Produit par Serge Silberman, Le Charme discret de la Bourgeoisie est la quatrième collaboration de Luis Buñuel avec le scénariste Jean-Claude Carrière [1]. Ponctué de rêves et d’images démentes, Le Charme discret permet à Buñuel de renouer avec le surréalisme de ses débuts même si la complaisance de son regard, comme pour Tristana, amoindrit la critique sociale.
Le scénario du Charme discret de la Bourgeoisie est entièrement basé sur un comique de répétition : trois notables essaient de planifier un repas ensemble avec leurs épouses mais des évènements imprévus empêchent toujours leur réunion. Ainsi, les protagonistes, qui n’arrivent jamais à diner ou à faire l’amour, vivent des situations sans jamais aller jusqu’à leur terme. Dans le rêve d’un des personnages, les bourgeois se retrouvent sur une scène de théâtre, prisonniers de leurs propres rôles comme s’ils n’étaient bons que pour amuser la galerie.
Cette scène semble résumer à elle seule le film. En effet, Buñuel préfère adopter un regard moqueur et amusé sur nos bourgeois plutôt que de signer un brûlot réellement contestataire. Il tourne la classe bourgeoise en dérision en injectant de la folie, du trouble dans leur petit monde bien organisé : l’évêque devient jardinier et tue l’assassin de ses parents au lieu de lui pardonner; l’ambassadeur d’un pays fictif d’Amérique latine est responsable d’un trafic de drogue [2] et flirte avec une terroriste ; une garnison de militaires (fumeurs de marijuana !) s’invite à la table des bourgeois avant de procéder à des exercices bidon.
En pleine forme, Buñuel tire donc à boulet rouge sur les ennemis traditionnels du surréalisme : la bourgeoisie, le clergé, l’armée et la police. Dans cette farce grotesque à mi-chemin entre « le surprenant et l’impossible » (selon les propres mots de Jean-Claude Carrière), les images délirantes s’accumulent : les cafards tombent sur les touches d’un piano permettant de torturer la jeunesse délinquante alors que Fernando Rey tire avec son fusil à lunette dans la rue depuis la fenêtre de son ambassade. Cette réminiscence d’une folie visuelle (les scènes sont perturbées par une violence inattendue) héritée du Chien andalou ou de L’Age d’Or, a ainsi mené des critiques comme Luc Lagier à considérer Le Charme discret de la Bourgeoisie comme l’un des films les plus surréalistes de la fin de la carrière du cinéaste espagnol.
Le rêve se présente en effet comme la clé de lecture essentielle du Charme discret. Non seulement les personnages racontent leurs rêves mais leur vie entière est régulée par l’activité onirique : ils vivent des évènements dont la succession est illogique. De plus, les bourgeois n’arrivent pas à rêver à d’autres personnes qu’eux mêmes ou à un autre cadre que celui dans lequel ils vivent. L’imaginaire bourgeois est aussi étriquée que l’existence de cette classe. Il est d’ailleurs à mettre en regard avec celui de Buñuel : en effet, dans quelques scènes de rêve qui nuisent un peu à l’ensemble du film, la fantaisie du réalisateur semble souffrir parfois d’une pauvreté similaire.
Une image énigmatique (qui nous est montrée à trois reprises) éclaire le sens du film: nos bourgeois, perdus au milieu de nulle part, parcourent à pied une route en macadam dans la campagne. De même que pendant tout le film ils ont des problèmes d’alimentation, de consommation, de même nos protagonistes, tournant en rond, se retrouvent sans voiture et sans carburant. La nécessité de retrouver de l’énergie serait alors inutile dans cette antichambre de la Mort. Cette théorie explique ainsi l’omniprésence dans Le Charme discret de fantômes (une mère, un camarade de classe ou encore un spectre de brigadier) et de la Mort même (un restaurateur veillé par ses serveurs dans son propre restaurant, un vieillard assassiné).
Le Charme discret de la Bourgeoisie demeure certes très drôle et assez surprenant mais l’atténuation de la force contestataire (en raison de l’attention portée aux personnages) révèle le manque d’ambition réelle du film que l’on peut regarder comme une simple comédie satirique. Comme Belle de Jour ou Tristana, Le Charme discret de la Bourgeoisie s’apparente presque à une critique des bourgeois acceptable pour les bourgeois.
13.01.12.
