jeudi 1 mai 2008

Courts-métrages et documentaires de Martin Scorsese


What's a Nice Girl Like You Doing in a Place Like This ? (1963)
It's Not Just You, Murray ! (1964)
The Big Shave (1967)
Italianamerican (1974)
American Boy: A Profile of Steven Prince (1978)


        En 1963, Martin Scorsese devient étudiant en cinéma à la New York University. Il se lance alors dans deux courts-métrages en noir et blanc et en 15 millimètres. Ensuite, en 1967, alors qu’il tente de finir son premier long-métrage Who’s that Knocking at my door ?, Scorsese réalise un nouveau court-métrage The Big Shave qui ne passera pas inaperçu.


What's a Nice Girl Like You Doing in a Place Like This ? (1963)

        Il s’agit d’un exphrasis : un homme est tellement fasciné par une photographie représentant un homme dans une barque, qu’il finit par y entrer et s’y noyer. Scorsese s’inspire du « nouvel humour américain », celui des émissions de télévision et de Mel Brooks. Le sujet est léger et son traitement décontracté : Scorsese utilise l’animation d’images et la voix off, suit une structure libre en interrompant son récit avec l’intervention d’un psychiatre. Si les fêtes qu’organise le jeune Harry font penser aux films contemporains de John Cassavetes, les nombreux travellings dans le noir sont tout droit sortis de chez Alain Resnais. C’est en effet l’époque où Scorsese découvre les films de la Nouvelle Vague et l’œuvre de Fellini.
        Sans être extraordinaire, What's a Nice Girl Like You Doing in a Place Like This ? est un petit film très inventif, plaisant et amusant, mais dans lequel on ne reconnait pas encore la touche de notre italo-américain préféré.


It's Not Just You, Murray ! (1964)


        Cette biographie comique et rapide (de 15 minutes) en voix off de deux gangsters de 1922 à 1965 préfigure bien des films à venir de Scorsese, notamment les débuts des Affranchis (1990) et Casino (1996). C’est, comme le dit lui-même Scorsese, « un film d’amis et aussi une sorte d’introduction, d’ébauche de Mean Streets ». Pour ces deux copains sympathiques, rigolards et pathétiques, Scorsese s’inspire de la vie de ses oncles. On retrouve déjà le folklore italien (la mère de Scorsese joue le rôle de la mère dévouée du personnage principal, toujours prête à lui préparer un plat de pâtes), le goût pour les gangsters et la prohibition. Une nouvelle fois, Scorsese fait référence à Fellini, la dernière scène de son film, la grande danse qui réunit les protagonistes autour d’une voiture, se rapportant de façon évidente à Huit et Demi (1963).
        It's Not Just You, Murray ! est donc bien le premier véritable film de Scorsese qui est alors encore en train de se chercher.



The Big Shave / Le Grand Rasage (1967)


        C’est ce court-métrage en couleurs qui va vraiment lancer la carrière de Scorsese. Il est vrai que la vision de cet homme qui se rase jusqu’à se couper indéfiniment et sans la moindre réaction est particulièrement impressionnante. Gagnant le prix de l’Age d’or au Festival du film expérimental de Knokke-le-Zoute, le film de Scorsese fait en effet tout de suite penser au surréaliste Chien andalou (1929) de Luis Buñuel. Depuis Psychose (1960) d’Hitchcock, Scorsese a compris que la salle de bain n’est pas toujours le lieu où l’on se lave, le lieu qu’aurait imagé et stylisé le cinéma classique.
        Scorsese a tourné The Big Shave dans une période sombre de sa vie: « J’étais fauché; mon premier long métrage ne trouvait pas de distributeur, je campais dans des appartements vides et sinistres… et j’ai toujours eu du mal à me raser ! »[1] déclarait-il.

