dimanche 23 septembre 2007

Les Amours d'Astrée et de Céladon (2007) d’Eric Rohmer

         La Nouvelle Vague a toujours été très littéraire. Ainsi, beaucoup de réalisateurs de ce mouvement font souvent référence à Balzac qu’ils adaptent même parfois. Leur point commun est d’ailleurs d’avoir été des critiques. Eric Rohmer, qui fait partie de ceux-là, est un ancien professeur de philosophie et de lettres. Il avait déjà adapté Kleist avec La Marquise d’O (1976), Chrétien de Troyes avec Perceval Le Gallois (1978). Dans L’Anglaise et le Duc (2001), il s’inspirait du journal de Grace Elliot, une britannique qui résida en France lors de la Révolution. De même, Le Genou de Claire (1970) s’apparentait à une réécriture déguisée de Marivaux, transposée à l’époque contemporaine. Il vient maintenant de s’attaquer à L’Astrée d’Honoré d’Urfé, écrit entre 1607 et 1624. L’œuvre d’Urfé est emblématique de la pastorale, genre précieux du XVIIème siècle qui mettait en scène les intrigues amoureuses de bergers raffinés au langage très soutenu dans un cadre champêtre idyllique. Si l’œuvre d’Urfé, découpée en quatre grandes parties, faisait plus de 5000 pages et était réputée pour sa longueur et ses lenteurs, le film de Rohmer, Les Amours d'Astrée et de Céladon, lui, frappe par sa simplicité et son épure.


         Les amours contrariées des bergers gaulois Astrée et Céladon nous sont alors contés. Astrée, croyant à tort que son amant est infidèle, lui ordonne de ne plus la voir. Céladon, ne pouvant supporter ce malentendu, court se jeter dans une rivière. Il sera cependant recueilli par des nymphes qui prennent soin de lui. Lorsqu’il est rétabli, il décide de respecter la volonté d’Astrée et se refuse de la rencontrer. Finalement, suivant les conseils du druide Adamas, il se travestit pour pouvoir rendre visite à sa bien-aimée. Lorsqu’il lui révèle son identité, Astrée lui pardonnera.

         Les Amours d'Astrée et de Céladon est un film qui trouve parfaitement sa place dans la filmographie d’Eric Rohmer. Les relations sentimentales avec ses malentendus et ses erreurs sont souvent traités par le cinéaste et le thème principal de l’histoire est celui de la fidélité, thème cher à Rohmer qui l’avait déjà exploré avec La Collectionneuse (1967), Ma Nuit chez Maud (1969), Les Nuits de la pleine Lune (1984) ou encore avec Conte d’Hiver (1991). L’artificialité qui caractérise son œuvre est encore au cœur du film. Cette artificialité se ressent avec cette histoire ridicule d’apparence de bergers et de nymphes qui vivent en harmonie avec la Nature et les Dieux.
         Dès le début, un panneau indicatif nous prévient que le tournage n’a pas pu s’effectuer dans la région de Forez qui avait nourri l’inspiration d’Urfé et dont le paysage est désormais défiguré par l’industrialisation et l’urbanisation : la réalité ne peut être recréée. En effet, le doute sur la vérité subsiste tout au long du film et du récit comme c’est le cas pour Astrée qui ne veut pas croire à une éventuelle infidélité de la part de Céladon puis refuse ensuite d’admettre sa mort. L’apparence physique est elle aussi troublée, trompée: l’androgyne Céladon se travestit pour pouvoir visiter Astrée qui ne le reconnait pas. De plus, le soldat qui garde la demeure des nymphes, habillé en cuirasse en toc et portant un casque gaulois à plumes, semble tout droit sorti du parc Astérix. Notons aussi, à la cérémonie religieuse de la mort fictive de Céladon, la présence d’une trompette moderne, volontairement anachronique tout comme le château du style Renaissance où habitent les Nymphes.
         Cette artificialité a pour intérêt d’épurer le récit. Cette épure est aussi rendue par de simples cartons, avec un fond d’un vert très uniforme, donnant des indications temporelles qui rappellent un certain respect des écrits d’Urfé. De plus, il n’y a pas de musique hormis le morceau de lyre dans le générique et hormis les chansons qu’entonne parfois Céladon.

