dimanche 20 octobre 2013

Возвращение / Le Retour (2003) d'Andreï Zviaguintsev

Avec Un Nouveau Russe (2001) de Pavel Lungin, Le Retour, récompensé par le Lion d'or au festival de Venise de 2003, marque le renouveau du cinéma russe au début des années 2000. Ce premier film frappe par sa rigueur dramatique et sa puissance esthétique.
 
Le Retour ressemble à un conte, à une légende tant le récit qu’il met en scène est simple et se base sur un nombre limité de personnages: Andrei et Ivan, deux jeunes frères vivant dans le Nord de la Russie, sont bouleversés par la réapparition de leur père qu'ils ne connaissent qu'à travers une photographie vieille de dix ans. Le lendemain, l'homme, énigmatique, propose à ses enfants de partir en voiture pour une partie de pêche. Le voyage se prolonge par une étrange virée vers une île abandonnée où le père trouvera accidentellement la mort.
 
Le Retour apparait comme un conte moderne et renvoie aux mythes anciens: le retour de ce père sur une île évoque le retour d'Ulysse à Ithaque dans L'Odyssée. Quant à la mort du père, causée indirectement par un de ses fils, elle s'inscrit dans la lignée de la Télégonie, la suite de l'épopée troyenne, citée directement par le réalisateur dans des interviews, et dans laquelle Ulysse se fait assassiner par son fils Télégonos, dans un récit aux accents fort œdipiens. Comme dans le mythe antique, c'est la simplicité de l'histoire qui permet la multitude d'interprétations et qui permet à l'œuvre d'accéder à l'universalité.
 
Car privilégiant le mystère, Le Retour ne donne aucune explication rationnelle quant à l'identité véritable du père, personnage taciturne et autoritaire qui conserve son aura et son mystère. Lorsque les deux enfants l'aperçoivent pour la première fois, il apparaît hirsute, endormi et allongé de dos sur un lit, évoquant ainsi une peinture du Christ ou d'un martyre. Commandant ses enfants sur la barque qui les emmène à l'île, le père, affublé d'un manteau à capuche, rappelle un moine inquisiteur ou Charon sur le Styx. Le père est-il un saint ou un fantôme ? Qu'en est-il du trésor caché qu'il déterre sur l'île ? L'épave du grand bateau au bord de l'île n'est-il pas un vestige de l'ère soviétique ? Le récit s’ouvre alors à l’interprétation politique : la Russie d’aujourd’hui tue-t-elle ses ainés ? Le trésor, n’est-ce pas une prospérité rêvée, illusoire ?
 
Le Retour peut également être appréhendé sous un autre angle: tout en doutant du lien de paternité, les enfants vont apprendre la dureté du voyage et de la vie au côté de leur prétendu père. Ivan, l'enfant le plus méfiant vis-à-vis du père, refuse de l'appeler papa jusqu'à ce que, finalement, la barque qui porte son cadavre commence à couler. Ce père n'était peut-être pas le leur mais le chemin parcouru ensemble a sûrement soudé les liens qui les unissaient. On pourrait donc concevoir Le Retour comme un récit d'apprentissage ou comme un road-movie.
 
Entretenant le secret et privilégiant la contemplation devant les paysages naturels splendides de la Russie, Le Retour semble marcher sur les pas du cinéma métaphysique et méditatif de Tarkovski. Après Le Retour, Zviaguintsev a réalisé deux films qui ont été salués par les critiques occidentaux lors des festivals.
 
06.09.13.