samedi 3 mai 2008

Simón del Desierto / Simon du Désert (1965) de Luis Buñuel


        Dernier film mexicain de Luis Buñuel, Simon du Désert est l’un des films les plus méconnus du fameux réalisateur espagnol. Il est vrai que ce moyen-métrage de 45 minutes est assez rare. Pourtant, cette étrange farce surréaliste qui inspirera surement les Monthy Python pour La Vie de Brian (1979) de Terry Jones mérite largement le détour.


        Pour Simon du Désert, Buñuel suit les pas de son confrère Salvador Dalí qui illustrait en 1946 La Tentation de Saint Antoine, le poème en prose de Gustave Flaubert. Buñuel s’attaque ainsi à la vie de Saint Siméon le Stylite, un ascète syrien du Vème siècle après Jésus-Christ, ayant vécu pendant quarante ans en haut d’une colonne pour se rapprocher de Dieu. Aspirant à une élévation spirituelle, il priait Dieu toute la journée, refusait les embarras terrestres et se nourrissait grâce à des paniers hissés avec des cordes par des pèlerins.

La Tentation de Saint Antoine (1946) de Salvador Dalí.



        Buñuel, que l’on sait clairement anticlérical, en profite pour dénoncer le comportement de la communauté religieuse qui vient rendre visite à l’ermite : alors que les prêtres veulent écarter de la population le saint fidèle, les croyants, eux, vouent un culte fasciné à Simon. Quant aux rites religieux, ils sont ridiculisés lorsque Simon réalise qu’il a oublié comment se termine exactement un psaume ou encore lorsqu’il déclare : « qu’il est amusant de bénir les mouches ! ».
        Cependant, Buñuel, que l’on sait aussi athée, ne décrédibilise pas toute la foi catholique. En effet, sans affirmer pour autant l’existence de Dieu, Buñuel atteste la présence de miracles comme celle du Diable lui-même. Buñuel prend surtout un malin plaisir à tourner en dérision les efforts de Simon, pourtant sincère dans sa dévotion. Buñuel dénonce l’absurdité de l’action de l’ascète qui a parfois recours à l’autopunition en décidant de se tenir debout sur un seul pied.
        Buñuel se focalise principalement sur les différentes apparitions d’un diable féminisé et qui prend tour à tour les aspects d’une femme perverse, d’une jeune fille en marinière qui joue avec un cerceau, d’un Jésus berger ou d’une vamp se déplaçant dans le désert sur un cercueil. Buñuel semble vouloir accumuler les apparitions plus folles les unes que les autres.


        La dernière est sans aucun doute la plus réussie et la plus déroutante : à la fin du film, le diable entraîne Simon à bord d’un avion en direction de New York. On retrouve ensuite Simon, buvant du coca-cola et fumant la pipe dans une boîte de nuit branchée. Le rock’n’ roll a remplacé les chants pieux du début. Simon veut partir mais le diable l’avertit : « Il n’y a rien d’autre, tu dois rester ici. » Simon endure un cruel enfer : celui de la vie humaine qu’il avait oubliée du haut de sa colonne. Buñuel et son scénariste Julio Alejandro[1], multiplient donc les anachronismes, mélangeant volontairement l’espace et le temps comme plus tard dans La Voie lactée (1969).

        Mais cette fin n’est pas si surprenante que cela. En effet, elle a été rajoutée en quatrième vitesse lorsque Buñuel réalisa qu’il ne pouvait finir le film, suite à des problèmes de production. Ce film à petit budget était produit par Gustavo Alatriste, le mari de Silvia Pinal qui joue le diable dans Simon du Désert. Intéressé par le cinéma de Buñuel, il avait déjà produit Virdiana (1961) et L’Ange exterminateur (1962), dans lesquels jouait aussi sa femme. Alatriste allait par la suite devenir lui-même réalisateur.
        Le rôle de Simon est tenu par Claudio Brook qui avait déjà joué dans deux autres films de Buñuel : La Jeune fille (1960) et L’Ange exterminateur (1962). Il jouera aussi dans La Voie lactée (1969). Il continuera sa carrière en faisant de nombreux seconds rôles en Europe ou aux Etats-Unis. On le connaît surtout grâce à son rôle de Peter Cunningham dans La Grande vadrouille (1966) de Gérard Oury. Il sera le dernier Coplan dans Coplan sauve sa peau (1968) d'Yves Boisset et, ironiquement, il interprétera le Christ à deux reprises dans des films mexicains de Miguel Zacarías.


        Simon du Désert, parodie biblique macabre, est un film particulièrement drôle et original. Malgré son tournage particulier puisque raccourci, il remportera même le prix spécial du jury au festival de Venise en 1965. L’année suivante, en 1966, Buñuel allait retourner en France et trouver la consécration en réalisant Belle de Jour avec Catherine Deneuve.

03.05.08.





[1] Julio Alejandro (1906-1995) est un scénariste espagnol. Il a collaboré à cinq reprises avec Buñuel, signant les scénarii des Hauts de Hurlevent (1954), de Nazarin (1959), de Virdiana (1961), de Simon du Désert (1965) et de Tristana (1970).