La
Rivière de nos Amours fit beaucoup fantasmer la cinéphilie française des
années 50 . Patrick Bureau déclara ainsi : « Je donnerais tous
les Ford et tous les Walsh de la période 1940-1955 pour La Rivière de nos Amours, l'un des plus beaux poèmes panthéistes
que le western nous ait donnés, où la nature fondait en un seul élément
Indiens, cowboys, arbres et rivières. Et puis, pour la seule présence divine
d'Elsa Martinelli, pour cette splendide scène d'amour dans la rivière, pleine
d'érotisme sylvestre, que ne donnerait-on pas ? »[1].
Qu’en est-il vraiment ? La ressortie de permet d’évaluer si la réputation
de La Rivière de nos Amours est
méritée.
La Rivière de
nos Amours est un western pacifiste marchant
sur les pas de La Flèche brisée
(1950) de Delmer Daves. Kirk Douglas y interprète Johnny Hawks, éclaireur
chargé de maintenir de la paix entre les sioux et les colons. Proche de la
culture indienne, il s’agit plus d’un « indian lover » que d’un
« indian fighter » comme le lui reprochent plusieurs
« blancs ». Dans La Rivière de
nos Amours, ce sont les pionniers qui déclenchent la guerre entre les deux
peuples : cupides, ils convoitent une mine d’or détenue en secret par les
sioux et n’hésitent pas à tuer ces derniers lorsqu’ils ne veulent plus se
satisfaire de quelques gorgées de whisky en contrepartie.
Les deux grands méchants, interprétés par Walter
Matthau et Lon Chaney Jr., incarnent ainsi la méchanceté et la bêtise de la
race blanche. A l’inverse, Johnny Hawks, personnage positif et héroïque, vit
une romance avec une indienne[2].
C’est d’ailleurs la découverte de la maternité de la jeune femme qui mènera le
chef sioux à prendre conscience de l’absurdité de la guerre. On l’aura
compris : La Rivière de nos Amours prône
l’amour entre les peuples et réhabilite les méchants indiens que l’on tuait
sans compter et sans état d’âme dans le western des années 30 et 40.
Le scénario, cosigné par Ben Hecht et Frank Davis, est
tiré d’une histoire de Robert L Richards[3].
Victime de la chasse aux sorcières, Richards est crédité sous un
pseudonyme : de la même façon que Dalton Trumbo signait le scénario de La Flèche brisée, La Rivière de nos Amours révèle que les westerns pacifistes et
progressistes des années 50 émergent souvent de l’esprit de scénaristes de
gauche.
Paradoxalement, le film de De Toth trahit néanmoins une
vision caricaturale des indiens : les peaux-rouges portés sur l’alcool
nous apparaissent comme des vrais imbéciles. De même, le fait qu’une actrice européenne
puisse jouer le rôle de l’indienne amoureuse de Johnny Hawks (Elsa Martinelli
est d’origine italienne) révèle une certaine confusion dans l’identité des
Indiens, perçus comme des « étrangers ». Malgré la description de
quelques aspects de la culture (guerrière) indienne, on est donc assez éloigné
du point de vue ethnographique de La
Flèche brisée.
L’esprit pacifiste de La Rivière de nos Amours est indissociable de la vision positive
des indiens vivant en harmonie avec la nature. Un personnage secondaire de
soldat (joué par Elisha Cook) veut à tout prix photographier les merveilles de
cette nature afin de la rendre visible auprès de ceux qui pourraient plus tard la
peupler. La photographie[4] est ainsi conçue comme un élément
perturbateur, une véritable intrusion de la société dans la beauté de ces
grands espaces.
Les images champêtres de La Rivière de nos Amours sont d’ailleurs très belles, évoquant les
toiles de la peinture américaine du XIXème siècle (Thomas Cole et la Hudson
River School). Produit par la Bryana Productions, la société de Kirk Douglas, La Rivière de nos Amours n’est pas un
western de série B : filmé en cinémascope, le film bénéficie de moyens
assez conséquents. A ce titre, les scènes d’action, notamment l’attaque du fort
par les indiens (qui jettent des tisons de feu), sont très réussies.
Le véritable problème de La Rivière de nos Amours (et pas le moindre), c’est
l’interprétation de Kirk Douglas, agaçant en beau gosse sûr de lui-même. Avec
ses sourires grimaçants, Kirk Douglas s’amuse à jouer les satyres et poursuit
les indiennes comme un véritable obsédé sexuel. D’où cette scène de baiser
érotique dans la rivière qui fit tant rêver le critique Patrick Bureau et qui a
dû certainement influencer les distributeurs pour le titre français du film. On
préférera dans le mise en scène ce plan spectaculaire où la caméra de De Toth
fait un tour complet pour suivre Kirk Douglas danser avec Diana Douglas (son ancienne
épouse) lors d’une scène de bal.
Porté par des thématiques intéressantes mais plus très
nouvelles en 1955, La Rivière de nos
Amours est un western avec des images admirables et des scènes d’action
assez prenantes. Cela ne doit pas faire oublier la prestation de Kirk Douglas qui
plombe beaucoup le film. Force est de reconnaître que le film est donc un peu
en dessous de sa réputation. La
Chevauchée des Bannis semble être un western plus original et plus abouti
dans la carrière de De Toth que la sympathique Rivière de nos Amours.
11.01.12.
[1]
Patrick Bureau dans Le western,
Edition Gallimard
[2]
Jean Loup Bourget, dans son ouvrage Hollywood,
la norme et la marge (Armand Colin, p.46), souligne la permanence dans le western du mythe de Pocahontas et du
mariage entre le blanc et la princesse indienne: Au-delà Missouri (1951) de William Wellman, La Captive aux Yeux Clairs (1952) d'Howard Hawks et La
Rivière de Nos Amours de De Toth.
[3]
Robert L. Richards avait signé le scénario d’un autre western : Winchester 73 (1950) d’Anthony Mann.
[4]
C’est un accessoire technologique, symbole de la modernité, proche de ceux que
l’on verra dans le western crépusculaire à côté de la montre, du fusil à lunette,
de la voiture…