nazi Eicheman: à partir de cet évènement, la philosophe élabore la théorie de la "banalité du mal". Ses prises de position quant au procès, aux motivations et à la personnalité d'Eichmann et à l'implication des institutions juives d'alors (les Judenräte, conseils juifs) lui attirent de vives réprobations et d'inimitiés non seulement parmi les rescapés de la Shoah, mais aussi parmi ses proches. Son obstination et l’exigence de sa pensée se heurtent à une incompréhension et provoquent son isolement. On sent l'attirance de Margarethe Von Trotta pour cette femme rebelle et indépendante: la réalisatrice avait d'ailleurs déjà recréée des héroïnes de l'Histoire seules contre tous et qui étaient déjà interprétées par la comédienne Barbara Sukowa (Rosa Luxembourg, Hildegard Von Bigen dans Vision). 

Centré sur une période précise de la vie de la philosophe, Hannah Arendt, de même que Capote (2005) de Bennett Miller, apparaît néanmoins comme un biopic que comme un film sur le développement d'une pensée. Allongée sur un canapé, dans le pénombre et le silence de son appartement newyorkais, Hannah Arendt cogite et doute, le regard vide et une cigarette allumée. Si l'idée de filmer un discours en train de se construire est intéressante, l'image elle est parfois trop récurrente et répétitive. Mais la réalisatrice insiste, voulant restituer l'intelligence du discours et la complexité de la pensée d'Arendt. 

Si Margarethe Von Trotta tente de s'écarter du biopic, elle finit néanmoins et malheureusement par épouser les canons esthétiques du genre. Ainsi, la réalisatrice du nouveau cinéma allemand des années 70, conjointe de Schlöndorff et actrice chez Fassbinder, succombe aux tentations de l'académisme. La reconstitution, très soignée, nous fait penser à celle de la série Mad Men (costumes élégants, voitures lustrées...). Barbara Sukowa semble parfois se complaire dans un rôle de composition et force parfois l'accent germanique. Enfin, le film incorpore même des scènes de flash back très convenues sur les années étudiantes de Hannah Arendt, où l'on voit la jeune femme coucher avec son professeur Martin Heidegger dans sa chambre de bonne... Là réside en fait le paradoxe de Hannah Arendt, un film où l'intelligence et la modernité du discours se heurtent à une forme certes classique mais conventionnelle.

10.11.13.

Deux films réalisés par Pedro Almodóvar: Matador (1986) & Todo sobre mi Madre / Tout sur ma mère (1999)


Nom incontournable du cinéma espagnol, Pedro Almodóvar a commencé sa carrière comme étendard de la "movida", mouvement culturel qui traduit la transition démocratique du pays après la mort de Franco. Cinéaste cinéphile, Almodóvar parvient à explorer ses thématiques de prédilection (la liberté ou l’identité sexuelle) à travers le travail des formes classiques.

Matador apparaît ainsi comme une réécriture dans les années 80 du cinéma surréaliste du Buñuel de La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (1955). Avec son récit cauchemardesque, Matador relate le destin croisé de trois personnages sexuellement troublés: un jeune matador impuissant qui s'accuse de viols et de meurtres qu'il n'a pas commis; son maître, un matador à la retraite depuis un accident, le véritable coupable car il a besoin de donner la mort "pour continuer à vivre" comme avant; enfin, une avocate perverse qui assassine ses amants lors du coït, imitant le rituel tauromachique, et trouvant ainsi dans le vieux matador, son alter-ego. Traduction de la folie passionnelle et de la fusion totale entre Eros et Thanatos, Matador baigne dans un climat morbide et délirant. Avec Matador, Almodóvar acclimate en fait la culture espagnole (les toreros, le surréalisme) avec un genre très à la mode aux Etats-Unis dans les années 80 qui est le thriller érotique.

