samedi 17 mai 2008

Un Dimanche à la Campagne (1984) de Bertrand Tavernier



        Après deux courts-métrages, le très cinéphile Bertrand Tavernier commence en 1973 à mettre sur pied son premier long métrage. Pour l'écriture du scénario de L’Horloger de Saint-Paul, il tient à collaborer avec Jean Aurenche et Pierre Bost, fameux scénaristes de la Qualité française, dont il apprécie l’agressivité et la modernité. Ensuite, il réalise en 1976 Le Juge et l’Assassin, d’après une idée de Pierre Bost, mort entre temps en 1975. En 1984, avec Un Dimanche à la Campagne, Tavernier rend un dernier hommage au célèbre journaliste et écrivain en adaptant Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, un de ses romans, publié en 1945. Si Tavernier reste fidèle au roman, il ne livre pas pour autant une œuvre froide mais signe un film personnel, plein de sensibilité.

        Le « dimanche à la campagne » du titre, c’est le rituel que connait, chaque week-end, un vieux peintre (Louis Ducreux[1]) au crépuscule de sa vie qui accueille ses enfants dans sa maison de campagne. On assiste à des repas et des discussions en famille. Mais, même si l’on sait qu’il se déroule exactement en 1912, ce « dimanche à la Campagne » pourrait se passer à n’importe quelle époque.
        Comme disait justement le critique Jean-Luc Douin : « Ce dimanche-là, c'est curieux, je m'en souviens tout d'un coup. (...) J'ai l'impression trompeuse de ne retenir de ces bouffées d'enfance que ce qui revient au plaisir et au regret. Comme une suprême récompense, tardive, une nostalgique déchirure due aux remords d'avoir gâché des occasions de mordre plus violemment à la vie. (...) Ce dimanche-là, c'est le miracle de ce film, Bertrand Tavernier s'en souvient lui aussi. Dans un autre jardin, une autre famille, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. (...) »
        Baignant dans une atmosphère floue et impressionniste rappelant les toiles de Monet ou de Renoir, le film nostalgique de Tavernier réveille, à la façon d’un Marcel Proust, des sentiments enfouis dans la mémoire de chacun : un été qui laisse place à l’automne, préfigurant la fin des vacances ; une sieste sur un divan derrière des persiennes closes ; un verre d’eau fraîche ; une odeur enivrante de bois et de feuilles ; le poulet du déjeuner du dimanche ; une partie de jeu de la grenouille…


        Un Dimanche à la Campagne aborde la thématique du temps qui passe et de l’incompréhension entre les êtres pourtant proches. Avec la présence des enfants, Tavernier illustre le cycle des générations et de la vie. Le sérieux d’un fils bien aimant (Michel Aumont), bien comme il faut, contraste fortement avec la modernité de sa fille (la pétillante Sabine Azéma), anticonformiste et célibataire, mais pleine de vie et d’amours. Menant une grande vie à Paris, elle accumule les aventures et les folies, fait des tournées en voiture. Heureuse en apparence, elle n’est pas sans faille. Peut-être est-elle victime de sa propre liberté comme l’indique son père qui lui demande : « quand cesseras-tu d’en demander autant à la vie ? ».
        Malgré une certaine complicité avec elle, son père peine à la comprendre. N’ayant jamais modifié son style de peinture, il décidera d’en changer finalement sur les conseils de sa fille. A la triste fin du film, le vieil homme solitaire, sachant quand même sa mort venir, décide de laisser inachevé un tableau (que tout le monde n’appréciait que pour lui faire plaisir) et d’entreprendre une nouvelle toile. Avec cette fin mystérieuse, le spectateur se demande si c’est le contact avec sa fille pleine de vie ou si c’est la mort qui l’inspire.
        Tavernier livre une réflexion sur la temporalité de l’art. Pour le vieux peintre, la peinture permet, contrairement à la photographie (qui "est trop facile"), de rester dans son temps, c’est-à-dire celui d’hier comme celui d’aujourd’hui. De la même façon, avec le cinéma, Tavernier parvient à ressusciter des sensations passées de notre enfance.


        Récompensé par de nombreux Césars (meilleure actrice, meilleure photographie, meilleure adaptation) et un prix à Cannes (meilleur réalisateur), Un Dimanche à la Campagne a été très bien accueilli par les critiques lors de sa sortie. Il est sûr que ce film d’auteur, universel bien qu’intimiste, est tout simplement magnifique. La nostalgie qui régnait dans le film gagne même a posteriori le spectateur qui s’en souvient. Comme un merveilleux livre d’images, Un Dimanche à la Campagne se laisse revoir indéfiniment.

17.05.08.




[1] Louis Ducreux (1911-1992) est avant tout un acteur théâtral. Un Dimanche à la Campagne est son unique grand rôle au cinéma. Il joue aussi dans Daddy Nostalgie (1990) de Bertrand Tavernier.