mardi 8 juillet 2014

Die Monster Die ! / Le Messager du Diable (1965) de Daniel Haller



Directeur artistique sur la plupart des adaptations d'Edgar Poe par Roger Corman, Daniel Haller passe à la mise en scène en 1965 avec Die Monster Die !, d'après une nouvelle de H.P. Lovecraft, romancier héritier de l'œuvre de Poe. Pour l'AIP (American International Picture), la société de Roger Corman, il s'agit, en passant de Poe à Lovecraft[1], d'amorcer une sensible modernisation de la production des films d'horreur en soulignant une transition du film gothique vers le film de Science-fiction.

Du film gothique...  Alors que l'action de la nouvelle de Lovecraft (La couleur tombée du ciel datant de 1927) se situait dans une ferme rurale, celle du film se situe dans un manoir[2]: la demeure, aristocratique et recluse, crainte par les villageois, apparaît comme le cadre classique de l'univers gothique. Le décor du château[3], entre des intérieurs surchargés (on se croirait au musée de Cluny !) et des sous-sols poussiéreux, s'inscrit dans la lignée de l'esthétique du cycle des adaptation de Poe. 

Les personnages sont tout autant archétypaux: le maître de maison, incarné par la (vieille) star du film d'horreur Boris Karloff, se déplace en fauteuil roulant, accompagné d'un serviteur inquiétant; il se méfie de son jeune gendre lequel, par amour pour sa fille, entend sauver la famille de l'emprise d'un père dominateur. Les schémas narratifs du gothique se répètent: déambulation du héros (réveillé par des cris dans la nuit) à la lueur d'une chandelle dans les couloirs du château, tentative de résolution du mystère de la malédiction familiale, destruction par le feu de la maison hantée. 

au film de Science-fiction. Bien que l'action se situe à l'époque contemporaine, tous les éléments susmentionnés laissent penser que Die Monster Die constitue un énième film gothique héritier de la littérature du XIXème siècle. Le dernier quart d'heure du film engendre néanmoins une transformation vers la SF. Le personnage de Boris Karloff est celui du scientifique fou dont le péché d'hubris lui sera fatal: il souhaite créer un monde meilleur à partir de la substance d'une étrange météorite dont les effets sont radioactifs. 

Le décor du cratère où est atterrie la météorite évoque des films comme The Monolith Monsters / La Cité pétrifiée (1957) de John Sherwood alors que les expérimentations réalisées dans la serre (constitution de fruits et de plantes de taille disproportionnée) et la transformation finale de Boris Karloff en une sorte de zombie phosphorassent évoquent ainsi L'invasion des profanateurs de sépulture (1958) de Don Siegel, autre film marqué par la peur du nucléaire. 

Die Monster Die constitue ainsi une subtile variante du film d'horreur gothique comme AIP en produisait à la chaine dans les années 60. Il ne s'agit pas pour autant d'un film original mais le film peut séduire les aficionados des productions de Corman, amoureux d'un cinéma naïf et coloré.  

08.07.14.



[1] La Malédiction d'Arkham (1963), qui s'inscrit dans le cycle Poe, était déjà une adaptation de Lovecraft. En 1970, Daniel Haller allait signer The Dunwich Horror, une autre adaptation de Lovecraft  pour AIP.
[2] Le scénariste de Die Monster Die, Jerry Sohl, a participé à l'écriture d'épisodes de la Twilight Zone: les épisodes de lu cycle Poe étaient signés par Richard Matheson et Charles Beaumont, les scénaristes attitrés de la série TV  de Rod Serling.
[3] Comme auparavant Le masque de la Mort rouge et Le Tombeau de Ligeia, Die Monster Die  a été tourné en Angleterre au studios Shepperton. Le film comporte également des comédiens anglais qui étaient apparus dans des films de la Hammer: Suzanne Farmer, la fille du châtelain (Boris Karloff), a joué dans The Devil-Ship Pirates (1963) et Raspoutine, le moine fou (1966) de Don Sharp, ainsi que dans Dracula, Prince des Ténèbres (1966) de Terence Fisher alors que Freda Jackson, l'épouse de châtelain, tenait un rôle dans The Brides of Dracula (1961) de Terence Fisher et The Shadow of the Cat (1961) de John Gilling. La vedette masculine, Nick Adams, est un acteur venu de la TV qui s'est illustré dans la série western The Rebel.

lundi 7 juillet 2014

L'Immortel (2010) de Richard Berry

 
Richard Berry, vedette du polar dans les années 80 (Le Grand Pardon, La Balance, Spécial Police), se lance dans la mise en scène au début des années 2000. Après La boite noire (2005), thriller psychologique avec José Garcia, Richard Berry signe L'Immortel, un polar sur la mafia marseillaise, produit par EuropaCorp, la société de production de Luc Besson.
 
Jacky le mat. L' "immortel", c'est Charly Matteï, incarné par Jean Reno, gangster à la retraite inspiré par Jacky le mat, truand qui régna sur la cité phocéenne dans les années 1970. Adapté d'un roman de Franz-Olivier Giesbert, le film préfère transposer l'action à l'époque contemporaine.[1] Laissé pour mort dans un parking avec 22 balles dans le corps, l'ancien hors-la-loi refuse de mourir et met en place sa revanche contre le parrain de la ville qui fut jadis un ami d'enfance. Les thématiques de L'Immortel sont très convenues: vengeance et trahison, incapacité du criminel à tourner la page de son passé, la violence engendre la violence...
 