         Si le récit est alors épuré, c’est dans le but de se concentrer sur les passions des personnages principaux et de participer également plus pleinement aux réflexions philosophiques qui nous sont offertes et facilitées par une plus ample distanciation résultant de l’artificialité. L’œuvre d’Urfé tente en effet avec audace de nous démonter que l’amant et l’aimé ne font qu’un. Une confusion mentale est établie entre les deux amoureux qui deviennent interchangeables puisque Céladon et Astrée partagent la même douleur de la séparation. Une profonde réflexion théologique nous est aussi proposée lors de la conversation entre Céladon et le druide Adamas qui explique que le polythéisme n’est qu’un monothéisme qui s’ignore et que le déisme se révèle la croyance peut-être la plus raisonnable.

         La demeure des nymphes est un château vide à la pierre nue où seuls quelques tableaux sont présents dans un but purement narratif : une voix off illustre l’histoire à l’aide de ces représentations à références mythologiques. Le château vide comme le cadre symbolique de la nature avec laquelle vivent en harmonie les bergers sont des décors typiques d’une pièce de théâtre. En effet, Les Amours d'Astrée et de Céladon est un film qui a de nombreux côtés théâtraux comme c’est souvent le cas dans l’œuvre de Rohmer: la nécessité de longs plans-séquences qui respectent la continuité du jeu des acteurs, le texte en vers ainsi que leur déclamation renforcent cet aspect théâtral encore une fois de plus assez artificiel.

         Les images des Amours d'Astrée et de Céladon s’inspirent aussi de la pastorale du point de vue de l’art pictural. C’est notamment dans ce genre du XVIIIème siècle que s’étaient illustrés de grands peintres comme Poussin, Watteau ou surtout François Boucher. La délicate photographie des Amours d'Astrée et de Céladon est signée par Diane Baratier, récente collaboratrice régulière de Rohmer puisqu’elle avait déjà participé à ses neufs derniers films. Les acteurs du film de Rohmer expriment parfaitement la beauté et la grâce juvénile que montraient alors ces artistes.

         Comme la plupart du temps, Rohmer a recours à des acteurs non professionnels. Il en résulte que certains critiques parlent de spectacle de fin d’année. Le véritable problème du film réside plutôt et surement dans la seconde partie, nettement moins convaincante. Dès que Céladon se travestit et se fait passer pour Alexis (nom masculin et féminin qui marque l’ambigüité du sexe), la fille malade du druide Adamas, on ne comprend pas l’attirance que lui porte Astrée. Le déguisement de Céladon qui est accompagné d’une voix de fausset frise le ridicule. Rohmer a lui-même déclaré qu’il craignait cet écueil potentiel.
         Même si Rohmer reste fidèle à l’œuvre d’Urfé et si ce travestissement a pour but de montrer que l’apparence n’est rien dans l’amour, il faut tout de même reconnaître que le spectateur ne peut s’empêcher de piquer un fou rire à ce moment. Lorsqu’Astrée comprend la véritable identité d’Alexis/Céladon, elle se retourne vers la caméra pour demander à Dieu que son amant lui soit rendu. Elle crie alors son nom et s’ensuit une brève embrassade presque invisible puisque le générique défile déjà : ceci montre bien que Rohmer ne s’intéresse qu’au cœur de l’histoire ainsi qu’aux émotions et aux réflexions qu’elle procure. La fin reste néanmoins bâclée. Ceci dit, on pardonne à Rohmer ces erreurs et on lui reconnait le courage de sortir en 2007 une pastorale dont le manque de moyens évidents devient presque une marque de fabrique.


         En raison de sa fin bâclée et de sa deuxième partie moins convaincante, Les Amours d'Astrée et de Céladon est une demi-réussite. Mais le projet est ambitieux, l’adaptation intelligente et le film reste tout de même très intéressant à cause de la puissance de l’interprétation et de sa rare beauté visuelle.

23.09.07.