dimanche 11 mai 2008

The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford / L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) d’Andrew Dominik


         Après Chopper (2000), le portrait d’un criminel australien multirécidiviste, célèbre pour avoir écrit son autobiographie en prison, le Néo-zélandais Andrew Dominik s’est attaqué à un autre bandit, cette fois-ci plus connu, Jesse James, « le brigand bien-aimé ». Inutile de dire que s’emparer aujourd’hui du mythe de Jesse James, adapté déjà de multiples fois à l’écran, revient tout simplement à s’emparer de toute la mythologie westernienne. En effet, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, comme le prouve son titre volontairement long, est incontestablement un film ambitieux. Divers et complexe, le film de Dominik est particulièrement difficile à cerner.


         Contrairement à ce que disent certains critiques, déconcertés par le manque de scènes d’actions ainsi que par le ton et la lenteur si particuliers au film, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford est bel et bien un western. Il ne l’est pas uniquement par son cadre mais aussi et surtout par son propos rétrospectif, propre au western crépusculaire : comment le mythe se crée dans l’Ouest qui disparait au profit de la modernité.
         Le film de Dominik est un western démystificateur puisqu’il dresse un portrait d’un Jesse James maniaco-dépressif, lunatique, paranoïaque (il élimine ses anciens complices) et malade (une phalange en moins, une inflammation de la paupière, des problèmes respiratoires). En rappelant la véritable identité de James, assassin de l’armée sudiste lors de la guerre de sécession, Dominik veut rejoindre la réalité historique. Dans cette optique, il ponctue son film d’indications temporelles et soulève quelques faits méconnus de l’histoire.



         Cependant, préoccupé par la nature du mythe qui subsiste de nos jours, Dominik tente de l’expliquer en montrant un personnage tout de même charismatique, impressionnant et fantomatique. Comme l’indique le titre du film, son intérêt ne réside pas dans le suspens de la mort de James, mais au contraire dans son attente. Dominik livre une nouvelle version du meurtre : James, las de tant de violences et sachant venir sa fin ainsi que celle de l’Ouest, décide à l’heure du journalisme et de la photographie de se préparer une disparition médiatisée afin de lui permettre d’entrer à tout jamais dans l’Histoire. Pour son suicide, James choisit Robert Ford, une nouvelle recrue de sa bande. Le jeune homme candide de vingt ans admire depuis longtemps James. Il découvre ses exploits exagérés, voire inventés dans d’enfantins petits serials illustrés. Manipulé par James, Ford assassine finalement de dos ce dernier, alors qu’il époussète un tableau accroché au mur dans sa maison de Saint-Joseph, dans le Missouri.

         Le film de Dominik est en fait un western psychologique, centré sur les rapports entre Jesse James et Robert Ford. Les motivations de Robert Ford ne manquent pas et sont toutes abordées : déception par son idole, envie d’être lié pour toujours à l’histoire de son maître, recherche de récompense et de célébrité, peur de James comme de la police. Mais la réponse se trouve sûrement dans la relation attraction-répulsion entre les deux hommes, l’un et l’autre plein de paradoxes. Comme James, à la fois calme et brutal, on se demande si Robert Ford est un demeuré ou un « illuminé ». En fait, ce double, gauche, tantôt pathétique, tantôt agaçant, ne peut supporter la supériorité morale de son icône.

         Dans le long épilogue qui suit la mort de James, Robert Ford ne cesse de justifier son acte en déclarant qu’il était inévitable et nécessaire. Cependant, rejouant son propre rôle au théâtre, à l’heure de l’avènement de la société de spectacle, Ford peine à assumer son geste passé. En montrant un homme pris de remord d’avoir bâti toute sa vie sur un meurtre, Dominik fait référence à L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford. Mais Robert Ford, lui, a vraiment tué et c’est un vrai lâche, le vrai « coward » que tout le monde dénonce. Robert Ford est tellement minable que, note d’ironie de la part du réalisateur, il n’aura même pas le droit à la représentation de sa mort (le film se termine sur l’image du tueur de Robert Ford pointant son fusil sur la caméra). A l’inverse, les tueurs procédaient à un véritable rite sacrificiel pour le meurtre de James et le temps était volontairement dilaté.