Un Parrain à Marseille. Richard Berry, pour la représentation de la mafia, semble s'inspirer de Francis Ford Coppola: le méchant parrain (Kad Merad en gangster corse !), reçoit ses visiteurs dans la pénombre de son bureau, les sanglants règlements de compte sont montés en parallèle avec une séquence de cérémonie familiale (le mariage du fils du patron) et l'opéra (Puccini et Verdi) illustrent musicalement la tragédie sanglante de l'histoire. Jean-Pierre Darroussin, en avocat de la famille, fait office de Tom Hagen, en ayant le crâne tout aussi dégarni que Robert Duvall. D'autres poncifs complètent le scénario balisé[2] de L'Immortel: le parrain, maniaque de la propreté, répugne par sa froide violence, son appartement opulent et ses collusions avec un monde politique corrompu; l'immortel bénéficie de l'aide d'une flic alcoolique, bien décidée à coffrer celui qui est responsable de la mort de son mari.
 
Un exemple de production d'EuropaCorp. La mise en scène de Richard Berry illustre les traits caractéristiques des productions de la société de Luc Besson[3]: Pour souligner l'émotion, le ton s'avère lyrique (musique d'opéra, amples et fluides mouvements de caméra) et les scènes d'action (poursuite en voiture, fusillades) sont "boostées" par un montage énergique et une bonne dose de violence. Le film lorgne parfois vers la publicité: dans une séquence grotesque, la caméra tourne autour de Jean Reno, lequel discute avec son chien au bord de la mer, accompagné d'un plat de pates, le tout sur air de Pavarotti...
 
Un scénario convenu, de l'action et de belles vues de Marseille sont les recettes de L'Immortel, une production EuropaCorp qui apparaît comme une série B en dépit de l'importance de son budget (17 millions d'euros). Le divertissement, à défaut de l'originalité, est tout de même au rendez-vous.
 
08.07.14.



[1] D'autres polars français préfèrent faire le pari de la reconstitution: Sans haine ni violence (2007) de Jean-Paul Rouve sur l'affaire Spaggiari, le dyptique de Jean-François Richet sur Mesrine (2008), Les Lyonnais (2011) d'Olivier Marchal sur le gang des Lyonnais ou encore bientôt La French (2014) de Cédric Jimenez sur l'assassinat du juge Pierre Michel
[2] Le scénario est signé par le tandem Alexandre de la Patellière (fils de Denys) et Matthieu Delaporte qui avait écrit les scénarii des Parrains (2005) de Frédéric Forestier, Renaissance (2006) de Christian Volckman et surtout Le Prénom (2012) qu'ils ont eux même réalisé.
[3] Notons cependant que le film est produit par Pierre-Ange Le Pogam.

samedi 1 février 2014

La Trilogie de la Vie de Pier Paolo Pasolini


Il Decamerone / Le Décaméron (1971)
I Raconti di Canterbury / Les Contes de Canterbury (1972)
Il fiore delle mille e una notte / Les Mille et Une Nuits (1974)

Après l'adaptation de l'Ancien Testament (L'évangile selon Saint Matthieu, 1964) et de mythes antiques (Oedipe Roi en 1967 et Médée en 1970), Pasolini poursuit sa relecture des textes fondateurs avec la trilogie de la Vie. 
Retour aux textes premiers. Pour Pasolini, revenir aux grands récits de la littérature, c'est retourner aux fondements de la culture et de l'histoire. Ces classiques nous frappent aujourd'hui par leur audace subversive, leur violence première et leur crudité intacte. Les contes proposés par Le Décaméron, Les Contes de Canterbury ou Les Mille et Une Nuits se présentent ainsi comme des histoires simples et triviales, accessibles à tous[1]: on y énonce des moralités élémentaires et universelles (la dénonciation de l'injustice, de l'avarice, du pouvoir), on se moque des puissants (les autorités religieuses, le pouvoir politique) et on y prône la vie, l'humour et le désir. 
Le sexe et l'art comme moteurs de la vie. Le sexe, thématique récurrente de la trilogie, apparaît comme le moteur de cette vitalité, le sang indispensable à la vie. L'art apparaît lui aussi comme un élément nécessaire pour réinventer notre vie et notre quotidien: l'idée est portée par Pasolini lui même  qui incarne dans ses films deux personnages d'artistes (l'écrivain Chaucer dans Les Contes de Canterbury et le peintre Giotto dans Le Décaméron). Les trois films de la trilogie forment donc bien un corpus cohérent bien que chacun se différencie par des éléments singuliers: Le Décaméron revient régulièrement sur la thématique de la duperie, Les Contes de Canterbury se distingue par son sens du grotesque (scatologie et vision de l'enfer) alors que Les Mille et Une Nuits séduit par son exotisme et peut être par un érotisme plus assumé que dans les deux autres films. 
La reconstitution selon Pasolini. Dans la lignée de son travail sur Oedipe Roi et Médée, Pasolini réinvente le film à reconstitution. Pasolini participe à un double mouvement: d'un côté, il rompt avec le péplum en nous montrant une vision réaliste et brute du passé (on y voit des animaux, des basses-cours, des vêtements cousus à main ou déchirés, des corps nus); de l'autre, il procède en même temps à une stylisation extrême de certains costumes ou décors. En faisant renaître le passé avec du neuf, en procédant à un bricolage syncrétique, un mélange des différentes cultures et nationalités, Pasolini produit une sorte d'esthétique "new age". Ainsi, dans Le Décaméron, un roi est coiffé d'une toque russe et ses soldats sont armés de hallebardes de taille démesurée, dans Les Contes de Canterbury, un sketch avec un clochard débrouillard renvoie aux muets de Chaplin, dans Les Mille et Une Nuits, une armure en toc évoque moins le Moyen-âge qu'un robot de Science-fiction... 
Après la sortie des Les Mille et Une Nuits, Pasolini renie la trilogie de la Vie car il considère les films comme trop convenus. Il se lance alors dans une "trilogie de la mort", initiée par Salo ou Les 120 jours de Sodome en 1975 mais qui restera inachevée en raison de la mort du cinéaste la même année.
 
