John Boorman est avec Terrence Malick l’un des rares réalisateurs à avoir placé l’étude de la Nature au cœur même de son œuvre. Comme son homologue américain, l’Anglais John Boorman a su imposer son statut de « réalisateur de la Nature » seulement avec une poignée de films tels que Duel dans le Pacifique (1968), Délivrance (1973), Excalibur (1981) et La Forêt d’Emeraude (1985).
Le cinéma américain des années 80 étant plutôt rassurant, le violent propos de Délivrance est adouci dans la très rousseauiste Forêt d’Emeraude qui marque même une sorte de réconciliation du réalisateur avec la Nature.
Tout d’abord, La Forêt d’Emeraude ressemble beaucoup à La Prisonnière du Désert (1956), ne serait-ce que par son histoire. En effet, le film narre la recherche d’un fils par son père de même que le film de Ford racontait la recherche d’une jeune fille par son oncle (dont on se demandait d’ailleurs s’il n’en était pas le père).
Tommy, fils d’un ingénieur américain travaillant au Brésil sur la construction d’un barrage, se fait donc enlever par des indiens (d’Amérique du Sud cette fois-ci) dont le caractère profondément fantomatique au début n’est pas sans nous rappeler ceux du film de Ford. Tout comme Ethan Edwards avec sa nièce (?), Bill, le père de Tommy, va toujours rechercher son fils avec acharnement, sans jamais vouloir renoncer un seul instant.
Sa quête dans la forêt amazonienne durera donc plus de dix ans et c’est sur une rivière argentée lors d’un combat avec des brutaux autochtones que se feront les retrouvailles entre père et fils. Cette scène, pleine de suspense, est tout aussi belle que le final de La Prisonnière du Désert. Enfin, comme Edwards, Bill constate ce qu’il a toujours craint : son fils, élevé par des autres, n’est plus le sien et détient une autre culture. Il va pourtant l’aider puisque sa tribu est menacée par des sauvages pervertis par les hommes. Il finira même par détruire le barrage, l’œuvre de toute sa vie, pour permettre à la tribu de son fils de continuer à vivre en paix.
Nature et Culture, tel est donc le pivot central du film. A la question de l’antagonisme et de l’incompatibilité entre les deux, Boorman semble répondre par l’affirmative en nous montrant les conséquences néfastes de la construction du barrage : les indiens, en contact avec les hommes, vont découvrir les armes, la guerre, la prostitution. De plus, le film se clôt sur une petite pancarte portant un message écologique clair, dénonçant la destruction de la forêt amazonienne (et plus généralement de la nature) par l’homme.
Donnant la part belle à la Nature et en la défendant, Boorman revient alors sur ce qu’il avait déjà étudié lors de ses films précédents. En effet, alors que dans Duel dans le Pacifique et Délivrance, le retour à la Nature était synonyme de retour à l’état sauvage et à la barbarie (les hommes finissent toujours par s’entretuer), ce n’est pas le cas dans La Forêt d’Emeraude. Dans ce dernier film, la Nature est tout aussi menaçante, mais elle est aussi (et surtout) un refuge pour les délaissés.
En fait, comme le fera plus tard Malick pour Le Nouveau Monde (2004), Boorman préfère adopter un point de vue philosophique rousseauiste. Non seulement il approuve la théorie selon laquelle la société pervertit homme [1], mais encore il affirme que, dans la nature, l’homme se retrouve à l’état de nature, c'est-à-dire qu’il a le choix entre le bien et le mal. Ainsi, dans La Forêt d’Emeraude, deux tribus indiennes représentent de façon très manichéenne ces différentes possibilités : alors que la tribu des Invisibles (celle de Tommy) symbolise la vie en harmonie avec la nature, la sagesse et la poésie, celle des Féroces évoque la violence et la cruauté.
Boorman, qui avait déjà abordé la science-fiction avec Zardoz (1973), le surnaturel avec L’Exorciste II, l’Hérétique (1977) et la magie avec Excalibur (1981), nous propose ici une vision mystique de la Nature. Mais, à l’inverse de Malick qui, dans Les Moissons du Ciel (1979), suggérait le caractère mystique de la Nature en filmant la terre qui craquèle ou encore un vent étrange qui secoue les épis de blés, Boorman préfère plonger son film de façon définitive dans le fantastique.
