James Mangold signe ici un remake du classique homonyme de 1957 réalisé par Delmer Daves, film qu’il avait vu dès l’âge de 17 ans. Avec 3h10 pour Yuma, Mangold concrétise donc un rêve d’enfant. Le film de Daves est son film préféré et il s’en était déjà inspiré pour Copland (1997). En effet, il s’agissait aussi de l’histoire d’un sheriff (mais de nos jours) qui s’oppose à la corruption d’une ville. Le film se terminait même par un règlement de comptes très westernien. Le personnage principal, joué par Sylvester Stalone, s’appelait Freddy Heflin, Heflin faisant référence au nom de l’acteur qui interprétait le fermier dans le film de Daves.
Mangold, qui a signé un thriller (Identity, 2003) et un biopic sur Johnny Cash (Walk the Line, 2005), est fidèle aux règles des genres. Avec 3h10 pour Yuma, il montre qu’il a bien assimilé les codes du western (l’attaque de la diligence, la séquence du saloon, la discussion le soir auprès du feu). Cependant, on peut lui reprocher d’adopter un « folklore Lucky Luke », très caricatural : on aurait pu se passer du cheval que l’on siffle, de l’attaque des indiens ou des immigrants chinois constructeurs de chemins de fer !
Par souci de la tradition, Mangold a fait appel à des dinosaures survivants du western. Ainsi, il a créée un rôle spécial de chasseur de primes pour Peter Fonda, le fils d’Henry, qui avait fait une incursion dans le western en tant que réalisateur [L’Homme sans frontière (1971) et Wanda Nevada (1979)] et en tant qu’acteur [Hawken’s Breed (1987) de Charles Pierce et South of Heaven, West of Hell (2000) de Dwight Yoakam].
Dans cette volonté de ressusciter les formes classiques, Mangold offre aussi la représentation d’une homosexualité latente, seulement suggérée, entre le bandit Ben Wade et son complice Charlie Prince. Ce personnage, empreint de sadisme, semble à ce titre être le seul élément du film relatif à l’héritage du western spaghetti.
L’objectif de Mangold est alors le suivant : il veut réactualiser les formes classiques du western. Pour ce faire, il faut un film avec plus d’action et plus de psychologie. Si le remake dure 30 minutes de plus que la version originale, c’est parce que Mangold y a rajouté scènes d’action, poursuites, cascades et fusillades. Le final, où le fermier Dan Evans doit mener Wade, son prisonnier, à la gare, doit d’ailleurs être au moins trois fois plus long que dans le film de Daves.
Transformer le western en film d’action, pourquoi pas ? Cependant, il faut tout de même rappeler qu’il n’y a pas plus bavard que le western. C’est pourquoi rajouter de la psychologie au film de Daves paraît un peu bancal. D’autant plus que Mangold modifie les enjeux de l’histoire. En 2007, il ne s’agit plus des mêmes préoccupations.
Alors que dans le film de Daves, les frontières entre bien et mal se faisaient floues, le spectateur qui sort du film de Mangold n’a pas été dérouté le moins du monde par ce qu’il a vu, contrairement à ce que souhaitait Mangold. Dans son film, on sait très bien que le bon a été Evans du début à la fin, alors que le méchant, c’était Ben Wade qui finit par se refermer la porte de la prison sur lui-même comme pour purger la faute qu’il a commise. Notons d’ailleurs le pessimisme actuel du film de Mangold dans lequel Evans meurt, contrairement à la version originale.
Le nouveau 3h10 pour Yuma est assez caractéristique des problèmes et complexes contemporains des Etats-Unis à l’heure de la guerre en Irak. En effet, alors que le film de Daves était une ode à la différence et à la compréhension, le film de Mangold est une énième réflexion dans la veine de Mémoires de nos Pères (2006) de Clint Eastwood sur le thème « qu’est ce qu’un héros ? ».
Ici, il est donc question d’honneur et de courage, de paternité et de famille. Dans la version 2007, les enfants du fermier Evans prennent une place beaucoup plus importante. Que lègue-t-on à ses enfants ? Evans, le père, est-il un lâche ? En effet, on lui reproche sa blessure accidentelle à la jambe lors de la guerre de sécession[1].
Le film de Mangold va donc à l’encontre de la logique westernienne : il ne montre pas comment l’homme en vient à la violence puisque celui-ci l’a déjà connue lors de la guerre. La question posée est donc intéressante mais elle n’est pas proprement westernienne et pourrait très bien être transposée dans d’autres genres (le film de guerre, le polar, l’histoire initiatique...).
Agréablement réalisé et joué (Christian Bale et Russell Crowe[2], remplaçant respectivement Van Heflin et Glenn Ford, sont assez convaincants), le 3h10 pour Yuma de Mangold est plutôt bien ficelé. Que Mangold booste en action son film n’est pas idiot. Mais qu’il lui enlève ses enjeux westerniens est plus gênant. D’ailleurs, l’intérêt de ce remake est d’autant plus amoindri par la déjà excellente qualité de l’original. Le cinéma américain contemporain, qui n’arrive pas à dépasser les formes classiques, serait-il arrivé à un point limite ?
31.01.09.
[1] Le personnage de Stalone dans Copland (1997) était également handicapé d’une oreille.
[2] Russell Crowe avait déjà joué dans un western : Mort ou Vif (1995) de Sam Raimi.