samedi 19 mai 2012

Triumph Des Willems / Le Triomphe de la Volonté (1935) de Leni Riefenstahl


En mai 1932, Leni Riefenstahl, actrice vedette de films de montagne (La Montagne sacrée, L’enfer blanc du Piz Palü, La Lumière bleue…), aurait rencontré pour la première fois Adolf Hitler. Après son accession au pouvoir, Hitler demande à Riefenstahl de filmer les congrès du parti nazi qui se tiennent à Nuremberg : ce sera Sieg des Glaubens (La Victoire de la Foi) sur le congrès de 1933, Triumph des Willens (Le Triomphe de la volonté) sur le congrès de 1934 et Tag der Freiheit: Unsere Wehrmacht (Jour de la Liberté : Nos Forces de Défense) sur le congrès de 1935.
Le nombre de participants (plus de 700 000 supporters sont réunis) et les techniques de Riefenstahl font du Le Triomphe de la Vérité, sur le 6ème congrès du Parti, le film de propagande le plus impressionnant du cinéma nazi. Le Triomphe de la Vérité serait un des plus grands films de l’histoire du cinéma, une réputation renforcée par la difficulté à pouvoir le visionner.


D’un point de vue technique et cinématographique, Le Triomphe de la Vérité s’avère spectaculaire. Seize équipes de tournage sont ainsi mobilisées (avec Walter Ruttmann parmi les techniciens). Lorsque la caméra n’est pas mouvante (les travellings circulaires et les mouvements de caméra ascendant sont nombreux), c’est pour se fixer sur la grandeur du rassemblement, filmée en plan large. Le montage alterne le cadrage du meeting avec des contre-champs de spectateurs enthousiastes (cadrés en gros plans) pour humaniser la foule innombrable. Enfin, la réalisatrice use abondement la contre-plongée pour mythifier le héros principal du film qu’est le Führer.
La séquence d'ouverture fait d'Hitler un dieu descendu des cieux pour sauver le peuple allemand. « Un dieu nouveau descendant du Walhalla », selon Jean Mitry[1] qui reprend l'analyse de Georges Sadoul[2] (« L'avion du nouveau Messie se posait à Nuremberg ») qui, plus loin, parle de « pompeuse déification wagnérienne » : il faut dire qu’en plus de l’utilisation de la musique du compositeur, Sigfried Kracauer, dans Caligari à Hitler[3], fait un lien entre les trompettes théâtrales que l’on aperçoit dans le film de Riefenstahl et celles des Nibelungen.
Mais sur terre, après ce début efficace, le spectateur se laisse envahir par l’ennui et ce, malgré la mise en scène énergique de Riefenstahl. Car le spectateur constate au bout d’une demi-heure l’absence de sujet : Le Triomphe de la Vérité n’est qu’une suite de parades militaires sous l’œil bienveillant d’Hitler, parfois entrecoupées de discours idéologiques. Il existe un problème de rythme car la lassitude est inévitable devant toutes ces démonstrations de force pompeuses. Kracauer parle de « triomphe de volonté nihiliste » où l’on tente de remplacer « le défaut de contenu » par des « structures artistiques formelles ».

Riefenstahl s’est toujours défendu d’avoir tourné un film de propagande, déclarant n’avoir tourné qu’un documentaire. Cette affirmation ne peut paraître que mensongère au regard des moyens mis en œuvre au service du spectacle majestueux et mystificateur. De plus, selon la réalisatrice, « les préparatifs pour le congrès du parti furent faits parallèlement aux préparatifs pour les activités de la réalisation cinématographique ».
 Pour Sadoul, le but du Triomphe de la Vérité est double lors de sa sortie en 1935: « Montrer aux nazis la solidarité du parti, ce qui était nécessaire au lendemain de l'affaire Roehm[4]; introduire les leaders dans le film ; ils diraient quelques mots et les Allemands pourraient ainsi identifier leurs véritables chefs. » Le deuxième objectif serait d'impressionner l'étranger. Dans cette optique, il est évident que le film est une réussite : seulement un an après l’accession d’Hitler au pouvoir, le spectateur est persuadé de la toute puissance du parti nazi et a le sentiment d’assister à un moment d’une grande cohésion sociale autour d’un leader.
L’idéologie s’avère parfois plus étonnante. A l’époque, le discours est encore pacifiste (malgré tous les défilés militaires!). De même, l’union du peuple allemand, meurtri par la défaite de 1918, l’emporte sur un discours raciste pratiquement manquant. Pour Roger Ebert, cette absence d’antisémitisme serait un « calcul » pour mieux édulcorer la propagande[5].


Le Triomphe de la Vérité fut apparemment un succès en salle en Allemagne à sa sortie. Le film sera couronné en 1934 par le Prix du film allemand et par le Lion d'or de la Mostra de Venise mais également… par un Grand Prix international lors de l’Exposition universelle de Paris en 1937. A l’étranger, le film fit peur et mena à la prise de conscience de l’importance de la montée en puissance du nazisme.
C’est la terreur que lui inspira le film de Riefenstahl qui incitera Frank Capra à tourner le projet Why We Fight pendant la guerre. Chaplin s’inspirera aussi directement des discours du Führer dans Le Triomphe de la Vérité pour son Dictateur (1940). Presque quatre vingt ans après sa sortie, Le Triomphe de la Vérité n’a rien perdu de sa puissance visuelle ni de la terreur qu’il inspire.

28.04.12.






[1] In Histoire du cinéma (1967-1980), Tome 4, Jean-Pierre Delarge, 1980, p. 548.
[2] In Histoire du cinéma mondial (1949), Flammarion, 9ème édition, 1993, p. 161.
[3] In De Caligari à Hitler (1947), L’Age d’Homme, 1973, p. 102.
[4] Dans le montage original du film, Hitler évoque la nuit des longs couteaux dans un discours et affirme son absence de responsabilité. Un montage ultérieur coupera cette référence.
[5] In "The Wonderful Horrible Life of Leni Riefenstahl", publié dans le Chicago Sun-Times du 24 Juin 1994.