lundi 18 août 2008

There Will be Blood (2008) de Paul Thomas Anderson

        Pour son cinquième film, Paul Thomas Anderson change de cap et d’échelle de film. Avec There Will be Blood, il réalise une œuvre ambitieuse, un grand film, tant par son sujet que par son budget, plutôt important pour un film d’un représentant du cinéma américain indépendant. C’est une réussite incontestable qui semble justifier l’unanime acclamation des critiques lors de sa sortie.


        Très largement inspiré de Pétrole ! (1927) d’Upton Sainclair, There Will be Blood tente de revisiter les fondements de la société américaine. Dès le premier plan du film, Paul Thomas Anderson fait table rase du passé en nous montrant un majestueux et silencieux paysage désertique. Cette terre, c’est tout simplement l’Amérique.
        Le décor planté, la grande fresque sur la Californie allant de 1898 à 1927 peut alors commencer. Le film, qui dure plus de 2h30, prend son temps. Il faudra d’ailleurs attendre une bonne quinzaine de minutes pour entendre le son d’une voix. Le début, muet donc, nous présente l’acharnement d’un chercheur d’or qui creuse seul dans une galerie souterraine. Avec une caméra aussi brute que celle du Trou (1960) de Jacques Becker, Paul Thomas Anderson nous rappelle alors la puissance des images et affirme la capacité du cinéma à tout représenter.

        Ce chercheur d’or déterminé n’est autre que Daniel Plainview qui montre autant par sa propre sécheresse que par son nom qu’il est attaché à cette terre aride. Au lieu du précieux métal doré, il va finir par vraiment trouver de l’or noir cette fois-ci. De simple piocheur, il va ensuite s’élever au rang d’entrepreneur et de patron grâce à son acharnement. Avec une ambition de conquérant, il va progressivement s’approprier toutes les terres avoisinantes. Il rencontrera cependant une opposition, celle d’un fade homme d’église non convaincu par la sincérité de celui qui propose de construire une église en contrepartie d’un terrain.

        Sourire en coin, Plainview, se plaît à se présenter comme un « oilman ». Mais, malgré sa fine moustache et son air respectable d’honnête notable qui se promène constamment avec son jeune garçon, Plainview est un éternel manipulateur et menteur. Bref, cet amoureux de l’argent et de la notion de « propriété » se révèle la personnification même du capitalisme. Face à lui, Eli est aussi un habile manipulateur des esprits et des âmes. Prêchant au nom de sa foi, il ne parvient pas non plus à cacher son hypocrisie. Pratiquant des séances d’exorcisme et interpellant son dieu de façon ridicule, Eli est un véritable charlatan, à la façon d’Elmer Gantry.
        Si There Will be Blood parle de l’Amérique, c’est parce qu’il évoque aussi l’antagonisme constant entre capitalisme et religion qui a toujours marqué l’histoire de ce pays et ce, depuis le tout début, depuis la construction même de l’Ouest. Avec ce propos, Paul Thomas Anderson jette un œil nouveau sur la fondation des Etats-Unis dans le sens où il va plus loin que l’idée très westernienne d’un pays qui se bâtit tôt ou tard par la violence. Ici, il ne s’agit plus d’une lutte du bien contre le mal mais d’une opposition entre différentes valeurs.

        L’édification de l’Amérique par la violence se retrouve aussi en effet dans There Will be Blood. Le titre du film, très shakespearien, n’est d’ailleurs pas le plus exact : il devrait être plutôt « Oil appeals blood ». There Will be Blood est en fait placé sous l’ombre de Shakespeare et donc, par boule de neige cinématographique, sous celle de Welles et de son Citizen Kane (1941), autre grand film démesuré.
        Comme Citizen Kane, There Will be Blood raconte l’ascension, puis la chute d’un être géant, un personnage bigger than life. Sur la route de la réussite, Plainview va sombrer dans la paranoïa, devenir totalement associable. Il va perdre ses amis, son fils[1] et même son âme. Comme Kane, il finira sa vie, reclus dans un immense palace, vide comme le désert qui l’a toujours accompagné. Ici, le puzzle a été remplacé par une salle de jeu où, dans un final opératique à la Coppola, il assassinera de façon sauvage, en hurlant, le malingre pasteur à coups de boule de bowling.

        Cependant, on peut voir dans There Will be Blood plus qu’un simple film révisionniste sur l’Amérique, ce qui en soit était déjà pas mal. En effet, le film vise à suivre son époque et à dénoncer les grands magnats du pétrole qui, dans leur soif d’or noir, n’hésitent pas à envahir d’autres terres que les leurs, quelque part au Moyen Orient par exemple. Avouons qu’il est difficile en regardant There Will be Blood de ne pas faire un rapprochement avec l’actualité.

        Ambitieux donc dans ses desseins, There Will be Blood l’est évidemment aussi à des niveaux techniques, cinématographiquement parlant : la sublime photographie, signée par Robert Elswit, le chef opérateur désormais attitré du réalisateur, relève de la maniaquerie des austères films de Kubrick et la musique stridente et décalée de Johnny Greenwood du groupe Radio Head se révèle très avant-gardiste. Dans ce tableau lent et intimiste, Paul Thomas Anderson ne renonce d’ailleurs pas au spectaculaire, comme le prouve la scène très impressionnante de l’incendie du forage.
        Notons enfin que la réussite du film tient beaucoup à sa brillante distribution. Daniel Day Lewis, acteur caméléon prouve en incarnant Plainview qu’il est un digne héritier de Marlon Brando. Quant à Eli, il est interprété par le très prometteur Paul Dano, l’adolescent mutique adepte de Nietzche dans Little Miss Sunshine (2006) de Jonathan Dayton.


        Même s’il paraît marqué par l’ombre de Citizen Kane, There Will be Blood nous semble cependant assez neuf par bien d’autres aspects. Ce n’est pas le chef d’œuvre complet que toutes les critiques avaient annoncé, mais c’est un film parfait, qui justifie ses nombreuses récompenses et nominations à la dernière cérémonie des oscars[2].

18.08.08.


[1] Le thème de la relation filiale était déjà abordé dans Magnolia (1999).
[2] There Will be blood a remporté l’oscar de la meilleure photographie (Robert Elswit) et du meilleur acteur [Daniel Day Lewis gagne son second oscar après celui qu’il avait reçu pour son rôle de peintre handicapé dans My left foot (1989) de Jim Sheridan] et a été nominé pour celui du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scénario adapté, du meilleur montage sonore, du meilleur montage et aussi pour celui des meilleurs décors.