Dans le film, on suit donc Johnny Blake, un flic intègre qui se fait renvoyer après de nombreuses années de carrière. Sans travail, il décide alors d’adhérer au gang d’Al Kruger. Mais c’est en réalité un flic infiltré qui, après avoir démantelé toutes les branches de l’Organisation, va livrer tout le gang.
Dans les informations de la première scène, on aperçoit donc une ironique interview d’un journaliste important qui incite à faire des reportages sur l’organisation de la mafia afin de la dénoncer comme le film le fait aussi, en tout cas plus ou moins. En effet, Johnny Blake/Edward G. Robinson passe du bon côté de la loi mais, pour surprendre le spectateur, il est d’abord montré comme adhérant au gangstérisme avant de se révéler un flic infiltré. Le projet du film reste encore un peu ambigu puisqu’il consiste à voir comment fonctionne le crime en adaptant le point de vue du spectateur attiré-répudié par la violence du gangster en question. Mais Blake n’est pas un personnage violent : c’est un personnage extrêmement positif comme le prouve son héroïsme final. C’est un homme droit et déterminé dont l’ambition est que les voyous qu’il rencontre dans la rue soulèvent leur chapeau pour saluer les policiers.
Le gangstérisme violent de la prohibition a laissé ici la place au racket organisé, véritable business. Les grands chefs de la mafia sont partout, cachés derrière de hauts rangs dans la société : ce sont des banquiers, fiables d’apparence, ou des politiciens. On ne peut se fier à quelqu’un, dit d’ailleurs Johnny Blake puisque la corruption touche toute la ville.
On remarque aussi dans le film une étonnante ambivalence gangster/flic (thématique qui sera plus présente dans le film noir, notamment avec La Dernière Rafale (1948) du même William Keighley) puisque Johnny Blake connait intimement Al Kruger, le chef des gangsters. Blake ne l’arrête pas car les nombreuses inculpations de Kruger ont été inutiles. Lorsqu’il se fait renvoyer de la police, c’est sans problème que l’on comprend qu’il n’y a qu’un seul choix pour Johnny Blake: passer de l’autre côté de la loi et devenir un membre de l’Organisation du crime.
Film de série efficace (le film dure 1h20), Guerre au Crime jouit d’une solide distribution. On trouve un excellent Edward G. Robinson en attachante petite boule de nerf et une pétillante Joan Blondell, actrice de comédies musicales de la Warner[1]. On apprécie d’ailleurs que le scénariste ait refusé une histoire d’amour entre les deux acteurs qui aurait paru très peu probable. En 1936, La Forêt pétrifiée d’Archie Mayo révélait Humphrey Bogart dans le rôle d’un gangster en fuite qu’il jouait déjà au théâtre.
Après ce succès, la Warner décide alors de ne lui attribuer que des seconds rôles dans des films de gangsters. Guerre au Crime (sorti en juin 1936), qui fait partie de ces films-là, est le film qui suit directement La Forêt pétrifiée (sorti en février 1936) dans la filmographie de Bogart. Celui-ci retrouvera d’ailleurs plus tard Edward G. Robinson dans Le Dernier Round (1937) de Michael Curtiz, Le Mystérieux Docteur Clitterhouse (1938) d’Anatole Litvak et dans Brother Orchid (1940) de Lloyd Bacon. Il jouera aussi les méchants face à James Cagney dans Les Anges aux Figures sales (1938) de Michael Curtiz et dans Les Fantastiques Années 20 (1939) de Raoul Walsh.
Dans Guerre au Crime, Bogart est amusant en gangster nerveux : il est déjà sarcastique et a déjà son tic de la lèvre frottée. Cependant dans Guerre au Crime, le véritable méchant n’est pas Bogart, mais Al Kruger interprété par Barton MacLane qui jouait déjà dans Hors la Loi. On remarque aussi dans le générique des deux films la présence du scénariste de la Warner Seton I. Miller (1902-1974)[2], qui a signé entre autres les scénarii des Aventures de Robin des Bois (1938) et de L’Aigle des Mers (1940), deux films de Michael Curtiz.
Plus tard, le film de gangsters essayera de se renouveler avec Les Anges aux figures sales (1938) de Michael Curtiz, film empreint de religiosité et de bons sentiments, et Les Fantastiques années 20 (1939) de Raoul Walsh, film aux dimensions historiques allant de la guerre de 14-18 aux années 30 en passant par la Grande Dépression. D’un budget bien inférieur à celui des deux films à venir, Guerre au crime est donc un merveilleux film de série. C’est un film de gangsters original et efficace.
31.08.07.
[1] Grande actrice de la Warner, Joan Blondell (1909-1979) joue notamment dans Chercheuses d’Or (1933) de Mervyn LeRoy, Prologues (1933) de Lloyd Bacon et Dames (1934) de Ray Enright, trois films chorégraphiés par Busby Berkley. Elle joue aussi dans Le Gondolier de Broadway (1935) de Lloyd Bacon, Colleen (1936) d’Alfred Green, Stage Struck (1936) de Busby Berkley lui-même et dans Gold Diggers of 1937 (1936) de Lloyd Bacon, encore chorégraphié par Busby Berkley. Dans tous ces films, Dick Powell est à chaque fois son partenaire.
[2] C’est aussi un collaborateur régulier de Howard Hawks puisqu’il a fait les scénarii de Prince sans amour (1927), Les Rois de l’Air (1928), L’insoumise (1928), La Patrouille de l’Aube (1930), Code criminel (1931), La Foule hurle (1932) et Scarface (1932).