06.01.14.


[1] Avec la trilogie de la Vie, qui se caractérise par un regard décomplexé sur le sexe et la nudité, Pasolini trace la voie pour un genre spécifique de la comédie populaire italienne qui est la "sexy comedy" dans les années 70.

dimanche 26 janvier 2014

Un Roi sans Divertissement (1963) de François Leterrier



L'auteur provençal Jean Giono est adapté à plusieurs reprises dans les années 30 par Marcel Pagnol (Regain, La Femme du Boulanger, Jofroy ou encore Angèle). En 1960, le romancier passe lui-même à la mise en scène en réalisant Crésus avec Fernandel. Avec la société de production "Les Films Jean Giono", il se lance dans le projet d'une adaptation de son propre son roman Un Roi sans Divertissement, écrit en 1947, et dont il confie la réalisation à François Leterrier, auteur d'une adaptation des Mauvais Coups de Roger Vailland en 1960. 

Giono revu par Giono. En adaptant son propre texte, Giono se livre à l'exercice de faire du neuf avec de l'ancien. Il remodèle alors complètement le récit de son roman: il rajeunit les personnages (dont celui de Langlois, donnant ainsi une dimension de récit d'apprentissage), en supprime quelque uns ou les condense. L'ordre de succession des différentes séquences est modifié et Giono se concentre sur la première partie de son roman, le pastiche d'intrigue policière focalisée sur la poursuite d'un assassin dans un petit village enneigé du Sud. Les tours de force stylistiques du roman (multiplication des narrateurs avec un jeu sur les champs lexicaux, un art de la digression) disparaissent donc dans le film au profit d'une attention envers le sujet véritable de l'œuvre: l'ennui qui mine les hommes et la tentation du crime, divertissement suprême, pour y contrevenir. En ce sens, les dialogues du texte sont bien plus explicites que dans le roman et le personnage du procureur, interprété par Charles Vanel, qui ne cesse de commenter l'action, peut être vu comme un double de Giono, exégète de sa propre œuvre. 

Du sang sur la neige. Si des spécificités du roman disparaissent lors de l'adaptation, celle-ci frappe par ailleurs par sa puissance visuelle. Le roman de Giono, obsédé par l'image du sang sur la neige, était déjà proprement visuel. Les images du film de Leterrier, "film en couleurs sans couleurs" (à l'exception du sang donc) pour reprendre les mots de ses auteurs, impressionnent. Les décors naturels et les villages de l'Aubrac (dans le massif central) fascinent: le plan inaugural où une tache noire (le cavalier Langlois) se détache péniblement du blanc de la neige évoque le western (des films postérieurs comme Le Grand Silence ou Pale Rider). Les descriptions purement psychologiques des personnages par Giono sont traduites à l'écran par des images nouvelles: la fascination de Langlois pour un lustre de verre comme révélateur de sa fascination pour un mal froid, tranchant mais grandiose; la reprise du lacet du tueur par Langlois pour suggérer sa déviance vers le crime... L'image et la musique (splendide complainte de Jacques Brel qui explicite le récit), les comédiens et les décors: tous les outils du cinéma sont pleinement au service de l'adaptation de l'un des grands romans de la littérature française du XXème siècle.
 

24.12.13.

Un Cœur gros comme ça (1961) de François Reichenbach

Metteur en scène de courts-métrages et de films documentaires, François Reichenbach réalise son premier long métrage avec L'Amérique insolite, reportage sur les Etats-Unis, produit par Pierre Braunberger (son cousin) avec un commentaire de Chris Marker et une musique de Michel Legrand. Il tourne ensuite Un Cœur gros comme ça, un film pseudo-documentaire sur un jeune sénégalais qui arrive à Paris pour tenter sa chance en tant que boxeur. Après Moi un noir (1958) de Jean Rouch et On n'enterre pas le dimanche (1960) de Michel Deville,  Un Cœur gros comme ça est récompensé par le prix Louis-Delluc, décidément sensible à la question de la représentation de la population noire dans le cinéma français.
 
Le film de Reichenbach montre la découverte naïve (et touchante) de Paris par Abdoulaye Faye: le jeune boxeur n'a jamais vu de neige, découvre la fumée créée par le froid et visite les musées de la capitale (dont les mannequins des généraux de la colonisation au musée de l'armée aux Invalides...). Candide, il écoute avec intérêt les conseils d'une voyante ou de ses compagnons de voyage dans un train qui lui expliquent comment séduire les femmes (lui est amoureux de Michèle Morgan...). Comme dans On n'enterre pas le dimanche, le jeune noir vit dans une petite chambre de bonne sous les toits et connait angoisses et déceptions. Parfois confronté au racisme, il impose qu'on l'appelle par son prénom et évite de créer des problèmes (il craint les accidents de voiture car on le rendrait à tort responsable).
 
