John Brahm est un cinéaste de l’âge classique méconnu. Ce metteur en scène de théâtre allemand émigre aux USA en 1937. Dans sa chaotique filmographie hollywoodienne, on décèle bon nombre de remakes[1]. Quelques films ont acquis une certaine réputation : The Lodger (1944) et Hangover Square (1945), deux films situés dans le Londres brumeux du XIXème siècle ; The Brasher Doubloon (1947), une adaptation de Chandler avec George Montgomery dans le rôle de Philip Marlowe. Plus tard, il réalisera des d’épisodes de la Twilight Zone.
Le Médaillon est l’un de ses films les plus célèbres de Brahm. Cette production RKO s’inscrit dans une série de drames conjugaux aux confluents du film noir et qui comprend notamment La Proie du Mort (1941) de Woody S. Wan Dyke II, Péché mortel (1945) de John Stahl, Lame de Fond (1946) de Vincente Minnelli ainsi que certains des premiers films américains d’Hitchcock comme Rebecca (1940) et Soupçons (1941). Dans ces films, le doute sur le conjoint, sur son identité ou sa culpabilité, se trouve au cœur de l’intrigue. Le film est assez conventionnel mais n’exclue pas pour autant quelques audaces.
Le début insolite fait songer à une nouvelle. Le Médaillon s’ouvre en effet par une réception mondaine en préparation d’un mariage. Le futur époux y reçoit la visite d’un psychiatre qui lui révèle que sa fiancée Nancy a été sa femme auparavant et qu’elle souffre d’importants troubles psychiques. Commence alors un flash back dans lequel le médecin narre la venue similaire après son mariage d’un inconnu qui accuse Nancy de kleptomanie et de meurtre. Trois flashes backs se retrouvent ainsi imbriqués dans ce film à la construction complexe typique du film noir.
Pourtant, le film n’est pas marqué par des cadrages et des éclairages particulièrement expressionnistes. Il n’y aura pas non plus de véritable criminel dans cette histoire : le portrait de Nancy s’éloigne de la femme fatale et s’avère moins une vamp perverse qu’une manipulatrice maladive.
Néanmoins, comme bien d’autres films noirs et notamment le contemporain La Maison de docteur Edwardes, Le Médaillon exploite l’engouement d’alors pour la psychanalyse. Le freudisme y est réduit à une grossière caricature : l’héroïne est meurtrie par un traumatisme enfantin qu’une boîte de musique vient mécaniquement réveiller. Dans son traitement de la psychanalyse, le film n’est pas sans ironie, dépeignant un psychiatre parfois peu attentif aux déclarations de ses propres patients. Quant à Nancy, elle parvient à influencer son mari de telle sorte qu’elle le persuade d’examiner son ancien amant !
Un autre trait qui fait du Médaillon un film noir est la présence d’une peinture de Norman sur le thème de la folie et dont le modèle n’est autre que Nancy. Cette représentation de l’être aimé contribue, comme dans Laura d’Otto Preminger, a renforcé la fascination qu’exerce la jeune femme sur les personnages et les spectateurs. Cette intrusion de l’art dans Le Médaillon fait apparaître une dimension sociale puisque Brahm oppose les riches faussement amateurs (leurs femmes, elles, sont couvertes de colliers) et les domestiques, tenus à l’écart de ce monde.
La présence de bourgeois imperturbables, en contrepoint d’un meurtre, fait tout le sel de l’haletante séquence. Parmi les autres éléments insolites du film, relevons le suicide par défenestration tout à fait inattendu de Norman, campé par Robert Mitchum ainsi qu’un final buñuelien où l’héroïne, se croyant démasquée, devient hystérique. Le film, sombre, n’offrira pas de résolution par la psychanalyse. Il ne tranchera pas non plus vraiment sur la culpabilité de la jeune femme et laissera planer le doute chez le spectateur.
Le Médaillon, malgré la lourdeur de l’approche psychanalytique, est donc un film noir mineur mais que ses quelques originalités rendent très sympathique. Il nous donne envie de découvrir un peu mieux l’obscur John Brahm.
[1] Son premier film, Broken Blossoms (1936), est un remake du Lys Brisé de Griffith ; Penitentiary/Prison centrale (1938) est un remake du Code criminel d’Howard Hawks ; The Lodger/ Jack l’éventreur (1944) est un remake du film homonyme d’Hitchcock.