En mai
1932, Leni Riefenstahl, actrice vedette de films de montagne (La Montagne sacrée, L’enfer blanc du Piz
Palü, La Lumière bleue…), aurait rencontré pour la première fois Adolf
Hitler. Après son accession au pouvoir, Hitler demande à Riefenstahl de filmer
les congrès du parti nazi qui se tiennent à Nuremberg : ce sera Sieg
des Glaubens (La Victoire de la Foi) sur le congrès de 1933, Triumph
des Willens (Le Triomphe de la volonté) sur le congrès de 1934 et Tag
der Freiheit: Unsere Wehrmacht (Jour
de la Liberté : Nos Forces de Défense) sur le congrès de 1935.
Le nombre
de participants (plus de 700 000 supporters sont réunis) et les
techniques de Riefenstahl font du Le
Triomphe de la Vérité, sur le 6ème congrès du Parti, le film de
propagande le plus impressionnant du cinéma nazi. Le Triomphe de la Vérité serait un des plus grands films de
l’histoire du cinéma, une réputation renforcée par la difficulté à pouvoir le
visionner.
D’un point
de vue technique et cinématographique, Le
Triomphe de la Vérité s’avère spectaculaire. Seize équipes de tournage sont
ainsi mobilisées (avec Walter Ruttmann parmi les techniciens). Lorsque la
caméra n’est pas mouvante (les travellings
circulaires et les mouvements de caméra ascendant sont nombreux), c’est pour se
fixer sur la grandeur du rassemblement, filmée en plan large. Le montage
alterne le cadrage du meeting avec des contre-champs de spectateurs enthousiastes
(cadrés en gros plans) pour humaniser la foule innombrable. Enfin, la
réalisatrice use abondement la contre-plongée pour mythifier le héros principal
du film qu’est le Führer.
La séquence
d'ouverture fait d'Hitler un dieu descendu des cieux pour sauver le peuple
allemand. « Un dieu nouveau descendant du Walhalla », selon Jean Mitry[1]
qui reprend l'analyse de Georges Sadoul[2]
(« L'avion du nouveau Messie se posait à Nuremberg ») qui,
plus loin, parle de « pompeuse déification wagnérienne » : il
faut dire qu’en plus de l’utilisation de la musique du compositeur, Sigfried
Kracauer, dans Caligari à Hitler[3],
fait un lien entre les trompettes théâtrales que l’on aperçoit dans le film de
Riefenstahl et celles des Nibelungen.
Mais sur
terre, après ce début efficace, le spectateur se laisse envahir par l’ennui et
ce, malgré la mise en scène énergique de Riefenstahl. Car le spectateur
constate au bout d’une demi-heure l’absence de sujet : Le Triomphe de la Vérité n’est qu’une
suite de parades militaires sous l’œil bienveillant d’Hitler, parfois
entrecoupées de discours idéologiques. Il existe un problème de rythme car
la lassitude est inévitable devant toutes ces démonstrations de force
pompeuses. Kracauer parle de « triomphe de volonté nihiliste » où
l’on tente de remplacer « le défaut de contenu » par des
« structures artistiques formelles ».
Riefenstahl
s’est toujours défendu d’avoir tourné un film de propagande, déclarant n’avoir
tourné qu’un documentaire. Cette affirmation ne peut paraître que mensongère au
regard des moyens mis en œuvre au service du spectacle majestueux et
mystificateur. De plus, selon la réalisatrice, « les préparatifs pour le
congrès du parti furent faits parallèlement aux préparatifs pour les activités
de la réalisation cinématographique ».
Pour Sadoul, le but du Triomphe de la Vérité est double lors de sa sortie en 1935:
« Montrer aux nazis la solidarité du parti, ce qui était nécessaire au lendemain
de l'affaire Roehm[4];
introduire les leaders dans le film ; ils diraient quelques mots et les
Allemands pourraient ainsi identifier leurs véritables chefs. » Le
deuxième objectif serait d'impressionner l'étranger. Dans cette optique, il est
évident que le film est une réussite : seulement un an après l’accession
d’Hitler au pouvoir, le spectateur est persuadé de la toute puissance du parti
nazi et a le sentiment d’assister à un moment d’une grande cohésion sociale
autour d’un leader.
L’idéologie
s’avère parfois plus étonnante. A l’époque, le discours est encore pacifiste
(malgré tous les défilés militaires!). De même, l’union du peuple
allemand, meurtri par la défaite de 1918, l’emporte sur un discours raciste
pratiquement manquant. Pour Roger Ebert, cette absence d’antisémitisme serait
un « calcul » pour mieux édulcorer la propagande[5].
Le Triomphe de la Vérité fut apparemment
un succès en salle en Allemagne à sa sortie. Le film sera couronné en 1934 par
le Prix du film allemand et par le Lion d'or de la Mostra de Venise mais
également… par un Grand Prix international lors de l’Exposition universelle de
Paris en 1937. A l’étranger, le film fit peur et mena à la prise de conscience
de l’importance de la montée en puissance du nazisme.
C’est la
terreur que lui inspira le film de Riefenstahl qui incitera Frank Capra à tourner le projet Why We Fight pendant la guerre. Chaplin s’inspirera aussi
directement des discours du Führer dans Le
Triomphe de la Vérité pour son Dictateur
(1940). Presque quatre vingt ans après sa sortie, Le Triomphe de la Vérité n’a rien perdu de sa puissance visuelle ni
de la terreur qu’il inspire.
28.04.12.
[1] In Histoire du cinéma (1967-1980), Tome 4, Jean-Pierre
Delarge, 1980, p. 548.
[2] In Histoire du cinéma mondial (1949), Flammarion, 9ème édition,
1993, p. 161.
[3] In De Caligari à Hitler (1947), L’Age
d’Homme, 1973, p. 102.
[4]
Dans le montage original du film, Hitler évoque la nuit des longs couteaux dans
un discours et affirme son absence de responsabilité. Un montage ultérieur
coupera cette référence.
[5] In "The
Wonderful Horrible Life of Leni Riefenstahl", publié dans le Chicago
Sun-Times du 24
Juin 1994.