        On peut cependant voir autre chose dans le film de Scorsese. Le titre de tournage étant Viet’67, Scorsese a voulu dénoncer une guerre absurde : en combattant au Vietnam, l’Amérique se coupe elle-même la gorge et court à sa perte. « Je voulais même terminer sur des stock-shots du Vietnam, mais ils étaient inutiles. En fait, The Big Shave était un fantasme, une vision de la mort strictement personnelle ».
        Il est sûr que The Big Shave est avant tout un film dans lequel on retrouve toutes les thématiques et les phobies de Scorsese : l’autodestruction, l’omniprésence insupportable du sang face au blanc immaculé de la salle de bain aseptisée, la passion incontrôlable face à la virginité, la pureté.
        Jean-Baptiste Thoret dans son essai Le Cinéma américain des années 70 voit surtout dans The Big Shave l’annonce d’une nouvelle ère dans le cinéma américain, le Nouvel Hollywood qui va bouleverser les règles du cinéma classique. Le prologue de son livre s’intitule d’ailleurs « The Big Shave ou comment le Nouvel Hollywood a commencé à raser l’Ancien ». Jean-Baptiste Thoret ajoute aussi : « Comme les images de la guerre [du Vietnam] faisant chaque soir irruption dans les foyers américains, la violence de The Big Shave surgit au cœur d’un espace familier. Enfin, le film de Scorsese confond la victime et le bourreau. Autrement dit, l’Autre, celui qui commet le Mal et le répand, possède le visage du Même. Pour un pays qui a toujours construit sa mythologie et son identité en regard d’un Autre qu’il s’agissait de ne pas être, voici venu le temps du mal intérieur. (…) Lorsqu’il pénètre dans sa salle de bain, Peter Bernuth semble encore endormi. Après un long sommeil au pays des rêves lisses, il était sans doute temps pour lui, et pour le cinéma hollywoodien, de se réveiller. »
        Plus encore que It's Not Just You, Murray !, The Big Shave est un tournant dans l’œuvre de Scorsese. En effet, ce dernier vient déjà de trouver ses thématiques qu’il développera tout au long de sa carrière mais aussi d’acquérir une forte puissance esthétique avec la découverte de la violence graphique.



        Après Street Scenes (1970), Italianamerican (1974) est le premier documentaire de Martin Scorsese. Suivront ensuite American Boy: A Profile of: Steven Prince (1978), Made in Milan (1990), Voyage de Martin Scorsese à travers le cinéma américain (1995), Un Voyage avec martin Scorsese à travers le cinéma le cinéma italien (1999), Du Mali au Mississippi (2003), Lady by the Sea: The Statue of Liberty (2004, film télé), No Direction Home: Bob Dylan (2005).


Italianamerican (1974)

        A l’origine, Scorsese doit tourner un épisode d’une série collective de films sur l’immigration à l’occasion du bicentenaire des Etats-Unis. Pour ce faire, il décide d’interviewer pendant deux week-ends ses parents dans leur modeste appartement d’Elizabeth Street: Luciano 'Charlie' et Catherine 'Kelly' Scorsese. Même si le sujet demeure l’immigration italienne et le développement de 'Little Italy', on apprend surtout beaucoup sur Scorsese et ses parents : on se bat pour savoir comment on faisait le vin, on critique l’invasion de Litlle Italy par les Asiatiques… Au générique de fin, Scorsese donne même la recette de la sauce familiale…



American Boy: A Profile of Steven Prince (1978)


        Scorsese signe ici un portrait de Steven Prince, ancien manager du chanteur Neil Diamond. Steven Prince est un ami de Scorsese et a joué des petits rôles dans ses films parmi lesquels le vendeur d’armes dans Taxi Driver (1978). Scorsese a expliqué lui-même le concept simple de son film: « Un homme s’assied, vous raconte son histoire, et peu à peu on voit émerger une époque, un mode de vie, une manière de survivre. Je voulais que chacun puisse partager le plaisir de passer la soirée avec Steven. A chacun de décider s’il a passé cette soirée avec un drogué, un criminel ou un frère »[2].
        Steven Prince possède d'authentiques qualités de narrateur et en profite pour faire part de certaines anecdotes et expériences personnelles : la cuisine sans goût de sa mère, sa rencontre avec un gorille, comment il s’est fait passer pour homosexuel pour éviter l’armée. Le film commence par une scène de bagarre entre copains puis par des blagues plus ou moins réussies, mais ensuite il atteint une certaine gravité lorsque Prince raconte comment il a sombré dans la drogue, comment il a du tuer un homme par légitime défense, comment il réagit face à son père mourant.


        Superbement présenté et restauré, le dvd de Wilde Side sur les courts-métrages et documentaires de Martin Scorsese permet un approfondissement de la carrière de Scorsese. En effet, si le réalisateur de long-métrages est peut-être plus brillant que celui de courts-métrages, le documentariste, lui, ne doit pas être négligé.

01.05.08.




[1] In « Entretien avec Martin Scorsese » par /Michel Ciment et Michael Henry, Positif, numéro 170, juin 1975.
[2] In « Une Soirée romaine avec Martin Scorsese », Positif, numéro 229, avril 1980.