Tourné avec une caméra clandestine et des micros cachés, le film frappe par son naturel mais s'écarte du cinéma-vérité au profit de séquences poétiques (dont une ballade en barque au bois de Boulogne) ou d'une vérité aménagée (emploi d'une voix-off). Le film se présente véritablement comme un portrait: les séquences de boxe sont rares et n'arrivent qu'à la fin du film. Reichenbach préfère filmer les réactions (violentes) des spectateurs (dont Belmondo !) que le match lui-même. D'ailleurs, Abdoulaye finit par perdre le combat. Mais tel le futur Rocky, le boxeur accepte avec humilité la défaite, "petite sœur de la victoire".
 
15.01.14.

Rysopis / Signes particuliers: néant (1964) de Jerzy Skolimowski


Après avoir scénarisé un film de Wajda (Les innocents charmeurs, 1960) et de Polanski (Le couteau dans l'eau, 1962), Jerzy Skolimowski, issu de l'école de Lódz, réalise son premier long métrage, Rysopis / Signes particuliers: néant, en 1964. Le film inaugure une série de films à caractère autobiographique, mettant en scène Andrzej Leszczyc, personnage d'éternel « adulescent », double attachant du réalisateur (joué par Skolimowski lui-même dans trois films sur quatre). 

La légèreté du film de Skolimowsvki semble inspirée par le cinéma de Nouvelle Vague française. Centré sur les mésaventures d'un jeunesse qui peine à trouver sa place dans la société, Rysopis adopte un ton doux-amer: Andrzej est un étudiant qui n'a toujours pas fini ses études (ou plutôt les avait-il déjà commencées ?) et qui a fui le service militaire (ce détail fait écho au statut de déserteur de Doisnel dans Baisers volés de Truffaut; la critique se plaît souvent à comparer la série Doisnel avec les films de Skolimowski). Il s'enlise dans une relation amoureuse qui ne semble guère lui convenir, s'occupe de son chien enragé et passe la plus part de son temps à flemmarder... Andrzej Leszczyc apparaît donc comme un véritable antihéros, un looser sympathique guetté par l'anonymat, le néant (suggéré par le titre du film). 

Disposant de peu de moyens, Skolimowski dynamise constamment sa mise en scène par des trouvailles. Il multiplie ainsi les plans séquences et les expérimentations visuelles: un emploi de la caméra subjective, une discussion entre des protagonistes dont on ne voit que les ombres, un plan étrange sur le reflet des clients dans la glace d'une table de café... Skolimowski confirme son statut de cinéaste jeune mais déjà audacieux, qui n'hésite par à dresser un portrait peu positif de la Pologne: on voit dans Rysopis des paysages tristes, des accidents de tramway, des soldats qui défilent au loin comme des automates et des vieux vétérans de la guerre qui radotent leurs exploits alors que leurs blessures furent causées par la vie civile... 

Après ce début prometteur, Skolimowski développera ces thématiques (le portrait de la jeunesse et la peinture de la société polonaise des années 60) dans ses films suivants tel que Walk-over (1965, davantage autobiographique, évoquant le passé de boxer et l'amour du jazz du réalisateur) La Barrière (1966, sa réflexion la plus aboutie sur la question de la jeunesse) et Haut les mains (1967, son film le plus critique envers le régime communiste). 

15.01.14.

 


Rampart (2011) de Oren Moverman

Après The Messenger (2009), remarquable film sur les soldats chargés d'annoncer aux familles le décès des victimes tombées au combat, Oren Moverman aborde de nouveau un sujet douloureux avec Rampart qui parle des violences commises par la police.
 
Coécrit avec le romancier James Ellroy, le film de Moverman se centre sur Dave Brown, membre de la LAPD, la police de Los Angeles. L'officier Brown, raciste et violent, est poursuivi par la justice après avoir brutalement molesté un suspect, la bavure ayant été enregistrée par une caméra de surveillance. Faisant référence aux scandales de la police de LA dans le quartier de Rampart à la fin des années 90, le film évoque également l'affaire de Rodney King: Ellroy, habitant et chantre des histoires noires de la "cité des anges", évoquait déjà l'affaire dans son scénario (original) de Dark Blue (2002), réalisé par Ron Shelton. En décrivant le quotidien sordide la LPDA, Ellroy devient l'héritier de Joseph Wanbaugh, l'auteur des Nouveaux centurions.
 
Rampart dresse un portrait sans concession: le personnage du policier, les nerfs à vif sur son crâne chauve, répugne le spectateur. La froideur du flic empêche toute assimilation au personnage et le film refuse toute fascination ambigüe que peuvent engendrer certains films comme L'Inspecteur Harry. S'éloignant des archétypes des films centrés sur des policiers, le film accorde un place plus importante que d'habitude pour développer la difficile vie familiale du flic: ici, il peine à trouver sa place dans une famille étrange, où il vit avec deux sœurs, qui ont été tour à tour ses épouses.
 
