Blindman sort à un moment où, en termes de production, le western spaghetti commence à décliner et où, en termes esthétiques, le genre sombre dans la veine autoparodique. Le film de Baldi peut être considéré comme l’une des dernières grandes œuvres sérieuses du genre avant les derniers feux crépusculaires que sont Keoma (1976) de Enzo G. Castellari ou Adios California (1977) de Michele Lupo.
          L’histoire de Blindman connait des accents épiques. Notre héros aveugle se met en tête de sauver cinquante femmes d’un bordel mexicain, géré par une fratrie de bandits et visité par les « federales ». Malgré ses bonnes intentions et son handicap, Bindman ne nous attendrit pas : le personnage est motivé par la perspective récompense et il se caractérise avant tout par un humour cynique et une ironie dérangeante.
          L’originalité de ce western spaghetti ne réside pas uniquement dans la bizarrerie du personnage principal. Violent, à la limite du surréalisme, Blindman apparaît comme un sommet du baroque dans le western spaghetti. « C’est une suite ininterrompue de clous spectaculaires : il faut avoir vu la scène de massacre des soldats (dans l’esprit du final paroxystique de La Horde sauvage) ; il faut avoir vu les hommes de Domingo pourchasser et maltraiter les cinquante prostituées en fuite dans le désert ; il faut avoir vu le village peint en noir sur l’ordre de Domingo suite à la mort de son frère et la procession nocturne autour du défunt ; il faut avoir vu [le général mexicain] brûler les yeux du bandido avec le feu rougeoyant de son cigare ». [1]
          A travers le personnage du justicier aveugle mais fin tireur, Blindman se réfère à la saga des Zatoichi. Les liens entre le western et le cinéma japonais sont nombreux, aussi étrange que cela puisse paraitre. Il existait déjà un jeu d’influence entre le cinéma américain et le cinéma japonais : par exemple, Kurosawa est influencé par John Ford ou Georges Stevens et en retour, John Sturges réalise avec Les Sept Mercenaires un remake des Sept Samouraïs. Miroir déformant du western américain, le western transalpin a lui aussi à établi des rapports avec cinéma nippon et ce dès le début. Ainsi, Sergio Leone s’inspire de Yojimbo (1961) de Kurosawa pour Une Poignée de Dollars (1964), a été condamné pour plagiat ! Par la suite, Tony Anthony, interprète principal mais aussi scénariste-producteur du film de Baldi, est la vedette de Lo Straniero di Silenzio (1968) de Luigi Vanzi, dans lequel un pistolero silencieux se retrouve au Japon. Cette confrontation des cultures annonce Soleil rouge (1972), coproduction internationale réalisée par Terrence Young et dans laquelle un samouraï campé par Toshiro Mifune est parachuté en Amérique. L’intrusion du personnage du samouraï a été également repris, qu’il soit interprété par Tatsuya Nakadai dans Cinq Gâchettes d’Or (1968) de Tonino Cervi ou par Tetsuro Tamba dans Cinq Hommes armés (1969) de Don Taylor et Italo Zingarelli, tous deux scénarisés par Dario Argento. Enfin, un film comme Western Sukiyaki Django (2007) de Takashi Mike continue d’entretenir cette relation étonnante entre les deux cinémas.
          A l’heure de sa mort, le western spaghetti a également lorgné du côté de la Chine. Pour renouveler le genre qui s’essoufflait, les italiens ont essayé de le mélanger avec les films d'arts martiaux (souvent en coproduction avec la Shaw Brothers): ces « western soja » ont donné lieu aux Rangers défient les karatékas (1973) de Bruno Corbucci ; Winchester, Kung-Fu et Karaté (1973) de Yeo Ban Yee ; Mon nom est Shangaï Joe (1973) de Mario Caiano ; le Blanc, le Jaune et le Noir (1974) de Sergio Corbucci ou encore La Brute, le Colt et le Karaté (1974) d’Antonio Margheriti.
          Blindman frappe par l’outrance de sa violence et de sa folie. Recherchant les excès du genre tout en s’ouvrant à l’esprit de la contre-culture (un sentiment renforcé par la présence de Ringo Starr dans le rôle du frère du grand méchant), le film de Baldi s’apparente à ce que le critique américain Jonathan Rosenbaum a pu appeler un « acid western » [2] au même titre qu’El Topo [3] (1970) d’Alejandro Jodorowsky. Blindman donne envie de se lancer à la redécouverte du western transalpin.
[1] In Il était une fois… le western européen de Jean-François Giré, 2002, Dreamland, p. 246.
[2] L’idée a germé en 1996 dans la critique de Dead Man de Jim Jarmusch et a été développée dans un entretien de Rosenbaum avec Jarmusch ainsi que dans un ouvrage sur Dead Man édité par le BFI en 2000.
[3] Blindman comme El Topo tous deux sont produits par Allen Klein, le manager des Beatles depuis la mort prématurée de Brian Epstein. Klein a également produit la trilogie du « stranger » avec Tony Anthony.