dimanche 14 septembre 2008

Atonement / Reviens-moi (2008) de Joe Wright

        Après l’inégal et plutôt fade Orgueils et Préjugés, tiré de Jane Austen, le metteur en scène britannique Joe Wright nous livre un second film, plus ambitieux, offrant de nouveau un grand rôle à Keira Knightley. Il s’agit une fois encore d’un film en costumes, d’une adaptation très soignée (du roman Expiation d’Ian McEwan, publié en 2001) dans lequel Wright démontre son sens visuel certain mais se révèle un réalisateur incapable de se décider sur la ligne directrice de son récit.





Saoirse Ronan (Briony enfant) dans Reviens-moi
Dominic Guard (Léo enfant) dans Le Messager


        Reviens-moi s’ouvre par une première partie dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle louche singulièrement vers Le Messager (1970) de Joseph Losey : l’action semble avoir été transposée de 1900 à 1935, le jeune Léo est devenu la petite Briony mais l’ensemble reste globalement troublant de ressemblances.
        Les deux films s’inscrivent dans une construction en flashback et évoquent des pages douloureuses de l’enfance. Dans le film de Losey, à l’occasion de vacances dans la propriété d’un de ses amis, Léo faisait le coursier entre Marian, la fille ainée de sa famille d’accueil dont il était secrètement épris, et son amant, Ted, le métayer. Ici, durant l’été, dans une autre propriété de campagne, Briony est attirée par l’amant de sa sœur Cecilia, Robbie, le jardinier, et sert d’intermédiaire dans les échanges épistolaires des deux jeunes gens. Un jour, Léo et Briony lisent une lettre qu’ils n’auraient jamais du lire et se trouvent déçus par ces êtres qu’ils admiraient.


Briony lisant la lettre de Robbie dans Reviens-moi

Léo lisant la lettre de Marian dans Le Messager



        Léo sera contraint d’exposer la relation de Marian et Ted tandis que Briony, par une erreur de jugement, enverra en prison Robbie. Une faute qui marquera l’enfant, dans les deux films, et déterminera leur être futur. Les sentiments sont les mêmes, les situations sont également similaires : différences de classes qui entravent des amours passionnés, socialement condamnés, tabous sexuels dévoilés aux yeux d’un enfant encore innocent, romans d’apprentissage qui mènent contre toute attente à la destruction de leur héros. Et même image récurrente de la course à travers champs de l’enfant messager.
        Coïncidences ? On ne peut vraiment y croire, d’autant plus que Ian McEwan doit bien connaître Le Messager, ne serait-ce que par ce que son scénariste, le dramaturge et Prix Nobel Harold Pinter, a adapté un de ses romans en 1990. Cela donna Etrange Séduction, mis en scène par Paul Schrader et qui mêlait donc en même générique les noms de McEwan et Pinter.
        Et, avec la mise en abîme qui vaut rebondissement final dans la dernière partie, McEwan mêle art et réalité comme Pinter dans La Maîtresse du Lieutenant français, le vertigineux script qu’il écrivit pour Karel Reisz en 1981.
        Plus troublant encore : Reviens-moi et le roman dont il est tiré ne sont pas sans lien avec Le Messager de Losey. En effet, Léo adulte était joué par Michael Redgrave. Dans Reviens-moi, Briony adulte est jouée par la propre fille de Michael, Vanessa Regrave, qui avait par ailleurs été dirigée par Losey dans son dernier film Steamin’, en 84. C’est dire combien la première partie de Reviens-moi ne peut se détacher dans l’esprit du spectateur du Messager, ce qui nuit grandement à la première heure du film qui pourra apparaître réussie à qui ne connaît pas le chef d’œuvre de Losey.
        Ce en quoi la première partie de Reviens-moi diffère du Messager, c’est qu’il insère dans cet été violent une trame policière : alors que des invités sont dans la propriété pour le week-end, une cousine est violée. Le témoignage de Briony, persuadée par un concours de circonstances que Robbie est un pervers sexuel, fait du jardinier le coupable idéal et ce premier acte s’achève par l’arrestation du jeune homme.
        On l’aura compris, ce qui vient se surajouter à ce drame intime, c’est un « whodunit » à la Agatha Christie. Ce qui est bien superflu, le crime n’ayant en lui-même qu’une valeur de ressort dramatique puisque l’on n’a en fait pas grand-chose à faire de la vraie identité du coupable (car Robbie est innocent, bien sûr !), que l’on découvrira au détour du film, sans que le spectateur s’émeuve ni que le réalisateur s’y attarde.


