jeudi 27 septembre 2007

The Glass Bottom Boat / La Blonde défie le FBI (1966) de Frank Tashlin


        Frank Tashlin est un des rares réalisateurs de la comédie américaine à venir du cinéma d’animation. Ancien gagman pour les cartoons de la Warner dès les années 30, il commence une véritable carrière de réalisateur à partir de 1951. Tout comme Norman Taurog, il devient l’un des réalisateurs attitrés de Jerry Lewis avec Artistes et Modèles (1956), Un vrai Cinglé de Cinéma (1956), Trois Bébés sur les bras (1958), Le Kid en kimono (1958), Cendrillon au grand pied (1960), L’Increvable Jerry (1962), Un Chef de Rayon explosif (1963) ou encore Jerry chez les Cinoques (1964). Il est aussi réputé pour ses deux films avec Jayne Mansfield La Blonde et Moi (1956) et La Blonde explosive (1957). On oublie cependant ses deux films avec Doris Day que sont Opération Caprice (1967) et La Blonde défie le FBI. Pourtant ce dernier mérite toute notre attention. Parodie de films d’espionnage, critique de la Société américaine d’alors, modèle représentatif de l’esthétique visuelle des années 60, La Blonde défie le FBI est un film moins débile que le titre français ne pourrait le laisser croire.


        Tout d’abord, La Blonde défie le FBI reforme le couple Doris Day-Rod Taylor que l’on trouvait déjà dans Do Not Disturb (1965) de Ralph Levy. Doris Day est au sommet de sa gloire à la suite de la formation d’un autre tandem qui l’associait à Rock Hudson. Le tandem était réuni dans trois comédies de la Universal : Confidences sur l’Oreiller (1959) de Michael Gordon, Un Pyjama pour deux (1961) de Delbert Mann et Ne m’envoyez pas des Fleurs (1964) de Norman Jewison. L’actrice devient alors un symbole de la comédie américaine familiale un peu bébête.

        Succédant plus ou moins à Jayne Mansfield, Doris Day se glisse alors dans la peau du personnage de la blonde plus charmante qu’intelligente. Elle fait la rencontre très artificielle de Bruce (quel nom !), un scientifique de pacotille de la NASA interprété par le ballot Rod Taylor dont elle tombe bien entendu amoureuse. Mais, le travail de Bruce le rend très important car il est l’inventeur du GISMO (en Vf, bidule) et lui seul en détient la formule et, comme nous sommes en pleine guerre froide, tout le monde est suspecté et plus particulièrement la blonde au drôle de comportement. La Blonde défie le FBI critique ainsi la société américaine qui vit constamment dans la peur du rouge : tout le monde file tout le monde, chacun est sous écoutes et les espions se cachent partout. Finalement, la blonde nous parait presque plus intelligente que tous ces crétins qui la poursuivent.
        Le film est donc une parodie des films d’espionnage d’alors. Avec ses gadgets sophistiqués comme les appareils photographiques miniatures et ses espions désespérément pitoyables, La Blonde défie le FBI fait référence aux James Bond. La tagline de l’affiche, « The Spy who came out from Water », fait d’ailleurs allusion à L’Espion qui venait du Froid de Martin Ritt, sorti un an auparavant. De plus, Robert Vaughn, véritable gagne-pain de la MGM (qui produit justement La Blonde défie le FBI) avec sa série de The Man From U.N.C.L.E.[1], fait même un caméo. En effet, à un moment du film, on entend le thème de la célèbre série et l’on aperçoit le personnage principal, Napoléon Solo, accoudé à un bar, qui disparait aussi vite.
        En 1966, l’espionite rapportait gros aux sociétés de production qui exploitaient alors le filon. C’est surtout la Universal qui s’était spécialisée dans le genre avec Agent from H.A.R.M. de Gerd Oswald, Les Yeux bandés de Philip Dunne avec Rock Hudson et Claudia Cardinale, D pour Danger de Ronald Neame avec James Garner et surtout Le Rideau déchiré d’Alfred Hitchcock. De son côté, la MGM produisait aussi Minuit sur le Grand Canal de Jerry Thorpe avec Robert Vaughn, ainsi que Le Liquidateur (1966) de Jack Cardiff, avec Rod Taylor qui avait donc véritablement expérimenté le genre. La chanson du générique y était d’ailleurs interprétée par Shirley Bassey qui chantait déjà celle de Goldfinger (1964) de Guy Hamilton, le troisième opus de la série des James Bond.


