lundi 19 décembre 2011

The Lodger / Jack l’éventreur (1944) de John Brahm


         Jack l’éventreur de John Brahm est la troisième adaptation de The Lodger (1913), roman de Marie Belloc Lowndes[1] après la version muette d’Alfred Hitchcock en 1927 (Les Cheveux d'or) et celle parlante de Maurice Elvey en 1932 (Meurtres) mais avant celle d’Hugo Fregonese en 1953 (Man in the Attic/ L'Étrange Mr. Slade) [2]. Réputé être l’un des meilleurs films de son réalisateur, The Lodger convainc dans sa vision d’un Londres embrumé mais frappe surtout pour quelques éclairs de génie dans la mise en scène.


         Laird Cregar remplace Ivor Novello dans le rôle de Mr Slade, l’inquiétant locataire dont de nombreux indices mènent à penser qu’il est le coupable des crimes qui sévissent alors dans le quartier de Whitechapel. Le criminel se définit par une certaine ambigüité sexuelle, suggérée par un caractère obséquieux et une misogynie apparente. Avec sa forte carrure et sa mine patibulaire, Laird Cregar densifie le personnage en lui offrant une certaine candeur.
         Si le film de Brahm ressemble beaucoup au film d’Hitchcock, la différence majeure réside dans la conclusion, déroutante pour le spectateur qui a déjà vu la première version du film : alors que le film d’Hitchcock semblait faire l’éloge de la présomption d’innocence en disculpant le personnage du locataire que les circonstances accablaient (le public n’était d’ailleurs pas convaincu), le remake des années 40 conforte la culpabilité du personnage. Il en résulte ainsi une absence totale de suspense, assez surprenante.
         En effet, les scènes de crime de Jack l’éventreur intéressent peu le spectateur qui sait à l’avance quand l’assassin va sévir. De même, malgré la qualité de cette production de la Fox (les décors et costumes sont de qualité), la peinture du Londres populaire de la fin du XIXème siècle, envahi par le brouillard, donne un impression de « déjà vu » : les films sur Jack l’éventreur, en plus des scènes de meurtre, contribuent toujours à la vision d’une société échelonnée entre les lords et les milieux les plus populaires, les maîtres et les bonnes. Une autre convention du genre se caractérise par la conclusion incertaine qui permet d’expliquer la préservation du mystère concernant l’identité du serial killer.
         Ce qui nous impressionne davantage, ce sont donc les scènes finales de course-poursuite avec le tueur, magnifiées par les cadrages rapprochés (des plans en plongée ou en contreplongée) et les éclairages contrastés du chef opérateur Lucien Ballard (qui par exemple laisse filtrer la lumière à travers les stries d’une grillagée). Le visage angoissant de Laird Cregar envahissant l’écran dans les gros plans renforce le sentiment de peur qui finit enfin par envahir le spectateur dans le climax de The Lodger. Ce film américain, tourné par un allemand (John Brahm) et sensé se passer en Angleterre, est un pur produit de l’hybridation hollywoodienne, mâtiné des leçons de l’expressionisme.


         Hangover Place (1945), le film suivant de Brahm, est souvent considéré comme le petit frère de The Lodger. On y retrouverait exactement la même formule que celle du Lodger : une série B de la Fox avec des acteurs de second plan en vedette (Laird Cregar et George Sanders), un même scénariste (Barré Lyndon synonyme d’Alfred Edgar), un même cadre (le Londres victorien de la fin du siècle et sa brume épaisse) ainsi, dit-on, que les mêmes qualités techniques (à savoir une esthétique expressionniste soulignée par le cadrage et la photographie).

19.12.11.



[1] Marie Belloc Lowndes est une prolifique romancière britannique du début du XXème siècle. The Lodger est son œuvre la plus célèbre.
[2] Ivor Novello joue dans les deux premières versions. Ces deux films sont anglais alors que le film de Brahm et d’Hugo Fregonese sont américains.