En 1962, Barbet Schroeder fonde avec Éric Rohmer « Les Films du Losange », société
de production qui allait produire la quasi totalité des films du cinéaste.
Trois ans après, la compagnie se lance dans l’aventure de Paris Vu Par, film à sketches dans lequel plusieurs réalisateurs
revisitent un quartier de la capitale, à l’occasion d’une petite histoire volontiers
ironique et filmée en 16 mm. Comme plus tard Loin du Vietnam, Paris Vu Par
peut apparaître comme un manifeste de la Nouvelle Vague. Si cette impression
est fondée au regard de la cohérence du film, ce film à sketches laisse chaque
cinéaste exprimer sa singularité.
Barbet Schroeder refuse de faire un film à sketches
proche des coproductions internationales de l’époque, « cuisines »
dans lesquelles on a « des grands acteurs pour quelques jours et pour pas
trop d’argent » et où le coût de la coproduction est amoindri par le
tournage dans un seul pays. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser
penser, Paris Vu Par n’est pas
vraiment un film sur Paris. Pour le jeune Barbet Schroeder, il s’agit de
rassembler « la fraction la plus vivante du cinéma français »[1].
Tous différents, les cinéastes se rejoignent pourtant dans la volonté de
mélanger la réalité (et le regard documentaire) avec la fiction.
Jean Douchet inaugure le film avec un sketch sur Saint
Germain des Près. Cette petite histoire a des airs de nouvelle fantastique :
une jeune américaine se laisse séduire par un « germanopratin
science-piste » mais découvre son double le lendemain. Dans le même
registre anecdotique et amusant, Jean-Daniel Pollet filme les hésitations d’un
client avec une prostituée de la Rue Saint-Denis. Un décalage certain existe
entre le film attendu (le portrait cru de la prostitution) et le film existant
(la mise en scène d’une situation cocasse).
Le sketch de Rohmer, lui, met en scène un vendeur de
chemises persuadé d’avoir tué accidentellement un clochard place de l’Etoile. Le
changement dans la vie bien réglée de notre héros sans histoire se traduit par
la modification de son chemin quotidien: son trajet habituel et circulaire
(le tour de la place) est remplacé par un autre plus linéaire (notre héros
descendant désormais avenue Kléber…). Ce court métrage sur les peurs d’un petit
commerçant surprend de la part de Rohmer, plus habitué à révéler la lascivité
de la classe bourgeoise.
On est également étonné par le sketch de Godard sur
Montparnasse et Levalois tant le cinéaste paraît se répéter : cette
anglaise mignonne perdue à Paris nous fait penser à Jean Seberg dans A bout de Souffle et cette histoire nous
avait déjà été racontée par Belmondo dans Une
femme est une femme (dont la musique est reprise)[2].
Là encore, on retrouve la formule du conte assorti d’ironie : une femme
enfermée dans un double jeu refuse de voir la réalité en face. Les hommes,
qu’ils soient de la classe populaire (l’artisan garagiste) ou bourgeoise
(l’artiste qui travaille également la tôle), vont remettre la jeune fille à sa
place, dans un grand élan de misogynie. Le dualisme se retrouve également au
niveau de la construction du film : écrit par Godard, la mise en scène a
été en fait confiée à l’américain Albert Maysles.
Deux sketches sortent particulièrement du lot. Claude
Chabrol signe un condensé de son œuvre centrée sur la critique de la
bourgeoisie: un garçon du XVIème arrondissement met des boules Quiès pour ne
plus entendre les disputes entre ses parents et leurs propos vains ou mesquins.
Sourd, il n’entendra pas les cris de sa mère quand elle sera victime d’un
accident. De façon amusante, le sketch s’appelle la Muette…
Enfin, c’est la partie de Jean Rouch sur le quartier
de la gare du Nord qui impressionne le plus. Le cinéaste met en œuvre son cinéma
vérité : le court est filmé en un unique plan-séquence (bien que trafiqué).
Rouch nous révèle ce qui précède un drame né du hasard. On assiste à une
brouille d’un couple qui se transforme en rupture. La femme fait alors la
rencontre d’un inconnu qui lui promet la vie dont elle avait rêvée. Cette
confrontation apparaît comme une intrusion de l’impossible dans le quotidien. Cette
entrée désespérée de la fiction dans le documentaire ne peut qu’échouer.
Pour Jean Douchet, Paris
Vu Par constitue l’expression même de la Nouvelle Vague en même temps qu’un
point final de ce cinéma (à cette époque, Chabrol ou Godard commencent à
connaître des échecs commerciaux). Souvent à la limite de l’expérimental, Paris Vu Par demeure finalement un
projet collectif cohérent et abouti.
L’expérience sera renouvelée plus tard avec Paris Vu Par Vingt ans après (1984) et Paris, Je t’aime (2006).
13.04.12.
[2]
A ce moment, Godard filme justement avec Pierrot
le Fou, une œuvre-somme qui reprend des éléments de ses films antérieurs.