Le scénario du Charme discret de la Bourgeoisie est entièrement basé sur un comique de répétition : trois notables essaient de planifier un repas ensemble avec leurs épouses mais des évènements imprévus empêchent toujours leur réunion. Ainsi, les protagonistes, qui n’arrivent jamais à diner ou à faire l’amour, vivent des situations sans jamais aller jusqu’à leur terme. Dans le rêve d’un des personnages, les bourgeois se retrouvent sur une scène de théâtre, prisonniers de leurs propres rôles comme s’ils n’étaient bons que pour amuser la galerie.
Cette scène semble résumer à elle seule le film. En effet, Buñuel préfère adopter un regard moqueur et amusé sur nos bourgeois plutôt que de signer un brûlot réellement contestataire. Il tourne la classe bourgeoise en dérision en injectant de la folie, du trouble dans leur petit monde bien organisé : l’évêque devient jardinier et tue l’assassin de ses parents au lieu de lui pardonner; l’ambassadeur d’un pays fictif d’Amérique latine est responsable d’un trafic de drogue [2] et flirte avec une terroriste ; une garnison de militaires (fumeurs de marijuana !) s’invite à la table des bourgeois avant de procéder à des exercices bidon.
En pleine forme, Buñuel tire donc à boulet rouge sur les ennemis traditionnels du surréalisme : la bourgeoisie, le clergé, l’armée et la police. Dans cette farce grotesque à mi-chemin entre « le surprenant et l’impossible » (selon les propres mots de Jean-Claude Carrière), les images délirantes s’accumulent : les cafards tombent sur les touches d’un piano permettant de torturer la jeunesse délinquante alors que Fernando Rey tire avec son fusil à lunette dans la rue depuis la fenêtre de son ambassade. Cette réminiscence d’une folie visuelle (les scènes sont perturbées par une violence inattendue) héritée du Chien andalou ou de L’Age d’Or, a ainsi mené des critiques comme Luc Lagier à considérer Le Charme discret de la Bourgeoisie comme l’un des films les plus surréalistes de la fin de la carrière du cinéaste espagnol.
Le rêve se présente en effet comme la clé de lecture essentielle du Charme discret. Non seulement les personnages racontent leurs rêves mais leur vie entière est régulée par l’activité onirique : ils vivent des évènements dont la succession est illogique. De plus, les bourgeois n’arrivent pas à rêver à d’autres personnes qu’eux mêmes ou à un autre cadre que celui dans lequel ils vivent. L’imaginaire bourgeois est aussi étriquée que l’existence de cette classe. Il est d’ailleurs à mettre en regard avec celui de Buñuel : en effet, dans quelques scènes de rêve qui nuisent un peu à l’ensemble du film, la fantaisie du réalisateur semble souffrir parfois d’une pauvreté similaire.
Une image énigmatique (qui nous est montrée à trois reprises) éclaire le sens du film: nos bourgeois, perdus au milieu de nulle part, parcourent à pied une route en macadam dans la campagne. De même que pendant tout le film ils ont des problèmes d’alimentation, de consommation, de même nos protagonistes, tournant en rond, se retrouvent sans voiture et sans carburant. La nécessité de retrouver de l’énergie serait alors inutile dans cette antichambre de la Mort. Cette théorie explique ainsi l’omniprésence dans Le Charme discret de fantômes (une mère, un camarade de classe ou encore un spectre de brigadier) et de la Mort même (un restaurateur veillé par ses serveurs dans son propre restaurant, un vieillard assassiné).
Le Charme discret de la Bourgeoisie demeure certes très drôle et assez surprenant mais l’atténuation de la force contestataire (en raison de l’attention portée aux personnages) révèle le manque d’ambition réelle du film que l’on peut regarder comme une simple comédie satirique. Comme Belle de Jour ou Tristana, Le Charme discret de la Bourgeoisie s’apparente presque à une critique des bourgeois acceptable pour les bourgeois.
13.01.12.
[1] Jean-Claude Carrière a signé le scénario de tous les derniers films (français) de Buñuel à partir du Journal d’une femme de Chambre (1963) à l’exception de Tristana (1969). Depuis Le Journal d’une femme de Chambre, Serge Silberman a également produit tous les derniers films de la période française de Buñuel à l’exception de Tristana et de Belle de Jour (1967), produits par les frères Hakim.
[2] Serait-ce une allusion parodique au French Connection de Friedkin, film sorti l’année précédente et dans lequel Fernando Rey jouait le chef d’un réseau de trafic de stupéfiants ?