Tout sur ma mère renvoie lui au mélodrame hollywoodien des années 50. L'histoire développe une succession de situations improbables ou extrêmes: une mère décide de révéler à son fils l'identité de son père le soir de son anniversaire mais celui-ci meurt suite à un accident de voiture; à la recherche du père, elle se lie d'amitié avec une jeune sœur catholique, enceinte de ce même homme... Portrait de femmes (et d'actrices) comme chez Cukor ou Cassavetes, citation du Eve de Mankiewicz (regardé par les personnages à la télévision), représentation d'un Tramway nommé désir, couleurs vives comme dans le cinéma de Douglas Sirk: Tout sur ma mère fait autant référence au mélodrame hollywoodien qu'il en reprend les motifs. En mettant en scène des personnages outranciers et grotesques de transsexuels et de prostituées, Almodóvar, qui arrive après la revisitation du mélodrame sirkien par un cinéaste "trash" comme Fassbinder, va jusqu'au bout du mauvais goût et du caractère kitsch du genre. Et comme dans le mélodrame américain, l'artificialité n'étouffe pas l'émotion car, au contraire, et étonnamment, c'est elle qui la provoque. 

20.11.13.

Carmen (1983) de Carlos Saura


 
Avec des films comme La Chasse (1966) et Cria Cruevos (1976), Carlos Saura s'est affirmé comme l'un des grands noms du cinéma espagnol. Au début des années 80, il collabore avec le danseur et chorégraphe Antonio Gades pour une trilogie de films centrée autour du flamenco. Après Les Noces de sang (1981, inspiré par Garcia Lorca), et avant L'amour sorcier (1986, inspiré par Manuel de Falla), Carlos Saura signe Carmen, inspiré par l'opéra de Bizet. 

Le Carmen de Saura met en scène une troupe qui décide de monter l'opéra de Bizet en ballet flamenco. Plus d'un backstage musical à l'américaine, le film évoque ces films postmodernes où l'interprétation de l'œuvre se confond avec la réalité, les acteurs "revivant" réellement la fiction: on voit par exemple cette structure dans Othello (1947) de George Cukor, Théâtre de Sang (1973) de Douglas Hickox ou encore plus récemment dans La vénus à la fourrure (2013) de Roman Polanski. Ici, le chorégraphe de la troupe tombe amoureux de la jeune danseuse qui interprète Carmen: sa jalousie le conduira au crime, recréant ainsi la tragédie de Mérimée. 

A la même époque, Carmen inspire d'autres cinéastes: avec Prénom Carmen (1983), Jean-Luc Godard adopte pour une transposition de l'histoire à l'époque contemporaine alors que Francesco Rosi opte pour une représentation classique, en costumes, tournée en Andalousie (Carmen, 1984). Le film de Carlos Saura tient lui son originalité dans son emploi du flamenco: la musique et la danse, omniprésentes dans le film, deviennent le véhicule de la passion et de la tragédie de Carmen. La caméra de Saura privilégie ainsi les plans-séquences qui rendent à merveille les mouvements des danseurs sans les interrompre par le montage. Le spectateur devient fasciné par ces danses viriles, véritables combats de coqs où les danseurs bondent le torse et regardent leur adversaire avec un regard perçant. 

Film musical et film dansé, le Carmen de Saura, adaptation d'un grand classique, séduit par sa puissance plastique et émotionnelle. 

23.11.13.

Buffet froid (1979) de Bertrand Blier


Après Les Valseuses (1974), Calmos (1975) et Préparez vos mouchoirs (1976), Bertrand Blier poursuit avec Buffet froid sa veine d'un cinéma provocateur et délirant. 

Une dose d'humour noir... Buffet froid relate la rencontre entre plusieurs assassins: Gérard Depardieu, qui n'enlève jamais son manteau du film, joue un chômeur tourmenté par des cauchemars et un possible tueur qui s'ignore; Jean Carmet interprète l'assassin de la femme de Depardieu mais qui se lie d'amitié avec ce dernier; Bernard Blier incarne lui un flic bougon qui a une conception douteuse de la loi et de la justice. Dans le monde urbain et déshumanisé de Buffet froid, la morale est sans dessus-dessous: les coupables sont laissés en liberté alors que les innocents sont arrêtés. Le film véhicule une vision paranoïaque et criminelle de la société où chacun est à la fois bourreau et victime. 

...et de surréalisme La succession des assassinats "gratuits" et l’enchaînement des situations incongrues ou grotesques instaurent un climat absurde proche du théâtre d'Alfred Jarry et d'Eugène Ionesco, impression renforcée par l'artifice de l'appartement de Depardieu, un décor de studio. Mais le film est également fortement empreint de surréalisme et les séquences de soirées étranges organisées dans de grands hôtels particuliers de province rappellent le sentiment antibourgeois des films de Luis Buñuel.  

