dimanche 12 avril 2009

Hôtel du Nord (1938) de Marcel Carné

         « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? »… Avec cette fameuse réplique, Hôtel du Nord fait partie de ces films « mythiques » qui injustement ne sont réduits qu’à un seul élément dans l’esprit de tous. Dans cette même veine de synecdoque cinématographique, on pourrait parler de films trop souvent restreints qu’à une scène (le bain de minuit dans la fontaine de Trevi dans La Dolce Vita de Fellini), à quelques notes de musique (le thème d’Henri Mancini de La Panthère rose) ou à une apparition furtive de quelque comédien (Marylin Monroe dans Quand la Ville dort de John Huston).
         Il est donc grand temps de réhabiliter Hôtel du Nord, film qui est bien plus que cette simple tirade, et d’expliquer en quoi cette œuvre est à juste titre l’une des plus belles et importantes du cinéma français. Film majeur du Réalisme poétique, Hôtel du Nord est un film très grave et très sombre sur la réalité humaine, empreint de l’habituel pessimisme de son auteur Marcel Carné.


         A cette époque, Marcel Carné connait l’apogée de sa fructueuse collaboration avec le poète Jacques Prévert : ils ont travaillé ensemble sur Jenny (1936), Drôle de Drame (1937) et Le Quai des Brumes (1938) d’après un roman de Pierre Mac Orlan. Mais au moment de la mise en chantier d’Hôtel du Nord, Prévert voyage aux Etats-Unis. Il est alors remplacé par Jean Aurenche et Henri Jeanson, scénaristes qui feront plus tard la gloire de la Qualité française. Ceux-ci sont donc chargés d’adapter le roman populaire homonyme de 1929 écrit par Eugène Dabit, membre des « écrivains prolétaires » des années 30.
         Le film se concentre sur la vie agitée des habitants de l’hôtel du Nord, situé le long du canal Saint-Martin à Paris. Le quartier a été subtilement reconstitué en studio mais le décor est assez criant de vérité. Pourtant, dans d’autres scènes, l’artifice n’est jamais loin (scènes de nuit avec brume et éclairage factices). Là réside donc la force du Réalisme poétique qui consiste à mêler la réalité sociale avec une certaine forme de poésie.
         Ici, le réalisme passe par la peinture de l’époque, l’argot et le langage de la rue. Les personnages, très bien croqués, sont pittoresques : le patron paternaliste de l’hôtel, sa femme attachante, le jeune homme efféminé, l’éclusier débile… Sortent du lot deux couples : celui des jeunes tourmentés Pierre (Jean-Pierre Aumont) et Renée (Annabella) et celui de la prostituée Raymonde (Arletty) avec Monsieur Edmond (Louis Jouvet), ancien voyou qui se planque.
         A l’origine, le film devait être centré sur les jeunes tourtereaux mais, Jeanson a préféré développer les relations entre Raymonde et son « homme ». Ces deux personnages sont hauts en couleurs : Raymonde est une femme de caractère, indépendante alors qu’Edmond parvient à demeurer attachant en même temps qu’étrange. Il faut dire que Jouvet, qui jouait déjà dans Drôle de Drame (1937) de Carné, y est formidable avec son costume gris, son chapeau bas et sa démarche tranquille.
         Néanmoins, l’histoire principale d’Hôtel du Nord reste quand même celle de Renée, qui, influencée par son amant Pierre, décide de le suivre dans son suicide. Cependant, cette mort programmée ne va pas fonctionner : les deux amoureux dépressifs louent une chambre à l’hôtel du Nord pour s’y tuer mais, Pierre n’a plus le courage de passer à l’action. Renée s’en sort difficilement avec une balle dans le ventre alors que Pierre se fait arrêter.

         On reconnaît alors le profond pessimisme qui marque l’œuvre de Carné. C’est là qu’intervient la poésie du Réalisme poétique : ces « drifters », ces égarés, sont de dangereux romantiques. Il est donc question de défaitisme, de fatalisme : ces jeunes si aigris, Prosper, le médiocre éclusier, Edmond, le truand qui ne parvient pas à échapper à son passé noir.
         Si l’on y réfléchit, il y a au moins trois suicides dans Hôtel du Nord: celui raté de Renée et de Pierre, celui évité de Prosper et celui accompli par Edmond qui s’offre consciemment aux balles des tueurs qui l’attendaient. Ce final criminel (brillamment monté en parallèle avec une fête bruyante en pleine nuit) annonce à ce titre le film noir et surtout Les Tueurs (1946) de Robert Siodmak.
         Pourtant, dans ce monde du mal-être et de l’échec prédominant, survit toujours l’appel du large. Il s’agit là d’une thématique récurrente du Réalisme poétique et de l’œuvre de Carné. Dans Le Quai des Brumes (1938), Jean se faisait tuer en pleine rue alors qu’il avait décidé de tout quitter pour Nelly alors que dans Hôtel du Nord, comme dans Pépé le Moko (1936) de Julien Duvivier, c’est le port qui symbolise la figure carcérale de l’impuissance à partir. Partir au loin signifie une deuxième vie, un espoir possible. Pierre et Renée auront justement le droit à cette autre chance suite au sacrifice mortel d’Edmond.


         Film désespéré sur les marginaux, Hôtel du Nord est un film émouvant et touchant. Pour Carné, la dureté de la vie n’épargne personne et encore moins les jeunes gens. Il nous décrit un monde gris de misère et de lassitude. La seule lumière dans ce pessimisme reste en fait la poignante solidarité qui s’instaure entre les êtres.



11.04.09.