Le pathétique du personnage qui s'enfonce peu à peu dans la folie et la solitude émeut: Rampart n'est pas un film policier avec des scènes d'action (le film refoule d'ailleurs de façon étonnante toute manipulation et théorie du complot, qui ne naissent que de la névrose du personnage) mais s'avère bien un film psychologique sur un homme égaré et malade. Le film se démarque des autres films sur Los Angeles en ne montrant que la ville de jour et de façon réaliste. Le film baigne constamment dans une lumière âpre, à l'image de son personnage principal, nu dans sa folie, seul dans son errance.
 
13.01.14.

Porcile / Porcherie (1969) de Pier Paolo Pasolini



Après Théorème (1968), Pasolini poursuit avec Porcherie le développement d'un cinéma radical qui annonce Salo ou Les 120 jours de Sodome (1975) tant dans ses thématiques que dans son absence de concession pour le spectateur. 

Porcherie se caractérise par son double récit, monté en parallèle. La première histoire met en scène un homme affamé, meurtrier et cannibale, dans un paysage désertique et volcanique, dans une époque indéterminée mais qui évoque le Moyen-âge. Condamné à mort, l'anthropophage déclare finalement: "J'ai tué mon père, j'ai mangé de la chair humaine et je tremble de joie"... La second histoire se situe dans l'Allemagne des années 60: deux industriels bourgeois se menacent de chantage (la passé de criminel de guerre de l'un contre les pratiques sexuelles honteuses du fils de l'autre). Il finissent par s'allier mais le fils dérangé se fait dévorer par les cochons qu'il aime trop... 

Les deux segments de Porcherie font écho à d'autres films de la filmographie de Pasolini: prévue pour être distribuée avec Simon du désert (1965) de Buñuel, la première partie de Porcherie évoque la barbarie d'Oedipe roi, de Médée ou les temps premiers des Mille et Une Nuits. Tournée sur les pentes du volcan Etna, elle renvoie à la fin de Théorème. La seconde partie, qui met en scène un riche milieu industriel, évoque également ce dernier film. 

Tout sépare la première histoire de la seconde: alors que la première est spectaculaire, épique et quasi-muette, la seconde est théâtrale[1] et bavarde. La juxtaposition des récits déroute alors le spectateur qui cherche le lien entre les deux. La violence sociale instaurée par le fascisme répond-t-elle à la violence primitive d'hier ? Bien que la violence, dans la société fasciste, n'est pas présente de façon explicite, la violence physique et brutale subsiste tout de même: le fils bourgeois sera dévoré par les cochons. 

Parallèlement aux questionnements sur la violence et le mal, Pasolini semble soulever d'autres interrogations: dans les deux récits, les jeunes réfractaires de la société (Pierre Clementi assassin autoproclamé de son père, Jean-Pierre Léaud qui refuse de suivre les projets du sien) seront voués à la mort. Pasolini semble convoquer deux anciens mythes: celui de Saturne (la société dévore ses enfants qui ne lui obéissent pas) et celui d'Oedipe (l'incapacité de l'homme à accepter l'autorité paternelle le conduit à la violence). Vers la fin du film, le personnage de Pierre Clémenti prend même des airs christique (l'exécution d'un homme nu et hirsute): n'est-il pas une belle incarnation de la contestation ou de la jeunesse ? 

Provocateur et dérangeant, Porcherie préfigure fortement Salo ou Les 120 jours de Sodome. Pasolini se livre ainsi à une critique acerbe de la persistance du fascisme dans la société contemporaine, ces derniers continuant à tirer les rênes du pouvoir: les fascistes se sont désormais reconvertis dans l'industrie et œuvrent dans l'actuelle société de consommation, nouvelle forme d'extermination et de destruction. Pasolini opère une association entre bourgeoisie et fascisme et dénonce une classe grotesque: le père de Léaud, interprété de façon cabotine par l'acteur Alberto Lionello, est doté d'une risible moustache hitlérienne. Le fascisme pointé du doigt par Pasolini engendre une génération malade, en perte d'identité, incarnée par le personnage de Jean-Pierre Léaud. Véritable ignominie, le fascisme est lié à l'abjection de la basse-cour[2]: c'est parce que les cochons doivent retourner avec les cochons que le personnage de Jean-Pierre Léaud, l'héritier du fascisme, finit par être dévoré, comme par punition (consentie ?) pour les crimes de son père. 

A sa sortie, Porcherie divisa fortement la critique qui dénonça un film obscur. En effet, si Porcherie est l'un des films les plus originaux de son auteur, c'est aussi et sûrement l'un de ses films les plus mystérieux et intéressants, ouverts à une libre interprétation.

06.01.14.



[1] Cette partie du film reprend la pièce de Pasolini également intitulée Porcherie et montée en 1968.
[2] C'est déjà sur un plan sur des cochons que s'ouvrait Mamma Roma (1962).

On n'enterre pas le dimanche (1960) de Michel Drach

 
Cousin de Jean-Pierre Melville, Michel Drach commence sa carrière en tant qu'assistant-réalisateur sur le tournage du Silence de la Mer (1949) et des Enfants terribles (1950). On n'enterre pas le dimanche est le premier long métrage de Drach après quelques courts métrages.
 
Un film proche de la Nouvelle Vague. Sorti en 1960, le film assimile les caractéristiques de la Nouvelle Vague naissante: tournage en extérieur à Paris avec des jeunes comédiens non professionnels, caméra mobile, emploi d'une bande-son jazz (signée ici par le batteur américain Kenny Clarke), goût du littéraire (le personnage principal devient écrivain) et adaptation d'un roman noir (écrit par le français Fred Kassek) qui révèle néanmoins un amour de la culture américaine. Néanmoins, si On n'enterre pas le dimanche se rapproche des films de la Nouvelle Vague, il s'en démarque aussi car il n'apparaît à aucun moment comme un film amateur.
 