Tristesse de la banlieue et solitude urbaine. Filmé dans la périphérie parisienne (la station de RER de La Défense, les tours de Créteil), le film s'inscrit dans le cinéma français des années 60/70 qui véhicule une vision sinistre de la banlieue, sur laquelle plane l'ombre du suicide et du chômage en ce début de crise économique. Cette modernité glauque et glaçante est surement la raison principale de la solitude des protagonistes de Buffet froid qui s'assemblent pour se tenir compagnie: pour eux, le meurtre, soit la mort, est peut-être une façon rencontrer des gens, soit de retrouver la vie... 

17.11.13. 


Bright Star (2010) de Jane Campion

 
Après La leçon de piano (1993) et Portrait de Femme (1996), la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion retourne au film d'époque avec Bright Star. L'action se situe au début du XIXème siècle et relate l'histoire d'amour entre le poète anglais John Keats et sa jeune muse, Fanny Brawne.
 
Jane Campion trahit trois inspirations différentes et anachroniques: la peinture flamande, le cinéma panthéiste et l'imagerie folk. Si Bright star dresse le portrait d'un écrivain romantique, le film est lui même en se centrant sur une romance rendue impossible par les différences sociales et par la maladie. Visuellement, le film s'inspire en revanche moins de la peinture romantique que de la peinture flamande et semble recréer des toiles de Vermeer (portrait d'une femme qui coud, multiplication des différents plans en perspectives dans les intérieurs). Le couple d'amoureux de Bright Star badine dans des champs de fleurs de couleur pourpre. Ces séquences font autant penser à Elvira Madigan (1967) de Bo Widerberg qu'au cinéma de Terrence Malick. Leur couleur pourpre, l'insistance sur l'automne et le physique de John Keats (brun, cheveux longs) évoque eux l'univers et la personne du chanteur Nick Drake comme l'a souligné la réalisatrice: John Keats, poète maudit, était peut être l'équivalent au XIXème siècle des chanteurs ténébreux de la pop music du XXème siècle...
 
Si Bright Star est bien un film en costume, il s'éloigne néanmoins de l'académisme ampoulé d'un Orgueil et Préjugés (2005, Joe Wright): la caméra, hésitante et tremblante, suit avec sensibilité et pudeur le couple fragile de John Keats et Fanny Brawne. La jeunesse des comédiens contribue également à insuffler un sentiment de vérité qui abolit toute impression de reconstitution. Lyrique, épuré mais stylisé, Bright Star séduit visuellement à défaut de surpasser une histoire pour le moins classique.
 
22.11.13.

Autobiography of a Princess / Autobiographie d'une princesse (1975) de James Ivory



Sorti après The Wild Party (1975), vision de la décadence d'Hollywood dans les années 1920, Autobiographie d'une princesse marque le retour du trio formé par le réalisateur américain James Ivory, le producteur indien Ismail Merchant et la scénariste Ruth Prawer Jhabvala, une anglo-indienne d'origine allemande, à leur sujet de prédilection qui l'héritage de l'Inde colonial et de son influence sur le Royaume-Uni. 

Le film, d'une durée de 56 minutes, s'apparente à un moyen métrage et relate l'après midi d'une princesse indienne exilée à Londres qui invite l'ancien tuteur de son père à prendre le thé chez elle. Les deux amis regardent des images de l'Inde passée et actuelle projetées depuis un rétroprojecteur. L'ancienne aristocrate et le vieux colon (interprété par un James Mason sur le déclin) confessent à tour de rôle un regard nostalgique envers la période du Raj britannique. Les déclarations des maharajas déchus à l'époque contemporaine témoignent dans le même sens. En recréant l'Inde d'antan par les dialogues et par les images d'archives, Autobiographie d'une princesse trahit donc un regard assurément passéiste. Mais force est de reconnaître que l'ensemble n'est pas très convaincant sur le plan cinématographique: en mettant en regard deux époques de l'Inde, Autobiographie d'une princesse annonce Chaleur et Poussière qui, sur le même sujet, est nettement plus convaincant et envoutant. 

23.11.13.