Ainsi, Boorman ne nous épargne pas, par exemple, les nombreuses visions des indiens lors de leurs cérémonies mystérieuses. Alors qu’un aigle en plein vol filmé au ralenti semble symboliser la Nature elle-même, Tommy est lui perçu par les siens comme l’ « élu » qui va les sauver. A un autre moment encore, des grenouilles, en croassant, semblent invoquer un violent orage pour détruire le barrage…
Basé sur des faits réels, La Forêt d’Emeraude baigne dans une atmosphère assez réaliste. Les scènes de chantier au début ainsi que celles à la fin dans les favelas sont d’ailleurs d’un sordide naturalisme. Le film se termine même dans un bordel avec une scène de règlement de comptes d’une violence tout à fait boormanienne, c’est-à-dire assez poussée… Bref, le contraste entre le réalisme et le fantastique est un peu trop frappant pour un spectateur qui n’en demandait pas tant.
Certains choix de mises en scène et certains effets (la musique années 80 est assez imbuvable) ne sont donc pas très réussis et nuisent pas mal au film. Celui-ci sombre parfois dans le ridicule et l’on pique un bon fou rire lorsque Tommy escalade le gratte-ciel de ses parents dans une scène digne d’Un Indien dans la Ville. C’est dommage puisque l’on sait que Boorman s’est largement investi dans ce projet (le Tommy adolescent est interprété par Charley Boorman, son propre fils). En effet, Boorman s’est beaucoup renseigné sur la vie et les rites (notamment initiatiques) des indiens, a tenu à les rencontrer et à vivre avec eux. Cette approche très ethnographique est d’ailleurs très palpable dans La Forêt d’Emeraude.
Avec La Forêt d’Emeraude, John Boorman revient donc sur les messages de ses précédents films. A défaut de faire un film sombre et pessimiste, Boorman propose tout de même un film alarmiste dans son message écologique. Cependant, La Forêt d’Emeraude est un film positif dans lequel l’homme, prêt à changer complètement, trouve le meilleur de lui-même dans la Nature.
La Forêt d’Emeraude est donc, malgré ses petits défauts, un film assez intéressant mais beaucoup moins complexe, déroutant et abouti que les autres films de son auteur. Deux ans après, Boorman allait justement se lancer dans une entreprise bien plus réussie en signant La Guerre à Sept Ans dans lequel il se replongeait dans son enfance de jeune écolier pendant la bataille d’Angleterre.
10.09.08.
Le cinéma américain des années 80 étant plutôt rassurant, le violent propos de Délivrance est adouci dans la très rousseauiste Forêt d’Emeraude qui marque même une sorte de réconciliation du réalisateur avec la Nature.
Tout d’abord, La Forêt d’Emeraude ressemble beaucoup à La Prisonnière du Désert (1956), ne serait-ce que par son histoire. En effet, le film narre la recherche d’un fils par son père de même que le film de Ford racontait la recherche d’une jeune fille par son oncle (dont on se demandait d’ailleurs s’il n’en était pas le père).
Tommy, fils d’un ingénieur américain travaillant au Brésil sur la construction d’un barrage, se fait donc enlever par des indiens (d’Amérique du Sud cette fois-ci) dont le caractère profondément fantomatique au début n’est pas sans nous rappeler ceux du film de Ford. Tout comme Ethan Edwards avec sa nièce (?), Bill, le père de Tommy, va toujours rechercher son fils avec acharnement, sans jamais vouloir renoncer un seul instant.
Sa quête dans la forêt amazonienne durera donc plus de dix ans et c’est sur une rivière argentée lors d’un combat avec des brutaux autochtones que se feront les retrouvailles entre père et fils. Cette scène, pleine de suspense, est tout aussi belle que le final de La Prisonnière du Désert. Enfin, comme Edwards, Bill constate ce qu’il a toujours craint : son fils, élevé par des autres, n’est plus le sien et détient une autre culture. Il va pourtant l’aider puisque sa tribu est menacée par des sauvages pervertis par les hommes. Il finira même par détruire le barrage, l’œuvre de toute sa vie, pour permettre à la tribu de son fils de continuer à vivre en paix.
Nature et Culture, tel est donc le pivot central du film. A la question de l’antagonisme et de l’incompatibilité entre les deux, Boorman semble répondre par l’affirmative en nous montrant les conséquences néfastes de la construction du barrage : les indiens, en contact avec les hommes, vont découvrir les armes, la guerre, la prostitution. De plus, le film se clôt sur une petite pancarte portant un message écologique clair, dénonçant la destruction de la forêt amazonienne (et plus généralement de la nature) par l’homme.