Les noirs dans le cinéma français. Plus que son style (usuel bien que jeune dans le cinéma de l'époque), l'originalité de On n'enterre pas le dimanche réside surtout dans son personnage principal, Philippe, un jeune noir d'origine martiniquaise qui essaye de trouver sa place dans la capitale. Michel Drach nous donne ainsi à voir un des rares exemples de représentation des noirs dans le cinéma français (si l'on excepte l'exotisme de Joséphine Baker ou l'exemple récent d'Omar Sy)[1]. Un an après Moi un noir (1958) de Jean Rouch et un an avant Un cœur gros comme ça (1961) de François Reichenbach, le prix Louis-Delluc qui récompense le film de Drach est donc de nouveau décerné à un film sensible à la question de la représentation de la population noire dans le cinéma français.
 
Un regard critique sur la société française. Rejeté par la société, Philippe est d'abord réduit à des tâches secondaires: après un boulot de gardien au musée Grévin, il devient une publicité vivante pour "Rozana" et déambule dans les rues de Paris dans une bouteille géante. Il ne trouve de l'affection qu'auprès d'une suédoise, qui n'est pas choquée par sa couleur de peau parce qu'elle est étrangère. Philippe parvient à placer sa petite amie dans une famille bourgeoise (le mari est un éditeur condescendant, son épouse une vamp délurée) en tant que fille au pair. Les différences sociales vont perpétuer la discrimination raciale dont il était victime et vont l'entraîner dans une intrigue criminelle. Le film s'apparente donc aussi à un film noir, avec des séquences archétypales comme la scène de l'interrogatoire de police ou l'assassinat en bord de route à la campagne. En utilisant les codes d'un cinéma de genre, Michel Drach en profite pour mieux placer son regard critique sur la société française de l'époque.
15.12.13.


[1] L'acteur noir, Philippe Mory, a réalisé un film: Les Tams Tams se sont tus (1972), tourné en Afrique, est un œuvre militante dans l'ère post-colonialiste. La bande-son est signée par le saxophoniste Manu Dibango. Le film est édité par Arte vidéos.

Человек-Амфибия / L'Homme Amphibie (1962) de Vladimir Chebotaryov & Gennadi Kazansky


Sorti la même année que Planeta Bur[1] de Pavel Klushantsev en 1962, L'Homme Amphibie marque le renouveau du film de science-fiction dans le cinéma soviétique[2]. Grand succès populaire (plus de 65 millions de spectateurs), L'Homme Amphibie est adapté d'un roman de 1928 écrit par Alexandre Belaiaïev, écrivain majeur de la littérature russe de science-fiction. 

Le récit de L'Homme Amphibie ressemble, par sa simplicité, à un conte. Le film se situe dans un village portuaire indéterminé qui évoque l'Amérique latine (on voit des sombreros et des églises catholiques) bien que le film fut tourné sur les côtes de l'Ukraine. L'homme amphibie du titre, qui sème la panique chez les pécheurs locaux, finit par s'éprendre d'une jeune femme qu'il sauve d'une attaque de requin. Mais l'union des deux amoureux est impossible: l'homme amphibie est victime du rêve fou de son scientifique de père, qui souhaite créer une république sous-marine parfaite et son amoureuse est sous l'emprise d'un méchant patron qui veut exploiter l'homme amphibie afin de récupérer des perles dans la mer...

Variation sur les motifs de la belle et la bête (le monstre amoureux de la belle femme[3]) et de la petite sirène (l'incapacité de l'homme marin à vivre en dehors de l'eau), L'Homme Amphibie reprend aussi le motif tragique d'un amour impossible à la Roméo et Juliette. Le film exploite également de nombreux archétypes de la science-fiction dont l'absurde utopie d'un scientifique (fou, comme il se doit) qui a installé son laboratoire "hight tech" dans un repaire rocheux à la capitaine Nemo (comprendre des décors de carton-pâte et bidons avec des portes automatiques). Le film emprunte pleinement à la culture populaire et se termine même par une séquence d'évasion de prison (avec course-poursuite !). L'Homme Amphibie veut donc faire rêver le spectateur russe en lui offrant un cinéma de genre haut en couleurs. 

Si L'Homme Amphibie se présente comme un divertissement populaire, le film n'en est pas moins dénué de sous-texte politique. Ainsi, le mari de l'amoureuse de l'homme-amphibie, le riche bourgeois qui loue les service des pécheurs pour les recherches de perles, incarne le méchant capitaliste, cupide et insensible. Si le film embrasse la doctrine du réalisme socialiste, il étonne néanmoins en montrant une méfiance envers le progrès scientifique (le père de l'homme-amphibie recherchait le bonheur de son fils mais a engendré son malheur) et envers la justice (elle se range du côté du mauvais patron et est prête à emprisonner les journalistes qui dérangent...). Autre séquence surprenante: la déambulation nocturne de l'homme-amphibie dans la ville, une "city" à l'américaine avec jazz et panneaux lumineux...

