mardi 4 novembre 2008

Wag the Dog / Des Hommes d'influence – La Comédie du Pouvoir (1997) de Barry Levinson


        La grande méfiance qu’ont les Américains envers l’Etat est profondément ancrée dans leur histoire et atteint son paroxysme à l’époque du Watergate. Le remède aux institutions malades semblait alors pouvoir être trouvé dans la voix des médias comme le montrait si bien le film Les Hommes du Président (1976) d’Alan Pakula.
        Cependant, dans les années 90, la Guerre du Golfe fait émerger quelques soupçons quant à la force du fameux « quatrième pouvoir ». Barry Levinson fait partie de ceux qui n’ont pas caché leur perplexité face à cette guerre jugée factice. Avec Des Hommes d’influence, il a signé un film brûlant et audacieux sur les coulisses du pouvoir, étonnamment prémonitoire sur le deuxième mandat de Clinton.


        Comme pour Good Morning Vietnam (1988) sur la guerre du Vietnam et Rain Man (1988) sur la vie d’un autiste, Barry Levinson décide de rire sur un sujet sérieux. Des Hommes d’influence commence lorsque le président des Etats-Unis se voit accuser d’attouchements sexuels sur une jeune fille quinze jours avant les prochaines élections. Cette affaire de mœurs éclabousse alors celui qui prévoyait se faire réélire.
        Pour couvrir ce scandale compromettant, le chef de l’Etat va recourir aux services de Conrad Brean, un « homme d’influence » du titre français, agent spécial, expert dans l’art de l’intoxication et spécialiste de l’image. Ce dernier, chargé de détourner l’attention de la population, s’allie avec Stanley Motss, fortuné producteur hollywoodien. Tous deux vont alors inventer de toute pièce une guerre en Albanie. Filmées en studios, les images de cette guerre fictive ont pour but de tromper les médias et de captiver l’opinion publique.

        Le contexte politique de l’époque est difficilement négligeable lorsqu’on regarde Des Hommes d’influence. Tout d’abord, le film fait référence par analogie à l’affaire Paula Jones. Ancienne collaboratrice de Clinton, elle a accusé le président d’harcèlements sexuels en 1994. La procédure judiciaire n’a été véritablement ouverte qu’en mai 1997 alors que le film était en plein tournage. Des Hommes d’influence est sorti quelques mois plus tard, en décembre pour les Etats-Unis.

        En revanche, le film n’est que prémonitoire en ce qui concerne l’affaire Lewinsky. Ce scandale sexuel n’a surgi qu’en janvier 1998, donc bien après la conception du film. Cette affaire a cependant occupé la scène médiatique alors même que le film sortait en Europe, ce qui lui a apporté davantage de publicité.

        Des Hommes d’influence est adapté d’un roman de Larry Beinhart. Ecrit en 1993, American Hero faisait référence à la politique de George Bush père et s’appuyait sur la 1ère guerre du Golfe. Cependant, le film de Levinson est aussi prémonitoire sur les opérations militaires engagées entre 1998 et 1999, alors que l’affaire Lewinsky battait son plein dans les médias.
        Certains ont en effet prétendu que, comme dans le film, ces opérations avaient été spécialement préparées dans le but de détourner l’attention du public et des médias loin du scandale de la Maison blanche. Et si l’on regarde les dates de plus près, les faits coïncident étonnamment de façon remarquable.
        En effet, l’opération « Portée Infinie » (lancement de deux missiles sur des cibles terroristes au Soudan et en Afghanistan) a été menée le 20 août 1998, soit trois jours après la déclaration télévisée dans laquelle Clinton avouait avoir eu une relation « inappropriée » avec Monica Lewinsky.
        Ensuite, l’opération « Renard du Désert » (trois jours de bombardements en Irak) a été déclenchée en décembre 1998 alors même que la Chambre des Représentants discutait de la possibilité d’une destitution de Clinton.
        Enfin, l’opération « Allied Forces » (intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie) a été lancée en mars 1999, quelques semaines après Clinton ait évité la destitution. Alors plutôt que d’un film qui s’inspirerait de la réalité, faut-il parler d’hommes politiques qui s’inspireraient de la fiction ?
        Les coïncidences entre le film et la réalité politique lors de sa sortie ont donc beaucoup contribué à sa popularité. Le film a connu un grand succès dans les pays de l’Est : le film a même reçu l’Ours d’argent de Berlin en 1998 et a été diffusé en prime time en 1999 à la télévision serbe lors du bombardement de Belgrade par l’OTAN.

