Après l’échec de sa Flûte enchantée (2006), d’après l’opéra de Mozart, Kenneth Branagh, loin d’être découragé, est revenu à son premier amour qu’est le théâtre. Ainsi, il a décidé de faire une nouvelle version cinématographique du Limier (1970), pièce de théâtre à succès d’Anthony Schaffer.
Joseph Mankiewicz en avait déjà tiré une adaptation en 1972 : le rôle du riche romancier Andrew Wyke était tenu par l’acteur Laurence Olivier alors que Michael Caine jouait celui de Milo Tindle, l’amant de la femme de l’écrivain. Trente cinq ans après, Branagh inverse les rôles et c’est Caine qui incarne cette fois-ci l’aristocrate aisé. Se référant à la version de Mankiewicz, Branagh signe pourtant un film différent, actualisé, plus violent et pervers.
Schaffer, qui adaptait lui-même sa propre pièce dans la version de 1972, est remplacé par le dramaturge de renommée Harold Pinter, récemment décédé. Ce dernier ne va pas beaucoup changer l’histoire. Il s’agit toujours de la vengeance du mari sur l’amant, lequel, par une machination diabolique, parvient à renverser la tendance. Il est donc question d’une lutte à mort à la Hegel où l’un cherche à dominer l’autre à tout prix. Le jeu du chat et de la souris étant le même, qu’est-ce qui a donc vraiment changé d’une version à l’autre ?
Tout d’abord, Branagh renouvelle le sens de la pièce en modifiant quelque peu les enjeux de l’interminable duel. En effet, Branagh, à défaut d’insister sur le caractère social de l’opposition entre les deux hommes (l’aristocrate contre le parvenu), approfondit son caractère sexuel en rajoutant une histoire d’homosexualité.
Dans le film de Mankiewicz, Wyke était joué par Laurence Olivier, acteur notoirement gay, mais l’homosexualité envisageable entre les deux hommes n’était pas développée, même si elle était latente. En revanche, l’homosexualité était véritablement appréhendée dans Piège mortel (1982) de Sidney Lumet. Ce film, également adapté d’une pièce de théâtre, entretient des liens directs avec Le Limier : l’intrigue est pratiquement la même (le romancier devient dramaturge) et on y trouve encore la présence de Michael Caine.
Branagh aborde donc lui directement le sujet de l’homosexualité. Dans son film, Wyke propose en effet à Tindle d’arrêter leur duel : après s’être séparé de sa femme, Tindle pourrait devenir son secrétaire à plein temps… Tindle feint tout d’abord d’accepter avant de violement repousser les avances de Wyke.
Le caractère pervers du conflit est également souligné par la mise en scène de Branagh. Ce dernier privilégie en effet de nombreux plans de reflets dans des miroirs ou de caméras de surveillance qui apportent un côté voyeur et plus vicieux. Branagh a en fait remplacé la demeure baroque et labyrinthique du film de Mankiewicz par une maison « high-tech » : murs mobiles, écrans omniprésents, système de surveillance, ascenseur, lumières changeantes… Celui qui s’approprie la télécommande devient alors le maître de la manipulation.
Avec cette maison hypermoderne, Branagh opère une véritable stylisation visuelle et assume donc bien plus que Mankiewicz l’origine théâtrale de son film. Le réalisateur trouve son bonheur dans Le Limier : grand admirateur de Shakespeare, qu’il a de nombreuses fois adapté, il peut voir dans Wyke une figure moderne du roi maure Othello dont la jalousie mène au meurtre.
Face au septuagénaire Michael Caine en Wyke, on trouve Jude Law, brillant acteur de la nouvelle génération. Les liens de filiation entre Caine et Law apparaissent une fois de plus vraiment évidents, après que Law ait repris le rôle du dragueur Alfie, tenu par Caine en 1966, dans le remake Irrésistible Alfie (2004) de Charles Shyer. Jude Law, très investi dans la réalisation du film, est allé jusqu’à le produire[1].
Plus épurée (elle dure quarante minutes de moins), la version du Limier de Kenneth Branagh est bien supérieure à celle de Mankiewicz. Le moment où Tindle se déguise en policier pour effrayer Wyke paraît moins ridicule et Branagh montre qu’il est capable de ne pas faire sombrer son film dans la théâtralité.
Malgré la virtuosité de la mise en scène et le talent des deux comédiens, Sleuth, excellent exemple du bon remake qu’il fallait faire, n’a pas eu le succès qu’il méritait. Sorti uniquement dans des salles d’art et d’essais aux Etats-Unis, il n’a connu qu’une distribution très limitée en France (trois cinémas à Paris lors de sa sortie). Il n’y a pourtant aucune raison de le cacher…
22.12.08.