Avec son mélange d'audace et de naïveté, L'Homme Amphibie dégage une poésie évidente. Si les séquences aquatiques séduisent par leur beauté, le costume en paillette (façon Claude François) de l'homme-amphibie frôle lui le ridicule. La mise en scène, qui impressionne par son sens du cadrage héritier du cinéma muet (usage récurrent de la contre plongée et du cadre de biais) contribue également à la splendeur du spectacle désuet mais charmant de L'Homme Amphibie.

12.01.14.


[1] Le film fut remonté et "retravaillé" par Roger Corman pour une distribution américaine avec Voyage to the Prehistoric Planet (1965) de Curtis Harrington puis avec Planet to the Planet of Prehistoric Women (1968) de Peter Bogdanovich.
[2] Aelita (1924) de Yakov Protazanov est souvent considéré comme le premier grand film de science-fiction du cinéma soviétique.
[3] véritable poncif du cinéma fantastique que l'on retrouve dans King Kong, L'étrange créature du Lac noir, qui par sa poésie naïve et par ses séquences sous-marines évoquent le film russe

Man of the Forest / Les Hommes de la Forêt (1933) de Henry Hathaway

Ancien assistant de Victor Fleming et de Josef Von Sternberg, Henry Hathaway commence sa carrière de réalisateur à la Paramount avec une série de westerns de série B interprétés par un jeune Randolph Scott et adaptés de romans de Zane Grey: Heritage of the Desert et Wild Horse Mesa, sortis en 1932, The Thundering Herd, Sunset Pass, To The Last Man et Man of the Forest, sortis en 1933[1], The Last Round-Up sorti en 1934.
 
Man of the Forest met en scène un conflit classique du western, celui opposant un homme de l'Ouest, simple et proche de la nature (l'homme de la forêt du titre original), à un riche propriétaire terrien, incarnation d'un capitalisme cupide. Dans le rôle du héros, Randolph Scott est affublé d'une petite moustache et d'un cheval blanc qui répond à son maître lorsque ce dernier le siffle. Gentiment misogyne, il distribue des fessées aux femmes[2] lorsqu'elles ne sont pas sages et vit avec une famille de pumas comme animaux de compagnie. Noah Beery (le frère de Wallace), incarne un méchant caricatural et dispose de tous les attributs de rigueur: il est bedonnant, suave et distingué (il arbore un bouc). Dans les seconds rôles, on retrouve des habitués du genre tel que Harry Carrey, Barton McLane ou encore le duo comique formé par "Big Boy" Williams et Vince Barnett.
 
Filmé sans grande inspiration, Man of the Forest apparaît comme typique de la production de westerns de série B dans le cinéma américain années 30, avant que le genre ne gagne en crédibilité dans les années 40 et 50. Accumulant les poncifs du genre et expédié en 62 minutes, le spectacle désuet de Man of the Forest s'avère aussi idiot que divertissant.
 
16.01.14.


[1] Hathaway signe en 1933 une autre adaptation de Zane Grey avec Under the Tonto Rim mais la vedette est Stuart Erwin.
[2] Verna Hilli, la vedette féminine de Man of the Forest, joue également dans Under the Tonto Rim mentionné ci-dessus et partagea ensuite l'affiche avec John Wayne pour les westerns de la Monogram: The Star Packer et The Trail Beyond, tous deux de 1934.

Jimmy P., Psychothérapie d'un indien des plaines (2013) d'Arnaud Desplechin

Après Un Conte de Noël (2008), Arnaud Desplechin tourne Jimmy P., Psychothérapie d'un indien des plaines aux Etats-Unis et en langue anglaise. L'action se situe dans un hôpital militaire du Kansas en 1948 et se centre sur la relation (véridique) entre Jimmy Picard, un indien d'Amérique, vétéran de la guerre victime de vertiges, et son médecin, Georges Devereux, un psychanalyste et ethnologue français d'origine roumaine.
 
Desplechin rentre dans le quotidien d'une psychanalyse: Jimmy Picard raconte ses rêves, son enfance et ses déboires sentimentales pendant que Georges Devereux prend des notes sur son carnet. Mais un échange véritable s'installe entre les deux hommes: malgré les différences culturelles (le "sauvage" mutique et réservé face à l'occidental bavard et volubile) et physiques (la carrure du comédien Benicio Del Toro contre l'aspect malingre Mathieu Amalric), une complicité s'instaure entre ces deux rejetés de la société (l'indien dans la société américaine, l'intellectuel juif d'Europe de l'Est en Occident). Desplechin expose même l'idée intéressante que le véritable malade est peut-être le personnage exubérant de Georges Devereux, fragile physiquement et grimaçant parfois comme un hystérique.
 
Jimmy P. apparaît comme une manifestation moderne de ce bon vieux penchant de Hollywood pour la psychanalyse, laquelle résout les problèmes via la vision et les flash back (de l'enfance, des moments traumatisants...). Si la psychanalyse séduit le spectateur (même s'il est récalcitrant à la matière de Freud), c'est parce qu'elle prend la forme d'une enquête: plus le film avance, plus l'on pense se rapprocher d'une révélation, d'une résolution. Mais là le film de Desplechin échoue (ou trouble volontairement ?), c'est que l'on reste sur sa faim: finalement, on n'a pas véritablement compris les maux de Jimmy Picard et l'on n'est pas sûr de sa guérison... A cela, s'ajoute l'idée que la véritable souffrance du malade trouve son origine dans son rejet par la société occidentale, idée développée mais pas pleinement explicitée tout au long du film.
 
