Cinquième film américain d’Hitchcock, La Cinquième Colonne est comme Correspondant 17 (1940) un film d’espionnage de propagande antinazie. Produit par la Universal, ce film de studio plutôt méconnu dans la filmographie du réalisateur n’est pourtant pas sans intérêt. Au contraire, il prouve et affirme le génie du maître du suspens qui, à partir d’un scénario faible et des acteurs assez pauvres (Robert Cummings et Priscilla Lane), parvient à transcender le film grâce à la mise en scène.
Avec La Cinquième Colonne, Hitchcock retrouve son thème favori, celui du faux coupable. Cette fois-ci, le personnage principal est injustement accusé de sabotage. En effet, Barry Kane, l’ouvrier qui travaille dans une usine aéronautique a été confondu avec un traître incendiaire. Kane tente alors de le retrouver en évitant la police qui le recherche et son périple le conduit de la Californie à New York. Le film se termine avec une course poursuite en haut de la statue de la Liberté qui anticipe celle au Mont Rushmore de La Mort aux Trousses (1959)
Hitchcock signe avant tout un film de propagande. En effet, Kane va déjouer la cinquième colonne, une association criminelle d’Américains ralliés à la cause nazie. Dans le film, les traitres sont bien placés dans la hiérarchie sociale et les meilleurs Américains ne sont pas toujours ceux que l’on croît. En montrant comme grand méchant un grand-père sympathique qui joue avec sa petite-fille, Hitchcock veut bien faire comprendre qu’il faut se méfier de tout le monde en temps de guerre.
Capturé lors d’une soirée de réception, le héros tentera de révéler aux invités la véritable identité de leurs hôtes. Dans la foule, les gens sont incrédules et n’ont pas conscience du danger que représentent ces gens respectables en apparence mais qui en réalité coulent des bateaux et font exploser des barrages.
Le scénario de La Cinquième Colonne, complètement invraisemblable, est cependant compensé par une bonne ambiance de film noir. Comme toujours, le maître du suspens se révèle être à la hauteur. Pour confirmer cette affirmation, il suffit d’appliquer la théorie de Godard selon laquelle l’œuvre d’Hitchcock ne marque les esprits que par des scènes et des objets. En cela, « Hitchcock a été le maître du monde. Plus que Hitler, plus que Napoléon, il avait un contrôle du public que personne d’autre n’a eu. » disait-il dans son Histoire(s) du cinéma.
Ainsi, dans La Cinquième Colonne, le spectateur se souvient inconsciemment d’un homme menotté se jetant d’un pont, d’une visite chez un aveugle très lucide, d’une cachette dans une caravane remplie de forains d’un cirque ambulant avec nain et femme à barbe, d’un règlement de comptes dans un cinéma, d’une ville fantôme, d’un message jeté du haut d’un gratte-ciel avec comme inscription « help ! » écrite avec du rouge à lèvre…
Comme Kane, héros typique du film noir qui ne cesse d’accumuler les mauvais choix et par conséquent de mal agir, plongé dans un véritable cauchemar, le spectateur se souvient du film comme d’un rêve : il se souvient de détails absurdes et non pas du contenu. Avant donc d’être le maître du suspens, Hitchcock est en fait un maître de la manipulation.
Film bien ficelé mais non brillant, La Cinquième Colonne est néanmoins intéressant puisque très révélateur de l’art de Hitchcock qui sait dépasser le simple film de studio.
01.06.08.