[1] Jude Law avait également produit Capitaine Sky et le Monde de Demain (2004) de Kerry Conrad, dans lequel il jouait le rôle principal.
Joseph Mankiewicz en avait déjà tiré une adaptation en 1972 : le rôle du riche romancier Andrew Wyke était tenu par l’acteur Laurence Olivier alors que Michael Caine jouait celui de Milo Tindle, l’amant de la femme de l’écrivain. Trente cinq ans après, Branagh inverse les rôles et c’est Caine qui incarne cette fois-ci l’aristocrate aisé. Se référant à la version de Mankiewicz, Branagh signe pourtant un film différent, actualisé, plus violent et pervers.
Schaffer, qui adaptait lui-même sa propre pièce dans la version de 1972, est remplacé par le dramaturge de renommée Harold Pinter, récemment décédé. Ce dernier ne va pas beaucoup changer l’histoire. Il s’agit toujours de la vengeance du mari sur l’amant, lequel, par une machination diabolique, parvient à renverser la tendance. Il est donc question d’une lutte à mort à la Hegel où l’un cherche à dominer l’autre à tout prix. Le jeu du chat et de la souris étant le même, qu’est-ce qui a donc vraiment changé d’une version à l’autre ?
Tout d’abord, Branagh renouvelle le sens de la pièce en modifiant quelque peu les enjeux de l’interminable duel. En effet, Branagh, à défaut d’insister sur le caractère social de l’opposition entre les deux hommes (l’aristocrate contre le parvenu), approfondit son caractère sexuel en rajoutant une histoire d’homosexualité.
Dans le film de Mankiewicz, Wyke était joué par Laurence Olivier, acteur notoirement gay, mais l’homosexualité envisageable entre les deux hommes n’était pas développée, même si elle était latente. En revanche, l’homosexualité était véritablement appréhendée dans Piège mortel (1982) de Sidney Lumet. Ce film, également adapté d’une pièce de théâtre, entretient des liens directs avec Le Limier : l’intrigue est pratiquement la même (le romancier devient dramaturge) et on y trouve encore la présence de Michael Caine.
Branagh aborde donc lui directement le sujet de l’homosexualité. Dans son film, Wyke propose en effet à Tindle d’arrêter leur duel : après s’être séparé de sa femme, Tindle pourrait devenir son secrétaire à plein temps… Tindle feint tout d’abord d’accepter avant de violement repousser les avances de Wyke.
Le caractère pervers du conflit est également souligné par la mise en scène de Branagh. Ce dernier privilégie en effet de nombreux plans de reflets dans des miroirs ou de caméras de surveillance qui apportent un côté voyeur et plus vicieux. Branagh a en fait remplacé la demeure baroque et labyrinthique du film de Mankiewicz par une maison « high-tech » : murs mobiles, écrans omniprésents, système de surveillance, ascenseur, lumières changeantes… Celui qui s’approprie la télécommande devient alors le maître de la manipulation.
Avec cette maison hypermoderne, Branagh opère une véritable stylisation visuelle et assume donc bien plus que Mankiewicz l’origine théâtrale de son film. Le réalisateur trouve son bonheur dans Le Limier : grand admirateur de Shakespeare, qu’il a de nombreuses fois adapté, il peut voir dans Wyke une figure moderne du roi maure Othello dont la jalousie mène au meurtre.
Face au septuagénaire Michael Caine en Wyke, on trouve Jude Law, brillant acteur de la nouvelle génération. Les liens de filiation entre Caine et Law apparaissent une fois de plus vraiment évidents, après que Law ait repris le rôle du dragueur Alfie, tenu par Caine en 1966, dans le remake Irrésistible Alfie (2004) de Charles Shyer. Jude Law, très investi dans la réalisation du film, est allé jusqu’à le produire[1].
Plus épurée (elle dure quarante minutes de moins), la version du Limier de Kenneth Branagh est bien supérieure à celle de Mankiewicz. Le moment où Tindle se déguise en policier pour effrayer Wyke paraît moins ridicule et Branagh montre qu’il est capable de ne pas faire sombrer son film dans la théâtralité.
Malgré la virtuosité de la mise en scène et le talent des deux comédiens, Sleuth, excellent exemple du bon remake qu’il fallait faire, n’a pas eu le succès qu’il méritait. Sorti uniquement dans des salles d’art et d’essais aux Etats-Unis, il n’a connu qu’une distribution très limitée en France (trois cinémas à Paris lors de sa sortie). Il n’y a pourtant aucune raison de le cacher…
22.12.08.
[1] Jude Law avait également produit Capitaine Sky et le Monde de Demain (2004) de Kerry Conrad, dans lequel il jouait le rôle principal.