dimanche 25 mai 2008

Судьба человека / Le Destin d’un Homme (1959) de Sergeï Bondarchouk



        Le Destin d’un Homme, premier film de l’acteur Sergeï Bondarchouk, est une adaptation d’une nouvelle publiée dans la Pravda, en 1957. Son auteur, Mikhaïl Cholokhov, écrivain officiel du parti communiste soviétique, recevra même plus tard le prix Nobel de la littérature en 1965 pour Le Don paisible. Bondarchouk, ancien vétéran militaire, s’attaque donc à cette évocation de la guerre vécue par un pauvre paysan russe. Sorti en pleine période du dégel, le film de Bondarchouk marque une rupture avec le cinéma soviétique des années Staline. On retrouve bien la glorification de la patrie et de sa défense. Cependant, l’intérêt porté à un héros brave mais humain et souffrant reste encore assez inédit.


        Le destin d’un homme est celui de Sokolov, paysan russe embrigadé pendant la guerre. Dans un récit en voix-off à la première personne, il nous conte ses exploits héroïques : comment il a traversé avec un camion le champ de bataille en évitant un déluge de bombes, comment il s’est évadé d’un camp allemand et comment il a passé les lignes ennemies au volant d’une voiture, tout en faisant prisonnier un officier. Ces morceaux de bravoure prouvent l’attachement du personnage à sa mère patrie et non plus celui porté à l’idéologie soviétique.

        Face à l’invasion de l’ennemi, le combat semble être justifié. Cependant, le spectateur comprend que le but de Bondarchouk est de dénoncer l’absurdité de la guerre. Paysan heureux avant le conflit, Sokolov va voir son bonheur détruit par la guerre : sa famille et sa maison sont décimées par les bombardements alors que son fils meurt au front. Le Destin d’un Homme s’attarde donc sur la souffrance et le profond anéantissement de l’homme, complètement traumatisé par la guerre.

        Bondarchouk a choisi de représenter cette triste période de l’histoire avec un noir et blanc sombre et contrasté. Il nous présente des images d’un enfant misérable en guenilles pataugeant dans la boue dans un décor minable et crasseux. Bondarchouk évoque même l’apothéose de l’horreur en rappelant subtilement de façon suggestive les camps de concentration et d’extermination.

        A cette époque, l’holocauste est encore très peu représenté au cinéma[1] : Sokolov observe un bâtiment devant lequel attend une importante queue humaine ; une fumée se dégage dans le ciel. Le réalisateur représente même deux personnages juifs ce qui était normalement interdit dans le cinéma soviétique.

        On peut percevoir dans cette dure représentation de la misère humaine, l’influence du néo-réalisme italien. Hymne à la force morale, à l’espoir et à la vie, Le Destin d’un Homme rappelle Le Voleur de bicyclette (1948) de Vittorio de Sica. On y retrouve l’image des enfants perdus, l’universalité du propos, une certaine pureté et simplicité des personnages, de leurs sentiments. En revanche, la puissance dramatique du film et son lyrisme font plus penser à Quand passent les cigognes (1957) de Mikhaïl Kalatozov, autre film du dégel russe.

        De plus, comme le film de Kalatozov, celui de Bondarchouk éblouit autant qu’il peut agacer avec ses nombreuses prouesses techniques qui peuvent être perçues comme prétentieuses: le premier plan qui ouvre le film avec un splendide 360°, le plan vertical ascendant du ciel vers la terre en direction du champ de blé dans lequel Sokolov se repose, les plans pris depuis des avions (attaque d’un convoi russe par les allemands) ou depuis des voitures, la caméra placé sous un train au niveau des rails.
        Quant à la scène du cauchemar de Sokolov dans lequel on voit déambuler dans un champ de blé bombardé au ralenti les membres défunts de sa famille tels des fantômes, elle inspirera de façon évidente Ridley Scott pour son Gladiator (2000).

        La virtuosité de la mise en scène s’exprime aussi à travers de longs travellings ou le brillant montage (transition avec un disque qui se brise et une bombe qui explose). Bondarchouk multiplie aussi les gros plans qui mettent en valeur le jeu expressif des acteurs.

        Jouant lui-même le personnage de Sokolov, Bondarchouk semble vouloir prouver qu’il est bel et bien un nouvel Orson Welles. Profitant de gros moyens, il met en scène des batailles impressionnantes qui annoncent son Guerre et Paix (1965-1967). Sa démesure est un peu perceptible mais l’histoire intime l’emporte néanmoins sur la fresque épique, ce qui est d’ailleurs l’une des forces majeures du film.


        Avec sa réalisation époustouflante, Le Destin d’un Homme est un film bouleversant et poignant. Il fait partie de ces magnifiques films du dégel avec Quand passent les cigognes de Klatozov que l’on rage de ne pas connaître assez à cause d’une diffusion très limitée.
        Grâce à une sortie internationale, Le Destin d’un Homme connut un succès mondial. Profitant de cette lancée et du soutien du parti soviétique, Bondarchouk allait se lancer six ans plus tard dans son projet gigantesque de l’adaptation de Guerre et Paix qui restera sans doute son film le plus connu.

25.05.08.





[1] On peut cependant citer Nuit et brouillard (1955) d’Alain Resnais.