Vanessa Redgrave (Briony âgée) dans Reviens-moi


Michael Redgrave (Léo âgé), son père, dans Le Messager


        Rideau. Début du deuxième acte placé sous l’ombre imposante, gigantesque, étouffante de nul autre que David Lean. Car Wright a tout simplement la prétention de nous faire un film dans le style inégalé (à l’exception de La Canonnière du Yang-Tsé de Robert Wise) du Maître. En effet, alors que la seconde guerre mondiale vient d’éclater, on retrouve les deux amants d’hier séparés. Et pour cause, Robbie s’est tapée cinq ans de taule et s’est engagé dans l’armée de Sa gracieuse Majesté pour écourter son séjour au mitard tandis que Cecilia, en rupture avec sa famille, est devenue infirmière et cherche son aimé.
        On retrouve-là le schéma narratif classique du mélodrame à la David Lean : une belle histoire d’amour bien larmoyante où l’intime se mêle à la grande fresque historique, toile de fond omniprésente. Comme Julie Christie dans Docteur Jivago (qui jouait Marian dans Le Messager…), Keira Knightley joue les nurses, tandis que la séparation entre Robbie et Cecilia dans le Londres du blitz fait songer à Brève Rencontre dont Wright clame haut et fort qu’il est son film préféré ! Et à la fin, les deux amants sont réunis devant une falaise digne de celles qui servaient de toile de fond à La Fille de Ryan.


        Bien. Sauf que le film devient une hydre à deux têtes. Car Wright, qui partage la paternité de ce monstre et la responsabilité du naufrage avec son scénariste Christopher Hampton[1], se trouve bien embêté car l’amour de Robbie et Cecilia n’est pas le vrai sujet du roman, raconté par et centré sur Briony. Plutôt que de répondre à la question « Cecilia et Robbie se retrouveront-ils à la fin ? », le bouquin de Ian McEwan avait pour sujet une autre interrogation : « Briony pourra-t-elle vivre même s’il a ruiné la vie de sa sœur ? ». Il y a donc deux films. L’un, avec Robbie et Cecilia en vedettes, est un mélodrame leanien, certes, qui mérite bien de s’appeler Reviens-moi ; l’autre, avec Briony comme personnage principal, parle de péché, de repentance, de pardon. C’est celui-là qui s’appellerait Expiation (Atonement, en v.o., titre anglais du film).
        Ne pouvant renoncer au film à la David Lean, Wright consacre à Robbie et Cecilia la majeure part de ce second acte. Mais il doit également se soucier de Briony et déséquilibre ainsi l’agencement bien régulier de sa romance. C’est d’ailleurs Briony qui conclut le récit : âgée, elle est devenue romancière et commente son dernier roman qui raconte l’amour de Cecilia et Robbie à qui, par l’artifice de la fiction, elle a pu accorder des retrouvailles. En vérité, ils sont tous les deux morts durant la guerre : il n’a jamais pu embarquer pour l’Angleterre, elle a péri dans un bombardement nazi.

Images de la débâcle :


une séquence de Week-end à Zuydcoote


une séquence de Reviens-moi



        Le film de Joe Wright s’achève donc de façon bancale. La mise en abime sied mal au mélodrame Reviens-moi et les réflexions sur le pouvoir de la fiction de Expiation sont très déplacées, étant donné que rien ne les annonçait comme autant la morale du film. Si l’on analyse maintenant les deux faces de ce second acte, on constate que Wright n’est pas un indigne héritier de Lean. Il prend d’ailleurs à ce poste la succession de l’auteur du Patient anglais (1996) et de Retour à Cold Mountain (2003), Anthony Minghella, décédé récemment (à 54 ans) et caméo dans Reviens-moi (il est un journaliste qui interviewe Briony).
        En ce qui concerne le récit de Briony, il semble bien qu’il n’ait rien de nouveau. Déjà il nous semblait que la première partie frôlait le plagiat, la seconde s’en est avéré être une puisque Ian McEwan s’est fait épinglé par la justice anglaise. En 2006, la romancière Lucilla Andrews, auteure de No Time For Romance en 1977, qui racontait son expérience d’infirmière durant la première guerre mondiale, a trainé Ian McEwan devant les tribunaux. De là à s’interroger sur ce que Ian McEwan a réellement apporté à ce roman, il n’y a qu’un pas que nous franchissons ici.