        Bref, tous les moyens sont bons pour égaler le succès des James Bond, même la parodie. La même année que La Blonde défie le FBI, sort d’ailleurs le premier épisode de la série des Matt Helm avec Dean Martin [Matt Helm agent très spécial de Phil Karlson, produit par la Columbia] ainsi que celui des Flynt avec James Coburn [Mon Homme Flynt de Daniel Mann, produit par la Fox]. On peut aussi citer comme autres parodies The Last of the Secret Agents ? (1966, Universal) de Norman Abbott et La Folle mission du docteur Schaeffer (1967, Paramount) de Theodore J. Flicker, de nouveau avec James Coburn.

        La Blonde défie le FBI offre aussi une acerbe critique de la société de consommation. Le progrès qu’apporte notre cher Bruce est celui de gadgets ridicules et inutiles comme des fours électriques à réchauffement instantané, des aspirateurs autonomes ou encore des hors-bords télécommandables à distance. Tous ces objets très perfectionnés ne fonctionnant pas et se révélant même assez dangereux, les catastrophes de la blonde peuvent alors se multiplier.

        En fait, la première partie du film déçoit un peu puisqu’il s’agit d’une succession de gags qui ne font mouche qu’une fois sur deux. La seconde partie avec les cache-cache entre espions s’avère en revanche plus amusante. Quiproquos et gags plus cartoonesques sont au menu de cette comédie burlesque. « The Big Blue Sea » (chantée par Doris Day elle-même), la chanson que l’on entend par-dessus le dessin animé du générique qui énumère tous les animaux marins et la folle course poursuite finale impulsent au film un rythme rapide et fatiguant. L’utilisation de l’espace à des fins comiques et l’emploi de magnifiques couleurs vives (le ciré jaune-citron de Doris Day, les murs d’un rouge criard du bungalow de la party) apportent un charme fou à l’esthétique alors très réussie. La photographie du film est signée par le très talentueux Léon Shamroy[2]. On sait que Tashlin était très apprécié de Jean-Luc Godard et l’on devine qu’il a pu inspirer ce dernier dans l’utilisation de couleurs artificielles.

        Ce film ainsi que les deux précédents de Tashlin avec Jayne Mansfield ont contribué à la formation du personnage de la blonde. Ces dernières années, nous avons étonnamment connu une réminiscence du « film de blonde » avec La Revanche d’une Blonde (2001) de Robert Luketic et La Blonde contre-attaque (2003) de Charles Herman-Wurmfeld, sa suite, toujours avec Reese Withersponn dans le rôle-titre.


        Par ses critiques et son style, La Blonde défie le FBI est un donc un film assez réussi. Si celui-ci n’est pas toujours drôle, on peut néanmoins toujours apprécier sa constante créativité et son rythme effréné de gags loufoques. L’année suivante, Tashlin allait de nouveau réaliser une parodie de films d’espionnage avec Opération Caprice. Il retrouvera aussi la charmante Doris Day qui, cette fois-ci, allait partager la vedette avec Richard Harris.


27.09.07.

[1] La série TV The Man from U.N.C.L.E. (1964-1968) comporte une centaine d’épisodes dont certains épisodes pilotes sont même sortis sur les grands écrans.
[2] Grand directeur de la Photographie de la Fox, il a été nominé quinze fois à l’oscar et l’a remporté 4 fois pour Le Cygne noir (1942) et Wilson (1944) d’Henry King, Péché mortel (1945) de John Stahl et Cléopâtre (1963) de Joseph Mankiewicz. Il a aussi de nouveau collaboré avec Frank Tashlin pour son film suivant avec Opération Caprice (1967).