Lorsqu’il adapte Leave Her to Heaven, le best-seller de Ben Ames Williams, John Stahl, spécialiste de mélodrames de la Universal dans les années 30, décide de ne pas se détourner du genre qu’il connait le mieux. En effet, l’auteur d’Histoire d’un Amour (1932), d’Une Nuit seulement (1933), d’Images de la Vie (1934) et du Secret magnifique (1937), en tournant Péché mortel en technicolor, ne néglige pas les aspects du film noir que contient l’histoire d’origine mais signe en même temps un mélodrame au style flamboyant.
Ellen (Gene Tierney), une femme trop éprise de son mari (joué par le très commun Cornel Wilde), est tellement possessive qu’elle est prête à tout pour entièrement se l’approprier. Ainsi, par jalousie, elle laisse se noyer le frère handicapé de son mari alors que celui-ci s’entraine à la nage, tue l’enfant qu’elle porte en se jetant du haut d’un escalier, voyant dans un possible fils un obstacle à son amour. Mais ce n’est pas tout : elle finit par se suicider pour accuser sa propre sœur (Jeanne Crain) en qui elle voit une rivale. L’histoire du film, très osée pour l’époque, a suscité sujet de nombreux scandales. En effet, l’avortement provoqué volontairement choque et les relations incestueuses avec son père sont plus que suggérées.
Par ses fortes passions, son petit monde beau et riche, son univers aseptisé et très artificiel, le film s’apparente beaucoup à un mélodrame mais, par son histoire, il contient aussi de nombreux aspects du film noir. Tout d’abord, la construction du récit repose sur un flash-back. Enfin, malgré le jeu retenu de la magnifique actrice qu’est Gene Tierney, Ellen a quelques airs de femme fatale. Même si son amour envers sa “proie” est sincère, ses actes diaboliques révèlent en revanche la perversité de ses pensées.
De plus, l’atmosphère du film est pesante et certains seconds rôles sont assez inquiétants comme celui du fiancé déçu joué par Vincent Price. A la fin, Péché mortel se transforme même en un film de procès comme les aiment beaucoup les Américains, ce qui souligne bien le caractère criminel de notre histoire. Le doute sur le conjoint est aussi une thématique récurrente dans le film noir comme c’est le cas avec La Proie du Mort (1941) de Woody S. Wan Dyke II, Lame de Fond (1946) de Vincente Minnelli ou avec certains films d’Hitchcock comme Rebecca (1940), Soupçons (1941).
Cependant, le film ne se situe pas dans le cadre habituellement urbain mais au contraire dans une nature idyllique et ensoleillée et l’utilisation de la couleur peut sembler d’un premier abord s’opposer au genre. Pour son premier film en couleurs, Stahl fait alors appel au talentueux Léon Shamroy qui sera à juste récompensé aux oscars pour son travail. Le sublime technicolor donne ici une force lyrique à cette histoire dramatique et tourmentée. Il faudra attendre Niagara (1953) d’Henry Hathaway, puis l’arrivée du cinémascope[1], pour que le technicolor soit de nouveau à l’ordre du jour pour le film noir.
A la lisière entre deux genres, Péché mortel est un excellent film dont la cruauté et la violence des passions étonnent toujours d’un bout à l’autre le spectateur. La beauté divine de Gene Tierney lui valut une nomination aux oscars pour la meilleure actrice mais ce sera Joan Crawford qui le remportera pour sa prestation dans Le Roman de Mildred Pierce de Michael Curtiz, film qui lui aussi s’apparentait autant à un film noir qu’à un mélodrame.
02.10.07.
[1] Parmi les films noirs en cinémascope et en couleurs, citons pour l’année 1955 Les Inconnus dans la Ville de Richard Fleisher, Un Homme est passé de John Sturges, La Maison de Bambou de Samuel Fuller, puis pour l’année 1956, A Kiss Before Dying de Gerd Oswald ou encore Deux Rouquines dans la bagarre d’Allan Dwan tourné en Superscope.