        Des Hommes d’influence traite donc du mensonge politique et de la manipulation. Le titre original soulignait déjà cet aspect. Quand un chien remue la queue parce qu'il est content, on dit en anglais qu'il est « wag ». L’inversion de l'expression (Wag the dog) suppose une action influençant le bonheur du chien.
        La manipulation de la population américaine s’appuie dans le film sur plusieurs idées. Tout d’abord, elle repose sur l’ignorance (personne ne sait placer l’Albanie sur un planisphère) et sur la crédulité des Américains vis-à-vis de leurs médias. Cette manipulation profite ensuite de la constante peur des Américains quant à une possible attaque étrangère.
        Enfin, elle exploite les ficelles du nationalisme (on prône le soldat courageux qui est allé jusqu’à se faire capturer par l’ennemi pour défendre son pays) et du sentimentalisme (perversion des sentiments et des émotions par l’image forte mais simple : le chien qui aboie de désespoir autour du cercueil du soldat mort pour la patrie, la paysanne albanaise désorientée sous les bombes avec son petit chat).

        Cette manipulation est exercée par plusieurs moyens. Tout d’abord, elle s’opère par la télévision avec la diffusion d’images d’une guerre qui n’existe pas. En effet, comme le dit si bien Brean, on ne se souvient que des images et non des faits réels: le V de la victoire de Winston Churchill et le drapeau planté d’Iwo Jima pendant la seconde guerre mondiale, la petite fille brûlée au nalpam pendant la guerre du Vietnam.
        L’information des médias (journaux, radio) est donc employée pour assurer le mensonge. Les médias sont en effet les premiers à rapporter les communiqués du gouvernement. La population est aussi fortement influencée par les spots de campagne, les slogans (« ne jamais changer de cheval en pleine course », mot d’ordre de Lincoln pendant la guerre de sécession) et les gestes politiques (les chaussures délaissées au bord des routes pour compatir avec des soldats sensés être en captivité).
        Le son est aussi convoqué pour faciliter la supercherie. Le conseiller Brean et le producteur décident de se servir également de la musique et créent un nouvel hymne national (« The American Dream »), des chants militaires (« Good Old Shoe », « The Men of the 303 »).
        Enfin, les « hommes d’influence » s’appuient sur la distribution massive commerciale : d’une statue en l’honneur des victimes de l’Albanie, découlent des produits dérivés (horloges, montres...).

        L’Amérique est donc une dangereuse machine de manipulation comme le prouve si bien, à la fin, le plan en contre-plongée de Brean, derrière une vitre sur laquelle se reflète le drapeau américain. Avec ce Brean puissant et inatteignable, Levinson montre que tous les moyens sont bons pour travestir la réalité.
        La critique de l’Amérique dans Des Hommes d’influence est donc assez féroce. Levinson met en place une inversion des valeurs : l’acteur choisi pour jouer le soldat rapatrié n’est autre qu’un ancien prisonnier, violeur abruti. On fait alors d’un criminel un héros national. Il peut même mourir et comme le dit Brean : quel meilleur héros qu’un héros mort ?
        Les combattants ne sont donc plus ce qu’ils étaient (il n’y en a plus, ce sont des acteurs !) et la guerre perd tout son sens. « Produite » par un tycoon hollywoodien, la guerre devient du show-buisness. Plus tard, Brean déclarera qu’une guerre (de plus nucléaire) mue par des intérêts quels qu’ils soient va remplacer la guerre de valeurs et d’idéologies.