Donnant la part belle à la Nature et en la défendant, Boorman revient alors sur ce qu’il avait déjà étudié lors de ses films précédents. En effet, alors que dans Duel dans le Pacifique et Délivrance, le retour à la Nature était synonyme de retour à l’état sauvage et à la barbarie (les hommes finissent toujours par s’entretuer), ce n’est pas le cas dans La Forêt d’Emeraude. Dans ce dernier film, la Nature est tout aussi menaçante, mais elle est aussi (et surtout) un refuge pour les délaissés.
En fait, comme le fera plus tard Malick pour Le Nouveau Monde (2004), Boorman préfère adopter un point de vue philosophique rousseauiste. Non seulement il approuve la théorie selon laquelle la société pervertit homme [1], mais encore il affirme que, dans la nature, l’homme se retrouve à l’état de nature, c'est-à-dire qu’il a le choix entre le bien et le mal. Ainsi, dans La Forêt d’Emeraude, deux tribus indiennes représentent de façon très manichéenne ces différentes possibilités : alors que la tribu des Invisibles (celle de Tommy) symbolise la vie en harmonie avec la nature, la sagesse et la poésie, celle des Féroces évoque la violence et la cruauté.
Boorman, qui avait déjà abordé la science-fiction avec Zardoz (1973), le surnaturel avec L’Exorciste II, l’Hérétique (1977) et la magie avec Excalibur (1981), nous propose ici une vision mystique de la Nature. Mais, à l’inverse de Malick qui, dans Les Moissons du Ciel (1979), suggérait le caractère mystique de la Nature en filmant la terre qui craquèle ou encore un vent étrange qui secoue les épis de blés, Boorman préfère plonger son film de façon définitive dans le fantastique.
Ainsi, Boorman ne nous épargne pas, par exemple, les nombreuses visions des indiens lors de leurs cérémonies mystérieuses. Alors qu’un aigle en plein vol filmé au ralenti semble symboliser la Nature elle-même, Tommy est lui perçu par les siens comme l’ « élu » qui va les sauver. A un autre moment encore, des grenouilles, en croassant, semblent invoquer un violent orage pour détruire le barrage…
Basé sur des faits réels, La Forêt d’Emeraude baigne dans une atmosphère assez réaliste. Les scènes de chantier au début ainsi que celles à la fin dans les favelas sont d’ailleurs d’un sordide naturalisme. Le film se termine même dans un bordel avec une scène de règlement de comptes d’une violence tout à fait boormanienne, c’est-à-dire assez poussée… Bref, le contraste entre le réalisme et le fantastique est un peu trop frappant pour un spectateur qui n’en demandait pas tant.
Certains choix de mises en scène et certains effets (la musique années 80 est assez imbuvable) ne sont donc pas très réussis et nuisent pas mal au film. Celui-ci sombre parfois dans le ridicule et l’on pique un bon fou rire lorsque Tommy escalade le gratte-ciel de ses parents dans une scène digne d’Un Indien dans la Ville. C’est dommage puisque l’on sait que Boorman s’est largement investi dans ce projet (le Tommy adolescent est interprété par Charley Boorman, son propre fils). En effet, Boorman s’est beaucoup renseigné sur la vie et les rites (notamment initiatiques) des indiens, a tenu à les rencontrer et à vivre avec eux. Cette approche très ethnographique est d’ailleurs très palpable dans La Forêt d’Emeraude.
Avec La Forêt d’Emeraude, John Boorman revient donc sur les messages de ses précédents films. A défaut de faire un film sombre et pessimiste, Boorman propose tout de même un film alarmiste dans son message écologique. Cependant, La Forêt d’Emeraude est un film positif dans lequel l’homme, prêt à changer complètement, trouve le meilleur de lui-même dans la Nature.
La Forêt d’Emeraude est donc, malgré ses petits défauts, un film assez intéressant mais beaucoup moins complexe, déroutant et abouti que les autres films de son auteur. Deux ans après, Boorman allait justement se lancer dans une entreprise bien plus réussie en signant La Guerre à Sept Ans dans lequel il se replongeait dans son enfance de jeune écolier pendant la bataille d’Angleterre.
10.09.08.
[1] Pour éviter de « pervertir » les vrais indiens, Boorman a tenu à faire jouer des acteurs d’origine indienne déjà intégrés dans la société pour que ceux-ci retournent à leurs racines.