        Mais alors, nous dira-t-on, quel est l’intérêt de ce film ? Il y en a un et pas des moindres : c’est que Joe Wright, s’il n’est pas capable de discerner un récit bien construit d’un script foireux, sait quand même réaliser. Le premier acte est une petite splendeur visuelle dans le genre rétro-sépia, avec des couleurs magnifiques et des costumes somptueux. Wright compose des cadres soignés et sert admirablement sa vedette, la belle Keira Knightley, éblouissante dans sa robe de soirée verte ou dans son maillot de bain qui lui donne des airs de Gene Tierney dans Péché mortel.

        Joe Wright montre alors un talent véritable, parvenant à rendre certaines séquences inoubliables. On se souvient en particulier de la scène d’amour dans la bibliothèque, moment d’une sensualité infinie, probablement une des séquences d’ébats les plus marquantes auxquelles il nous ait été donné d’assister. Et de la scène du vase brisé, instant magnifique, comme suspendu hors du temps par le biais d’un découpage habile et de la multiplication des points de vue.
        La deuxième partie voit Wright s’adonner à la guéguerre. Force est de reconnaître que c’est un jeu qu’il maîtrise. Parachuté en 1940 à Dunkerque, Robbie erre dans des champs de coquelicots en fleur, étendues d’un rouge éclatant dans le soleil couchant. Les séquences à Dunkerque sont elles-mêmes impressionnantes. Le sujet avait déjà donné lieu à un film magnifique, le sous-estimé Week-end à Zuydcoote (1964) d’Henri Verneuil, avec Jean-Paul Belmondo en héros existentialiste.

Bathing Beauties :


Keira Knightley dans Reviens-moi


Gene Tierney dans Péché mortel



        L’armée en déroute est filmée avec un luxe de moyens et une caméra qui sait mettre en valeur cette débauche. On pourrait même dire qu’il n’y a qu’une seule séquence à Dunkerque, étant donné que nous découvrons la plage encombrée de matériel et peuplée de soldats désœuvrés à travers un plan-séquence bluffant de pas moins de cinq minutes. Un travelling lyrique et étourdissant à la Kalatozov qui, par sa majesté, vaut à lui seul de voir le film.


        Le film est beau, Keira Knightley est belle, James McAvoy est beau, alors cela se laisse voir. Sans déplaisir. Il n’empêche que ce gros machin destiné à faire pleurer les foules, qui a été nommé 7 fois à l’oscar[2], baigne dans une impression de déjà-vu et souffre d’une ligne narrative floue. Le film inspire peut-être plus de sympathie qu’Orgueils et Préjugés car il a au moins, du fait de son sujet historique, des raisons d’être ampoulé. Joe Wright, qui a retrouvé son égérie Keira Knightley pour un spot publicitaire de Chanel, prouve qu’il est plus qu’un bon faiseur mais il faudra d’abord voir à lui donner une bonne matière à filmer. Ce qui n’est pas le cas ici. En attendant, rien de nouveau sous le soleil grisailleux d’Angleterre.

14.09.08





[1] Christopher Hampton (né en 1946), anglais d’origine portugaise, a tout de même de sacrées références. Doué pour les adaptations littéraires, il est entre autres le scénariste du Consul Honoraire (1983) de John MacKenzie et d’Un Américain bien tranquille (2002) de Philippe Noyce, deux films d’après Graham Greene avec Michael Caine, ainsi que celui des Liaisons dangereuses (1988) de Stephen Frears, d’après sa propre adaptation théâtrale du roman épistolaire de Choderlos de Laclos. Il a aussi signé les scénarii de Rimbaud Verlaine (1995) de Agnieszka Holland et de Mary Reilly (1996), encore de Stephen Frears. Il a également réalisé trois films, toujours d’après ses scenarii : Carrington (1996) sur les relations entre la peintre Dora Carrington et l’écrivain Lytton Strachey, L’Agent secret (1996), d’après Joseph Conrad, et Disparitions (2003).
[2] Seule la musique de Dario Marianelli a été récompensée d’une statuette.