         La fuite du temps demeure en effet l’une des grandes thématiques du film. Avec son récit entrecoupé de scènes tournées en ralentis, en sépia et accompagnées d’une voie narrative, le film baigne dans un certain parfum de passé. Si la scène où l’on suit, par un élégant traveling, la femme de James sortir, jupe au vent, de la pénombre de sa maison pour accueillir son mari sur son perron, peut faire penser à La Prisonnière du Désert (1956) de John Ford, le film de Dominik, poétique, long (il dure 2h40) et lent, se rapporte plus à l’œuvre contemplative de Terrence Malick. On y retrouve par exemple la même image splendide de l’homme perdu dans un champ de blés aux épis caressés par le vent.
         Malick, selon le magazine Première, aurait d’ailleurs assisté à des projections de montages non définitifs du film. De plus, dans la distribution, on remarque la présence de Sam Shepard, le fermier des Moissons du Ciel (1978), dans le rôle de Franck James, le frère aîné de Jesse. De même, les remerciements destinés à Malick dans les génériques de Will Hunting (1997) de Gus Van Sant et de Gone Baby Gone (2007) de Ben Affleck témoignent du fait que le réalisateur doit bien connaître Casey Affleck, l’acteur qui joue Robert Ford. Quant à Brad Pitt qui incarne Jesse James, il va jouer dans Tree of Life, le prochain film de Malick.

         Brad Pitt, dans le rôle de la star agacée par son statut mais sachant aussi en tirer profit, joue évidemment son propre rôle. Excellent en Jesse James humain, terrifiant comme sympathique lorsqu’il joue avec ses enfants, Brad Pitt a bien mérité le prix d’interprétation masculine de la 64ème Mostra de Venise. Avec sa très bonne performance, Casey Affleck parvient aussi à partager la vedette et se forge enfin un prénom.
         Andrew Dominik a donc visé haut en faisant appel à des stars bien cotées. S’appuyant pour la production sur les frères Scott, David Valdes[1] et Brad Pitt lui-même, Dominik, qui a signé seul le scénario en adaptant le roman de Ron Hansen, est tellement pris par son sujet, qu’il s’est battu pendant deux ans sur la table de montage avec les distributeurs de la Warner. Notons enfin que la musique de Nick Cave et de Warren Ellis ainsi que la photographie de Roy Deakins, directeur de la photographie des films des frères Coen, sont particulièrement réussies. Il faut bien avouer que visuellement et esthétiquement, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, tourné au Canada, est l’un des westerns les plus beaux de toute l’histoire du cinéma.


         Plus à la façon d’un Clint Eastwood avec Impitoyable (1992) que d’un Kevin Costner avec Open Range (2003), Andrew Dominik ne ressuscite le western avec L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford que pour mieux l’enterrer. Cependant, cette ambitieuse volonté de conclure est tout à fait louable. Mélancolique et magnifique, le film de Dominik reste avant tout un excellent film qui se voit et se vit. L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, surement l’un des meilleurs films de l’année 2007 avec There will be blood de Paul Thomas Anderson, donne à croire véritablement au cinéma indépendant américain.
         Quant à Andrew Dominik, malgré le cuisant échec commercial de son film, on espère qu’il va continuer dans cette merveilleuse voie.

11.05.08.




[1] David Valdes est le producteur de plusieurs films avec et de Clint Eastwood : Pale Rider, le cavalier solitaire (1986), Bird (1988), La Dernière cible (1988) et Pink Cadillac (1989) de Buddy Van Horn, Chasseur blanc, cœur noir (1990), La Relève (1990), Impitoyable (1992), Dans la Ligne de Mire (1993) de Wolfgang Petersen et Un Monde Parfait (1993). C’est aussi le producteur de Jardins de Pierre (1987) de Francis Ford Coppola, La Ligne verte (1999) de Frank Darabont et Open Range (2003) de Kevin Costner. Il doit donc être intéressé par le maintien par perfusion du western de nos jours.