Au Hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson



Comme Pier Paolo Pasolini, Robert Bresson, qui se déclare "chrétien athée", questionne dans son cinéma la religion catholique et la question de la foi. Le réalisateur a ainsi collaboré sur son premier film Les Anges du péché (1943) avec le père dominicain Bruckberger et a adapté Le Journal d'un curé de campagne d'après Bernanos en 1950. 

La passion christique d'un âne. Dans Au Hasard Balthazar, un âne passe de main en main dans un petit village et devient le témoin autant que la victime des méchancetés des hommes. Bresson a tenté de mettre en scène les sept péchés capitaux: il donc question d'avarice, de colère, de luxure... L'âne s'appelle Balthazar, tel le roi mage, et son premier maître se prénomme Marie, comme la vierge. Le film s'ouvre sur le baptême de l'âne et la guirlande de fleurs que les enfants placent sur la tête de l'annonce évoque la couronne d'épine du christ. L'âne sera par la suite fouetté, battu, moqué comme le Christ lors des différentes stations du chemin de croix. Figure christique (l'âne est aussi l'animal à dos duquel Jésus arrive à Jérusalem), Balthazar, qui porte la douleur et les péchés des hommes, finira abattu et abandonné sur une colline, version moderne du Golgotha. 

Le style de Bresson. Pour illustrer cette histoire fortement emprunte de catholicisme, Bresson a recours à une mise en scène épurée et froide. Si Bresson rappelle avec amusement la modernité des années 60 (des loubards en blouson de cuir se promènent en moto et écoutent de la musique yéyé), il semble surtout fasciné par la vie campagnarde des Landes. La bande-son se compose d'une unique sonate au piano de Schubert tandis que la photographie en noir et blanc de Ghislain Cloquet rend à la fois la dureté et la beauté des visages. Fidèle à sa fameuse technique de direction d'acteurs (ou de "modèles" comme il préfère les appeler), Bresson épuise ses comédiens (des non-professionnels) pour qu'ils énoncent leur dialogue de façon mécanique. Filmant l'action et les personnages avec distance, Bresson signe un film déroutant: Bresson associe à la sobriété la pudeur, le retrait à l'émotion. 

01.12.13.

At Berkeley (2013) de Frederick Wiseman



Depuis Titicut Folies (1967), son premier film, Frederick Wiseman n'a cessé de filmer aux Etats-Unis comme en France la société et ses institutions, qu'elles soient judiciaires, militaires, administratives, industrielles, policières, religieuses, culturelles, artistiques, sportives... Dans son dernier film, le documentariste américain filme le campus de l'université de Californie à Berkeley. 

Axant son film autour du débat concernant les réductions budgétaires de l'état de Californie et l'augmentation des droits d'inscription pour les étudiants, Wiseman scrute les signes d'une démocratie en crise. Le charismatique "chairman", le président de l'université, a beau garder le sourire, on comprend bien le déclin du prestige de la vieille université publique qu'est Berkeley et l'on mesure l'atteinte à l'égalité devant le droit à l'éducation. Bien qu'il n'y ait jamais eu autant d'élèves issus de milieux défavorisés scolarisés à Berkeley, un malaise social se révèle: les étudiants de couleur évoquent le racisme de leurs camarades et chacun craint devoir assumer une certaine représentation sociale en prenant la parole. A Berkeley, université historiquement liée à la contestation (les étudiants se réfèrent au free speech movement de Mario Savio dans les années 60), la colère gronde et le doute face au rêve américain s'instaure.  

Si Frederick Wiseman détient un sujet en or pour révéler une Amérique en crise, son modus operandi est plus discutable. Ayant tourné plus d'une cinquantaine d'heures de film, Wiseman n'en a gardé que quatre. Mais il faut avouer que la longueur du métrage, malgré les enjeux intéressants du films, fatigue le spectateur. Wiseman abuse d'une structure répétitive où il intercale, des plans larges de l'université entre chaque séquence de parole, comme des plans de coupe pour faire souffler le spectateur. Mais ce dernier a du mal à suivre l'enchainement continu des réunions dans des salles de conseil. Les différentes séquences (les réunions d'élèves et les réunions pédagogiques, les cours et les revendications sociales) se répètent ainsi inlassablement pour le public à qui Wiseman demande une attention constante. Si At Berkeley traduit une démarche utile et intelligente de Wseman, elle n'en est pas moins une œuvre exigeante.

 11.11.13.