        La dénonciation touche tout le monde, en commençant par la population. En effet, les Américains ne s’intéressent pas à la politique. S’ils votent (le taux d’abstention est très élevé), ils le font pour l’image du candidat (les Américains sont très moralistes) et non pour ses idées politiques. En fait, ils préfèrent le côté « people » au fond des importantes questions politiques.
        Les médias sont la principale cible de critique du film. Alors qu’ils veulent montrer à la population que rien ne lui est caché, que la transparence est totale et permanente, ils sont les premiers à véhiculer l’invraisemblable. Levinson dénonce le fait que les médias ne vérifient pas leurs sources et croient aveuglement aux déclarations du gouvernement. Les médias ne sont pas fiables car, plus que la vérité, ils recherchent le spectaculaire, l’impressionnant et le captivant.
        Le gouvernement et les hommes politiques sont eux au sommet de la pyramide du mensonge. Ils orchestrent une véritable manipulation pour rester en place et ne semblent pas être préoccupés par les véritables enjeux politiques. La politique interventionniste américaine est à ce titre très critiquée. « Les Américains ne déclarent jamais la guerre : ils entrent en guerre » comme s’amuse à le relever Brean.

        Avec ses répliques grinçantes, Des Hommes d’influence est une comédie satirique qui fait froid dans le dos du spectateur. C’est un film inquiétant où l’on rit jaune car on sait (et la réalité l’a plus ou moins prouvé par la suite) que cette fiction farfelue ne l’est pas tant que cela. Notons tout de même que le film se termine sur une certaine noirceur. Il se clôt en effet par la mort de Stanley Motss, le producteur qui voulait révéler par égocentricité la réalité sur cette fausse guerre.
        Ce producteur est joué par un Dustin Hoffman surexcité qui parle à 300 à l’heure. C’est lui qui aura la meilleure réplique du film : alors que le président semble se rétracter, il crie « mais il ne peut pas arrêter cette guerre, ce n’est pas lui qui l’a produite ! ».
        Avec sa gigantesque villa, son peignoir, ses cocktails et ses anecdotes de cinéma, l’acteur caricature le personnage réel de Robert Evans, important directeur de production de la Paramount lors du Nouvel Hollywood. Stanley Motss se plaint de n’avoir jamais remporté d’oscar et aussi de ne souvent pas être crédité au générique. C’est aussi le cas d’Evans, producteur à l’origine du Parrain (1972) de Francis Ford Coppola.


Le producteur Robert Evans

Le producteur Stanley Motss interprété par Dustin Hoffman



        Face à Hoffman, Robert De Niro, peu soigné et laconique, compose un sobre Conrad Brean avec nœud pap, chapeau et barbe de quatre jours. Incroyables comédiens, De Niro et Hoffman prouvent qu’ils sont les meilleurs acteurs de leur génération, à côté d’Al Pacino et de Gene Hackman.
        Les deux acteurs s’étaient déjà rencontrés dans Sleepers (1996), le précédent film de Levinson. Leur route allait de nouveau se croiser pour le tournage de Mon beau-père, mes parents et moi (2004) de Jay Roach. Tous deux connaissent bien Barry Levinson. Dustin Hoffman avait déjà collaboré avec lui pour Rain Man (1989) et allait le retrouver pour Sphere (1998). Quant à De Niro, il jouera dans What just happened ?, le tout dernier film de Levinson, sur la vie mouvementée d’un producteur de cinéma, qui sortira bientôt directement en dvd en France.


        Attaque féroce de la société américaine (médias, gouvernement, population), Des Hommes d’influence nous montre à quel point il faut garder un regard critique et se méfier de l’image, celle-ci pouvant être facilement truquée. C’est donc un film à la fois drôle et alarmant qui nous mène à réfléchir sur le pouvoir politique en raison de son contexte et de ses similitudes entre la fiction et la réalité.
        Malgré la force du propos de ce film railleur, on peut cependant lui reprocher quelques petits défauts. En effet, à part quelques plans audacieux au début du film (caméras de surveillance pour souligner le danger de l’image trompeuse), la réalisation de Levinson est assez molle et manque cruellement de style. Le film aurait été beaucoup plus inquiétant s’il était visuellement plus réaliste, documentaire.
        Peut-être Levinson a-t-il transformé l’essai avec sa comédie Man of the Year (2006) avec Robin Williams, dans lequel il développe à nouveau l’idée que la politique n’est que du show buisness. Le film raconte le destin d’un animateur de talk show politique qui se lance dans la course à la présidence des Etats-Unis et qui se retrouve élu malgré lui à cette fonction suprême…

04.11.08.