Comme de nombreux films de Desplechin, Jimmy P. manque de clarté dans le traitement du sujet et de ses personnages. Avouons néanmoins que l'acclimatement du réalisateur aux Etats-Unis bride les effets de style récurrents de sa mise en scène au profit d'un film plus classique et l'auteur de ses lignes s'en est réjouit...
 
07.01.14.

Deux automnes, Trois Hivers (2013) de Sébastien Betbeder


Présenté au Festival de Cannes 2013 dans le cadre de la sélection de l'ACID, Deux automnes, Trois Hivers s'inscrit dans le corpus de films réalisés par une nouvelle vague de jeunes cinéastes français mise en avant par les Cahiers du Cinéma lors du numéro du mois d'avril de la même année. A ce titre, le personnage principal du film est interprété par Vincent Macaigne, comédien déjà aperçu dans La fille du 14 Juillet d'Antonin Peretjako et La Bataille de Solferino de Justine Triet. 

Comédie douce-amère, Deux automnes, Trois Hivers relate quelques années d'un couple de trentenaires parisiens. Ce qui frappe dans ce film, c'est sa capacité à montrer la réalité d'une certaine jeunesse d'aujourd'hui. Ces bourgeois bohèmes habitent ainsi dans le 20ème ou se promènent dans le 10ème (quartiers déshérités où s'installent les jeunes "hipsters"): leurs appartements sont des studios où trônent ici ou là une affiche d'un film de Bresson. Dans Deux automnes, Trois Hivers, on fait du jogging dans les parcs publics le week-end, on rentre bourré d'une soirée en écoutant de la musique sur son ipod en vélo, on parle de Koh-Lanta et on évoque le journal de France 2 de David Pujadas. Même les évènements extraordinaires du film (une agression par des loubards en capuches, un AVC) sont des accidents probables dans la vie d'un jeune de 2013.

Le récit, construit en différents chapitres, est entrecoupé par des monologues des comédiens qui, face caméra, expliquent l'histoire avec humour: ce regard caméra tournant en dérision le quotidien est plus proche des vidéos webs que des effets comiques de distanciation comme chez Woody Allen. Deux automnes, Trois Hivers montre avec tellement de précision le quotidien de la jeunesse d'aujourd'hui que celle-ci peut se désintéresser du reflet du miroir que le film lui propose. Peut-être que dans soixante ans, le film aura une valeur documentaire sur les us et coutumes des années 2010, de la même façon qu'on regarde aujourd'hui certains films de la Nouvelle Vague. Car, tourné avec un faible budget (300 000 €), avide en citations (Eugène Green, Judd Apatow), film de jeunes pour les jeunes, sur les jeunes, fait par des jeunes, Deux automnes, Trois Hivers est assurément un film de la Nouvelle Vague de 2013. 

23.12.13.

Délit de fuite (1959) de Bernard Borderie

Après quelques Lemmy Caution (La môme vert-de-gris, 1952 et Les Femmes s'en balancent, 1953) et Le Gorille vous salue bien (1958), Bernard Borderie poursuit sa veine de film noir avec Délit de Fuite, en adaptant James Hadley Chase[1], l'auteur de Pas d'orchidées pour Miss Blandish. Coproduction franco-italo-yougoslave (le film est tourné sur la côte yougoslave avec quelques vedettes italiennes tel que Antonella Luadi et Franco Interlenghi), cette série B des années 50 s'avère très standard.
 
Le scénario, cosigné par Borderie et Jean Aurel, sent le déjà vu: un journaliste est l'objet d'une manipulation destinée à lui faire endosser un meurtre, camouflé en accident de voiture. Les personnages sont stéréotypés: le héros faux coupable, interprété par le chanteur Félix Marten, acteur peu charismatique, est un bellâtre qui pense qu'il est beau gosse parce qu'il roule en Ferrari; Marten veut sortir avec la "vamp" du coin, la fille de son patron qui se révèle être le grand méchant de l'histoire: ce faux infirme, digne du pire Chandler, a tout manigancé pour mettre le feu à son usine afin de récupérer l'assurance... A cela s'ajoute un garagiste italien amateur de spaghetti, un loubard en blouson de cuir et un maître chanteur de pacotille, cigare à la bouche et complet blanc...
 
La mise en scène de Bernard Borderie n'est frappée par un aucun éclair de génie. On apprécie donc Délit de Fuite pour son charme désuet: son histoire convenue, ses mauvais acteurs, sa bande-son jazz et ses transparences démodées.
 
07.01.14.
 


[1] L'auteur anglais, édité dans la série noire, fait l'objet à l'époque de nombreuses adaptations dans le cinéma français: L'Homme à l'imperméable (1957) de Julien Duvivier, Méfiez-vous, fillettes ! (1957) d'Yves Allégret, Retour de manivelle (1958) de Denys de La Patellière Une manche et la belle (1957) d'Henri Verneuil, Ça n'arrive qu'aux vivants (1960) de Tony Saytor, Les Canailles (1960) de Maurice Labro, Dans la Gueule du Loup (1961) de Jean-Charles Dudrumet (de nouveau avec Félix Marten), Miss Shumway jette un sort (1963) de Jean Jabely, Chair de Poule (1963) de Julien Duvivier, Voir Venise... et crever (1963) d'André Versini, Par un beau matin d'été (1965) de Jacques Deray, La Blonde Pékin (1967) de Nicolas Gessmer, Meurtre en liberté (1968) de René Gainville, La petite vertu (1968) de Serge Korber...