lundi 18 août 2008

No Country for Old Men /No Country for Old Men: Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme (2008) de Joel et Ethan Coen



        Délaissant la pure comédie, les frères Coen reviennent à leur veine du rire grinçant et de l’humour noir, très noir. Et cette fois-ci, les réalisateurs, grands admirateurs de film noir, abordent enfin (et il était temps) le deuxième genre cinématographique spécifiquement américain qu’est le western. Avec No Country for Old Men, les Coen font donc preuve de maturité artistique, préférant plutôt explorer la confluence des genres que s’inscrire sous la paternité d’autres auteurs, dans un climat résolument référenciel.

        Tiré d’un best-seller de Cormac McCarthy[1] sorti en 2005, No Country for Old Men est un polar noir à l’intrigue très épurée. Il s’agit d’une poursuite haletante entre Moss (Josh Brolin[2]), un cow-boy nonchalant, Chigurh (Javier Bardem), un effroyable tueur à gages et Bell (Tommy Lee Jones[3]), le vieux shérif du comté.
        Dans le même désert qui semble ne pas avoir bougé depuis cent ans, à la frontière entre le Texas et le Mexique, Moss trouve un butin sur une scène de crime : sur le sol aride gisent les cadavres de dealers chicanos dévorés par les rapaces. Les picks-ups ont désormais remplacé les chevaux et les trafics de drogue les règlements de compte entre truands, les vols de diligence et les attaques d’indiens. Plus tard, le shérif va se rendre sur les lieux du massacre pour étudier la situation. Mais en fait, rien n’a changé : tout n’est pour l’instant que modernisation du cadre westernien.


        Moss est un mélange de personnages archétypaux. Avec son stetson, sa moustache rustique et son fusil de chasse, Moss s’apparente à un véritable cow-boy de western. Cependant, cet homme un peu naïf et courageux, qui ne cesse d’accumuler erreur sur erreur dans le but de quitter son misérable mobil home, n’est autre qu’un de ces losers magnifiques de films noirs qu’adorent les Coen.
        Mais alors que le spectateur s’habitue à un cadre et à un personnage, les Coen vont s’amuser à nous troubler et à nous faire rire jaune. Dans ce tableau bien défini, va arriver un être « ovni » : Chigurh (le nom est d’ailleurs étrange), un dangereux psychopathe tout de noir vêtu, un ange de la Mort terrifiant aux fantomatiques apparitions et disparitions. Ce Droopy taciturne se promène avec une bonbonne à air comprimé pour tuer des bœufs. C’est pourtant lui l’animal bestial qui multiplie les meurtres sauvages et gratuits, alimentés par de stupides jeux de pile ou face avec une pièce de monnaie pour décider de l’existence de ses victimes.

        Le personnage de Chigurh permet de satisfaire le goût pour l’absurde des Coen, toujours non loin du surréalisme, du loufoque et du cartoon. Le personnage de Chigurh est donc l’intrus, l’étranger, tant par son rôle que par son apparition dans le cinéma des frères Coen et même dans le cinéma américain tout court puisque l’acteur, Javier Bardem, est de nationalité espagnole.

        Le comportement de l’inexpressif Chigurh est incompréhensible et les traces de sang qu’il laisse derrière lui restent inconcevables. Bell, le vieux shérif fatigué, chargé de l’enquête, se perd dans ses rêves mystérieux et morbides et dans son propre pays qu’il ne reconnait plus. Les « bells », le glas sonne en fait pour lui.

        Les Coen modifient donc un peu le sens classique du simple western crépusculaire qui était annoncé par le titre apocalyptique du film. Certes, les héros n’ont plus leur place dans ces temps résolument changés, mais dans No Country for Old Men, la raison de ce décalage n’est plus seulement la modernité mais c’est une valeur (?) inconnue, mystérieuse, incarnée par l’impénétrable Chigurh.

        Cependant, la réponse peut se trouver dans l’explosion de brutalité inouïe qui submerge l’écran et qui fait d’ailleurs de No Country for Old Men le film assurément le plus violent et le plus angoissant des Coen. Il faut avouer que les scènes où Chigurh retrouve la trace de Moss dans un minable motel sont particulièrement impressionnantes. Clouant nerveusement le spectateur à son siège grâce à l’art du cadre (fameux plan du sang coulant sur la chaussure), les Coen parviennent à maîtriser un suspense hitchcockien et exploitent royalement les ficelles du thriller.

        Mais revenons sur le titre très crépusculaire du film. Notons que No Country for Old Men, film d’action très prenant, est une œuvre plutôt étonnante dans la filmographie des Coen. Et si les Coen étaient en fait lesdits « Old Men », forcés de faire des polars nerveux pour suivre leur temps ? Comme avec No Country for Old Men, les Coen, au sommet de leur art, signent un film parfait, nous ne répondrons donc volontairement pas à la question.


        No Country for Old Men étant sûrement l’un des meilleurs films des deux frères, la pluie d’oscars[4] qu’il a accumulés se trouve donc justifiée. Après cette œuvre impeccablement sombre, on attend avec impatience Burn after Reading, le prochain film des Coen, qui marquera leur retour à la comédie.

18.08.08.




[1] Cormac McCarthy (né en 1933) est l’auteur de romans à succès qui se déroulent souvent dans le Nouveau Mexique et qui jouent sur le folklore westernien. Billy Bob Thornton, ami des Coen avait déjà adapté un de ses livres avec De Si Jolis Chevaux (2000).
[2] Josh Brolin jouait le cow-boy déjà nonchalant qui ne savait pas quoi voir au cinéma dans « World Cinema », le sketch de Chacun son cinéma (2007) réalisé par les frères Coen.
[3] Tommy Lee Jones semble incarner une ancienne figure du western. En effet, il a joué dans la série TV Lonesome Dove (1989) de Simon Wincer aux côtés de Robert Duvall et dans Les Disparues (2003) de Ron Howard. Enfin, le téléfilm The Good Old Boys (1995) et le film Trois Enterrements (2005), ses deux uniques réalisations (dans lesquelles il joue), sont eux aussi des westerns.
[4] No Country for Old Men a remporté l’oscar du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scenario adapté, du meilleur second rôle (Javier Bardem). Il a aussi été nominé à l’oscar de la meilleure photographie, du meilleur son, du meilleur montage sonore et du meilleur montage.