jeudi 12 janvier 2012

The Indian Fighter / La Rivière de nos Amours (1955) d’André De Toth

            La Rivière de nos Amours fit beaucoup fantasmer la cinéphilie française des années 50 . Patrick Bureau déclara ainsi : « Je donnerais tous les Ford et tous les Walsh de la période 1940-1955 pour La Rivière de nos Amours, l'un des plus beaux poèmes panthéistes que le western nous ait donnés, où la nature fondait en un seul élément Indiens, cowboys, arbres et rivières. Et puis, pour la seule présence divine d'Elsa Martinelli, pour cette splendide scène d'amour dans la rivière, pleine d'érotisme sylvestre, que ne donnerait-on pas ? »[1]. Qu’en est-il vraiment ? La ressortie de permet d’évaluer si la réputation de La Rivière de nos Amours est méritée. 
La Rivière de nos Amours est un western pacifiste marchant sur les pas de La Flèche brisée (1950) de Delmer Daves. Kirk Douglas y interprète Johnny Hawks, éclaireur chargé de maintenir de la paix entre les sioux et les colons. Proche de la culture indienne, il s’agit plus d’un « indian lover » que d’un « indian fighter » comme le lui reprochent plusieurs « blancs ». Dans La Rivière de nos Amours, ce sont les pionniers qui déclenchent la guerre entre les deux peuples : cupides, ils convoitent une mine d’or détenue en secret par les sioux et n’hésitent pas à tuer ces derniers lorsqu’ils ne veulent plus se satisfaire de quelques gorgées de whisky en contrepartie.
Les deux grands méchants, interprétés par Walter Matthau et Lon Chaney Jr., incarnent ainsi la méchanceté et la bêtise de la race blanche. A l’inverse, Johnny Hawks, personnage positif et héroïque, vit une romance avec une indienne[2]. C’est d’ailleurs la découverte de la maternité de la jeune femme qui mènera le chef sioux à prendre conscience de l’absurdité de la guerre. On l’aura compris : La Rivière de nos Amours prône l’amour entre les peuples et réhabilite les méchants indiens que l’on tuait sans compter et sans état d’âme dans le western des années 30 et 40.
Le scénario, cosigné par Ben Hecht et Frank Davis, est tiré d’une histoire de Robert L Richards[3]. Victime de la chasse aux sorcières, Richards est crédité sous un pseudonyme : de la même façon que Dalton Trumbo signait le scénario de La Flèche brisée, La Rivière de nos Amours révèle que les westerns pacifistes et progressistes des années 50 émergent souvent de l’esprit de scénaristes de gauche.
Paradoxalement, le film de De Toth trahit néanmoins une vision caricaturale des indiens : les peaux-rouges portés sur l’alcool nous apparaissent comme des vrais imbéciles. De même, le fait qu’une actrice européenne puisse jouer le rôle de l’indienne amoureuse de Johnny Hawks (Elsa Martinelli est d’origine italienne) révèle une certaine confusion dans l’identité des Indiens, perçus comme des « étrangers ». Malgré la description de quelques aspects de la culture (guerrière) indienne, on est donc assez éloigné du point de vue ethnographique de La Flèche brisée.
L’esprit pacifiste de La Rivière de nos Amours est indissociable de la vision positive des indiens vivant en harmonie avec la nature. Un personnage secondaire de soldat (joué par Elisha Cook) veut à tout prix photographier les merveilles de cette nature afin de la rendre visible auprès de ceux qui pourraient plus tard la peupler. La photographie[4] est ainsi conçue comme un élément perturbateur, une véritable intrusion de la société dans la beauté de ces grands espaces.
Les images champêtres de La Rivière de nos Amours sont d’ailleurs très belles, évoquant les toiles de la peinture américaine du XIXème siècle (Thomas Cole et la Hudson River School). Produit par la Bryana Productions, la société de Kirk Douglas, La Rivière de nos Amours n’est pas un western de série B : filmé en cinémascope, le film bénéficie de moyens assez conséquents. A ce titre, les scènes d’action, notamment l’attaque du fort par les indiens (qui jettent des tisons de feu), sont très réussies.
Le véritable problème de La Rivière de nos Amours (et pas le moindre), c’est l’interprétation de Kirk Douglas, agaçant en beau gosse sûr de lui-même. Avec ses sourires grimaçants, Kirk Douglas s’amuse à jouer les satyres et poursuit les indiennes comme un véritable obsédé sexuel. D’où cette scène de baiser érotique dans la rivière qui fit tant rêver le critique Patrick Bureau et qui a dû certainement influencer les distributeurs pour le titre français du film. On préférera dans le mise en scène ce plan spectaculaire où la caméra de De Toth fait un tour complet pour suivre Kirk Douglas danser avec Diana Douglas (son ancienne épouse) lors d’une scène de bal.
 
Porté par des thématiques intéressantes mais plus très nouvelles en 1955, La Rivière de nos Amours est un western avec des images admirables et des scènes d’action assez prenantes. Cela ne doit pas faire oublier la prestation de Kirk Douglas qui plombe beaucoup le film. Force est de reconnaître que le film est donc un peu en dessous de sa réputation. La Chevauchée des Bannis semble être un western plus original et plus abouti dans la carrière de De Toth que la sympathique Rivière de nos Amours.
 
11.01.12.


[1] Patrick Bureau dans Le western, Edition Gallimard
[2] Jean Loup Bourget, dans son ouvrage Hollywood, la norme et la marge (Armand Colin, p.46), souligne la permanence dans le western du mythe de Pocahontas et du mariage entre le blanc et la princesse indienne: Au-delà Missouri (1951) de William Wellman, La Captive aux Yeux Clairs (1952) d'Howard  Hawks et La Rivière de Nos Amours de De Toth.
[3] Robert L. Richards avait signé le scénario d’un autre western : Winchester 73 (1950) d’Anthony Mann.
[4] C’est un accessoire technologique, symbole de la modernité, proche de ceux que l’on verra dans le western crépusculaire à côté de la montre, du fusil à lunette, de la voiture…