lundi 25 février 2008

Carnival of Souls / Le Carnaval des âmes (1962) de Herk Harvey



        Le Carnaval des âmes est l’unique long métrage et film de fiction de Herk Harvey. En effet, ce réalisateur méconnu n’aura jamais réalisé que des courts-métrages éducatifs, documentaires ou publicitaires pour la Centron Corporation entre 1952 et 1985. Avec Le Carnaval des âmes, il a pourtant signé un œuvre qui marque une transition importante dans le film fantastique et qui se cessera par la suite d’être une source d’inspiration majeure.


        Le Carnaval des âmes est avant tout un film fantastique. En effet, l’histoire de Mary, rescapée miraculeuse d’un accident de voiture, qui se voit rappelée dans le monde des morts par des zombies est constamment plongée dans le doute. La capacité de discernement du personnage principal est ambigüe puisque l’apparition des morts-vivants est toujours remise en cause : s’agit-il de la réalité ou d’une vision imaginée, fantasmée ?
        Le film baigne donc dans une atmosphère onirique ou plutôt cauchemardesque. L’une des meilleures scènes du film est sûrement celle où l’héroïne, comme transparente, inexistante, devient coupée du monde soudainement muet et tente désespérément de communiquer avec ceux qui l’entourent. En fait, la jeune femme ne peut échapper aux zombies qui l’attirent vers le bal de la mort, dans un parc d’attraction désaffecté.

        Harvey exploite les ficelles du film fantastique. En effet, les passages avec le prêtre ou le psychiatre qui expliquent les hallucinations de Mary par sa méfiance envers Dieu et la société sont des véritables scènes de « rationalisation » propres au film fantastique. Harvey s’inspire du maquillage expressionniste du docteur Mabuse pour le premier zombie qui apparait (qu’il incarne d’ailleurs lui-même). De plus, l’image du monstre sortant de l’eau la nuit fait penser à L’Etrange Créature du Lac noir (1954) de Jack Arnold. La musique d’orgue de Gene Moore et le générique aux lettres gothiques contribuent aussi à l’étrangeté du film. Quant au noir et blanc contrasté du film, il soutient la peur constante du spectateur.
        En fait, Harvey a compris l’essence du film fantastique : il préfère la suggestion à la représentation. Ainsi, au lieu de montrer du sang qui coule et des victimes éventrées, il fait surgir la peur à partir d’un rien : un rideau qui bouge, un reflet, un passant inquiétant. Il n’y a que très peu d’effets terrifiants et, somme toute, hormis les zombies et le parc d’attraction, le surnaturel s’inscrit dans un quotidien du plus banal : un centre commercial, un garage, une église… Toutefois, même si Harvey assimile les règles du genre, son film s’en détache un peu, préfigurant ainsi La Nuit des morts-vivants que George Romero réalisera quatre ans plus tard.
        En effet, Le Carnaval des âmes a beaucoup de points communs avec La Nuit des morts-vivants de Romero. Du point de vue de la réalisation, il s’agit dans les cas de films à petits budgets, qualifiables de « fauchés ». Le film d’Harvey est tourné en 3 semaines, en 16 mm, avec un budget dérisoire (30 000 $), avec des non-professionnels (la plupart des acteurs sont des collègues de travail ou des amis d’Harvey) et une actrice principale fade (Candace Hilligoss[1]), dans des décors naturels déjà existants (le parc de loisirs désaffecté près de Salt Lake City). Les deux films subirent aussi un sort équivalent : après un flop en salles, ils furent diffusés dans des drive-in avant de devenir des films libres de droits et surtout des films « cultes » pour une certaine génération de cinéphiles friands de films d’horreur.


        Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Même si leurs morts-vivants font parfois référence aux personnages classiques du genre (le docteur Mabuse dans le film d’Harvey ; Frankenstein avec le zombie au début du film de George Romero), ils s’en détachent dans la mesure où les zombies n’étaient alors que des « créatures » très peu exploitées par les films fantastiques[2]. En effet, les morts-vivants d’Harvey, simples humains en costume cravate, ne sont effrayants que par leurs maquillages et expressions morbides. Mais là où Harvey s’arrêtait à la suggestion, Romero ira jusqu’à la représentation des zombies dévorant à pleines dents les entrailles de leurs victimes.

        Georges Romero ne sera pas le seul à être influencé par le film d’Harvey. En effet, alors que les hallucinations de Mary semblent être des images mentales sorties de chez Resnais, les espaces vides et déshumanisés ainsi que cette histoire de rescapée traumatisée par un accident de voiture nous font tout de suite penser au Désert rouge qu’Antonioni allait réaliser deux après. Mais Le Carnaval des âmes nous évoque aussi la série Twin peaks (1990-1991) de David Lynch, Le Sixième sens (1999) de Night Shyamalan ou encore Les Autres (2001) d’Alejandro Amenabar. Tim Burton cite lui aussi très souvent ce film qu’il considère comme l’un de ses préférés. L’importance de ce film est donc considérable.



        Annonciateur de La Nuit des morts-vivants de Romero, Le Carnaval des âmes tient donc une place intéressante dans l’histoire du cinéma puisqu’il enclenche le glissement du cinéma fantastique vers le film d’horreur. Ce n’est donc pas par hasard qu’il a donné lieu à un remake homonyme en 1998, réalisé par Adam Grossman et Ian Kessner, produit par Wes Craven, l’un des grands maîtres du genre.

25.02.08.



[1] Candace Hilligoss ne tournera par la suite que dans un autre film d’horreur, The Curse of Living Corpse de Del Tenney en 1964, aux côtés de Roy Scheider.
[2] Il ne faut pas oublier cependant Vaudou (1943) de Jacques Tourneur.