samedi 19 novembre 2011

The Scarlet Empress / L’Impératrice rouge (1934) de Josef Von Sternberg


         L’Impératrice rouge est la sixième collaboration de Marlène Dietrich avec Josef Von Sternberg. Centré sur l’accès au pouvoir de Catherine II de Russie au XVIIIème siècle, L’Impératrice rouge peut être vu comme une réponse de la Paramount à La Reine Christine (1933) de Rouben Mamoulian, produit par la MGM, avec Greta Garbo dans le rôle titre : réalisés par un réalisateur européen, ces deux drames historiques mettent en scène une femme de pouvoir, dont l’identité est en lien avec celle de la vedette (la Suède pour Garbo ; la Prusse, soit l’Allemagne, pour Dietrich). Comme La Reine Christine, L’Impératrice rouge malmène profondément la réalité historique, préférant exceller dans la création d’un style et d’une atmosphère. Sternberg laisse libre court à sa folie visuelle et signe un chef d’œuvre de baroque.


         La transformation de Sophia Frederica, princesse prussienne, en Catherine II de Russie ressemble à la façon avec laquelle Hollywood racontera plus tard l’histoire de Marie Antoinette. Marlene Dietrich joue une jeune fille innocente et protégée qui se transforme en une femme manipulatrice [1] qui préfigure les femmes fatales du film noir. L’évolution notable du personnage frappe d’ailleurs par sa soudaineté.
         La raison de cette métamorphose n’est autre qu’un mariage malheureux avec un crétin à la fois dangereux et enfantin. Sam Jaffe, aux airs d’Harpo Marx, inquiète dans le rôle du Grand Duc, futur Pierre III de Russie : entouré d’esclaves noirs et nabots, il se déplace grimaçant avec des petits soldats de bois qu’il s’amuse parfois à décapiter. Dans une autre séquence de bravoure, on le voit percer les cloisons avec un vilebrequin pour pouvoir observer sa propre femme. Quant à sa mère, l’impératrice Elizabeth, parfois humaine (elle invite ses domestiques à manger à sa table !), elle se révèle être avant tout despotique et hystérique. A ces personnages principaux, s’ajoute « a supporting cast of 1000 players » comme se plaît à souligner le générique.
         Les personnages sont ainsi de grossières caricatures et c’est d’avantage la mise en scène baroque de Sternberg qui nous séduit. Le film baigne dans une esthétique expressionniste et bizarre, parfois aux confluents du film d’horreur [2]. Du point de vue des décors, la démence est de rigueur : le palais impérial est rempli de statues grotesques (proches de gargouilles) et les portes, géantes, nécessitent une dizaine de servantes pour être ouvertes. L’Impératrice rouge est ainsi un véritable carnaval de bruits de cloches, de chevauchées de cosaques, de banquets et des cérémonies religieuses majestueuses. Une attention particulière est également portée aux costumes, et les robes de Marlène Dietrich sont plus excentriques les unes que les autres. La musique, mélangeant Moussorgski et Tchaïkovski avec la chevauchée des Walkyries de Wagner, participe également à l’élaboration d’un grand n’importe quoi qu’est L’Impératrice rouge.


         La Grande Catherine de Paul Czinner, sorti quelques mois plus tôt, fut préjudiciable à la carrière commerciale de L’Impératrice Rouge. A l’inverse du film de Sternberg, le film anglais, produit par Alexandre Korda, mettait d’avantage l’accent sur les personnages que sur le spectacle. Avec son budget de plus de 900 000 $, L’Impératrice Rouge fut un grave échec financier. Sternberg et Dietrich allaient néanmoins se retrouver pour l’adaptation de La Femme et le Pantin de Pierre Louys. Le film fut un revers encore plus important, ce qui mit fin à la collaboration entre le duo.

19.11.11.


[1] Pour s’évader du palais lorsqu’elle est enfermée par son mari, Catherine II se déguise en cavalier. Cette scène permet un fois de plus à Marlene Dietrich de se travestir, jeu récurent dans sa carrière.
[2] Sorti peu de temps avant l’entrée en vigueur du code Hayes, L’Impératrice rouge contient une scène de violences atroces (avec des nus !) lorsque le père de Catherine raconte à son enfant (joué par Maria Sieber, la fille de Marlene Dietrich) les barbaries de Pierre Le Grand et d’Ivan le Terrible.