Après Un tramway nommé Désir (1951), Baby Doll constitue la seconde collaboration du réalisateur Elia Kazan avec le dramaturge Tennessee Williams. Bien qu’inspiré d’une pièce d’un seul acte (27 Wagons Full of Cotton, datant de 1946), Baby Doll demeure l’unique scénario original de Tennessee Williams. Baignant dans l’atmosphère suintante et vicieuse du Sud, Baby Doll marque la fusion entre l’œuvre dramatique de Tennessee Williams et la mise en scène ardente d’Elia Kazan.
Baby Doll, comme Lolita de Nabokov (œuvre tout à fait contemporaine puisque le roman a été publié en 1955) contribue à la création d’un nouveau personnage de fiction : du haut de ses dix-neuf ans, « Baby Doll » Meighan (Caroll Baker) est une véritable femme-enfant. Elle suce son pouce dans son lit/berceau et se caractérise par une grande ingénuité : son vocabulaire est pauvre, elle a peur de la grande demeure dans laquelle elle vit et se révèle très crédule. Imbécile, elle sait néanmoins jouer de son seul atout : son corps de femme, objet de toutes les convoitises. Enfant gâtée et capricieuse, elle parvient à soumettre Archie Lee, son mari, un exploitant de coton bien plus âgé qu’elle.
Archie Lee avait promis à son beau-père de ne pas consommer leur union avant qu'elle n'atteigne ses 20 ans (le film est très explicite sur ce sujet). Rustre et alcoolique, Archie Lee est avant tout grotesque: affublé d’un gros nez (celui de l’acteur Karl Malden), il épie sa femme à travers des trous dans les cloisons et ne parvient pas à prendre le dessus sur sa gamine d’épouse. Au bord de la faillite, il décide de mettre secrètement le feu à l'égreneuse de coton de son rival pour relancer ses affaires. Ce dernier, Silva Vacarro (Eli Wallach), d’origine italienne, est un adversaire de taille, bien plus intelligent que le couple d’idiots à qui il a affaire.
Baby Doll concentre beaucoup d’éléments récurrents de l’œuvre de Tennessee Williams, véhiculant la vision d’un Sud en décrépitude, perturbé par la venue d’un étranger. Ses habitants débiles semblent être atteints d’une perversité certaine . Le sexe n’est pas relégué au sous-texte mais s’avère bel et bien le sujet principal du film. Ainsi, Baby Doll se refuse à son mari mais ne peut résister au jeu de séduction appuyé de Vacarro. Dans une scène fortement érotique, ce dernier, assis devant Baby Doll, imite ouvertement le geste sexuel avec le basculement d’une balançoire.
Dans Baby Doll, les situations humaines, ponctuées de cris et de pleurs, sont exacerbées. Chargé de l’écriture du scénario, Tennessee Williams a signé encore une fois un texte très théâtral : on retrouve l’unité de lieu (la vaste demeure vide de Baby Doll), de temps (l’action se déroule sur deux jours) et de personnages (il n’y pas plus de quatre vrais personnages).
L’apport de Kazan est lui plus perceptible au niveau de la direction des acteurs. Après Géant de George Stevens, Caroll Baker trouve ici son premier grand rôle. Quant à Eli Wallack (qui avait déjà interprété Tennessee Williams à Broadway), il s’agit de sa première apparition cinématographique. Karl Malden, lui, était déjà de l’aventure du Tramway nommé Désir. Avec Baby Doll, Kazan a donc révélé trois grands acteurs, tous issus de l’Actors Studio où il enseignait lui-même.
Kazan privilégie les plans rapprochés, la proximité physique entre les personnages et les soupirs concupiscents. Multipliant les plans séquences propres à mettre en valeur le jeu des acteurs, Elia Kazan excelle également dans sa gestion du décor, véritable terrain de cache-cache. Baby Doll apparaît comme très abouti esthétiquement [1]: la musique jazzy (signée Kenyon Hopkins) et le noir et blanc cru (photographie de Boris Kaufman) contribuent grandement au caractère lascif, sensuel voire sexuel du film.
Jugé indécent en raison du traitement de la question sexuelle, Baby Doll, fut condamné dès sa sortie en décembre 1956 par la Ligue pour la vertu pour outrage aux bonnes mœurs. Les boycotts des salles de cinéma, menés par les catholiques, contribuèrent à retirer le film des écrans au tournant de l'année 1957.
Il y avait de quoi : Baby Doll, comme les autres œuvres de Tennessee Williams, marque le spectateur par la violence de ses conflits et les caractères y sont violents à défaut d’être complexes. Et contrairement au Lolita de Kubrick, assez comparable sur certains points (dont l’apparition mythique du personnage de femme enfant) mais parfois embarrassé d’une approche romantique, Baby Doll, lui, choque toujours autant, cinquante ans après, réveillant les penchants pédophiles du spectateur.
03.12.11.
[1] Notons que le film fut nominé quatre fois aux oscars (meilleure actrice pour Carroll Baker; meilleure adaptation pour Tennessee Williams ; meilleure photographie pour Boris Kaufman ; meilleure actrice de second plan pour Mildred Dunnock) mais n’en remporta aucun.