samedi 23 août 2008

Into the Wild (2008) de Sean Penn

        Into the Wild est le cinquième film de l’acteur Sean Penn en tant que réalisateur. Sean Penn, éternel baroudeur (dans tous les sens du terme) s’est beaucoup investi dans ce projet qui lui tenait à cœur. Il a produit lui-même le film et en a écrit le scénario. Il s’inspire de l’idéologie des films des années 60-70 et signe avec Into the Wild une quintessence du road movie.


        Inspiré d’une histoire vraie, Into the Wild s’intéresse à l’odyssée de Christopher McCandless, un jeune idéaliste qui traversa toute l’Amérique à partir de 1992 jusqu'à sa mort en 1994. En tenant régulièrement un journal et en prenant des photos, Chris a laissé beaucoup de traces de son voyage, ce qui explique le fort réalisme du film.

        Le début d’Into the Wild ressemble au Lauréat (1967) de Mike Nichols : sortant diplômé de l’université, Chris devient vite dégouté par l’avenir brillant et facile qui lui est tout tracé. Son père, ingénieur à la NASA, lui parle d’argent, de nouvelle voiture, de carrière alors que cette vie matérialiste l’insupporte. Chris, qui a soif de liberté, décide alors de tout quitter.

        Obstiné et courageux, il va laisser derrière lui sa famille et son compte bancaire, changer d’identité en se faisant appeler Alex Supertramp et prendre la route, le sac sur le dos. Son but ultime devient alors d’atteindre l’Alaska pour vivre en harmonie avec la Nature. Mais on s’en doute : le périple s’avérera tant spatial qu’intérieur.

        La construction du film, rigoureusement chapitré, n’est pas chronologique (il y a d’ailleurs de nombreux flashbacks visant à éclaircir l’enfance de Chris) mais suit une dramatisation linéaire. Elle fonctionne surtout en suivant la syntaxe du road movie.
        Ici, il n'y pas l’idée de la rencontre finale avec un double, un alter ego, mais plutôt celle d’une découverte de soi. Seul sur la route, se retrouvant face-à-face avec lui-même, Chris va devoir se « dépasser », c’est-à-dire aller plus loin que lui-même.

        Into the Wild aborde bien entendu le thème de la route. On assiste en effet à la scène quasi-obligatoire du passage à tabac ainsi qu’aux nombreuses rencontres que va faire Chris sur son chemin. Il semble trouver une nouvelle famille : une pseudo-fiancée en la personne d’une jeune chanteuse folk, un couple de parents hippies, un grand père solitaire abandonné. Avec ce portrait attendri de la communauté hippie, Sean Penn semble vouloir démontrer que les vrais Américains sont les marginaux. Comme les bikers d'Easy Rider (1968) de Dennis Hopper, seuls eux détiennent la vraie liberté.

                La question essentielle d’Into the Wild et de nombreux road movies, celle de L'Odyssée, jalonne tout le film : fallait-il vraiment partir alors que le bonheur était déjà à portée de main ? Lorsque Chris s’imagine dans la peau d’un citadin, cadre bien payé et sans histoire, la réponse lui paraît vite très claire. Si sa sœur lui manque tout de même un peu, il ne regrette pas ses parents qui se disputaient tout le temps et vivaient dans le mensonge.

        A la fin du film, lorsque Chris, sur le point de mourir (il a mangé une herbe non comestible) se retrouve reclus dans la carcasse d’un bus en pleine montagne, la question de la réussite de son expérience se pose pourtant de nouveau et c’est alors surtout l’échec qui semble l’emporter : sur la devanture de son "magic bus", n’a-t-il pas écrit son véritable nom au lieu de son pseudonyme ?
        En fait, parti dans la nature pour trouver la solitude, Chris réalise qu’il ne parvient pas à la supporter. Il ne peut survivre sans société et écrit dans son journal intime que le bonheur est fait pour être partagé. La boucle du road movie est bouclée: on ne peut s'échapper.

        Cependant, le message de Penn reste plus ambigu que cela. En effet, la dernière phrase que Chris murmure avant de quitter le monde demeure : « ils n'ont pas vu ce que j'ai vu ». Mais quoi ? The Wild, bien sûr : les paysages grandioses, la beauté de la nature que Penn parvient si bien à filmer avec Eric Gautier, son chef opérateur français[1].

        Dans le discours écologique d’Into the Wild (titre qui nous évoque d’ailleurs Jack London), Penn souligne à quel point l’homme s’est éloigné de cette nature tout en laissant des traces de son passage (le bus, par exemple). L’avion que voit Chris dans le ciel confirme en effet cette idée que l’homme survole cette nature, qu’il a conscience de son existence mais qu’il préfère toujours vivre en dehors, comme si la nature était un autre espace.

        Malgré la splendeur de la photographie, la mise en scène du film cache néanmoins quelques défauts. Alors que les plans en hélicoptère sont très impressionnants, le générique aux lettres vertes fluo est d’un assez mauvais goût et quelques effets (les ralentis notamment) ne sont pas toujours probants. Toutefois, le film gagne beaucoup dans son interprétation. En effet, la performance d’Emile Hirsch (il a 22 ans, l’âge de Chris) qui « la joue un peu à la DiCaprio » est particulièrement convaincante.


        Avec Into the Wild, Penn prouve qu’il a très bien saisi les enjeux du road movie. Mais, si les 2h30 du film sont dans l’ensemble très émouvantes, il faut avouer que le film de Penn sombre parfois dans le grandiloquent, un peu trop naïf et exalté. Il y a malgré tout un certain souffle dans ce film intelligent qui pose somme toute d’importantes questions existentielles au spectateur. Rappelons enfin qu’Into the Wild a été nominé à deux reprises à la dernière cérémonie des oscars (meilleur montage pour Jay Cassidy et meilleur second rôle masculin pour Hal Holbrook) mais n’a remporté aucune récompense.

23.08.08.


[1] Sean Penn a choisi Eric Gautier pour la direction de la photographie de son film puisque ce dernier avait été le chef opérateur d’un autre road movie, Carnets de Voyage (2004) de Walter Salles.