Roman de Jack London écrit en 1904, Le Vaisseau fantôme a été adapté à sept reprises au cinéma. L’auteur interprétait même le rôle d’un marin dans la première transposition à l’écran, celle américaine réalisée en 1913 par Hobart Bosworth. Mais la version la plus réussie et la plus célèbre reste celle de Michael Curtiz qui, grâce à une superbe ambiance, signe ici l’un de ses meilleurs films.
Le Vaisseau fantôme, commandé par le terrifiant Wolf Larsen, rassemble des créatures déchues: Humphrey Van Weyden (Alexander Knox), un écrivain distingué, George Leach (John Garfield), un homme mystérieux recherché par la police et Ruth Webster (Ida Lupino), une femme évadée de prison. Tous sont contraints de rester à bord du navire de Larsen, cruel loup de mer lui-même pourchassé par un frère hargneux.
Robert Rossen, le scénariste a inventé et développé le personnage de George Leach, rebelle ténébreux et charismatique. L’écrivain, personnage principal du roman de London est donc remplacé par le couple tourmenté formé par John Garfield et Ida Lupino. Le Vaisseau fantôme frappe surtout étonnamment par la noirceur de ses personnages sombres, constamment en fuite. Même Weyden, l’écrivain propret, va se salir et sera tenté par le crime. Il restera cependant fidèle à une certaine dignité morale face au monstre pervers qu’est Larsen.
Représentant d’un individualisme égoïste, le personnage de Wolf Larsen se voit complètement diabolisé. En effet, rien ne manque à cette créature autosuffisante et matérialiste. Larsen se révèle même être plein de contradictions : lettré et cultivé (c’est un admirateur de poésie), il fait pourtant preuve d’un autoritarisme absolument barbare à bord de son navire.
Le simple film d’aventures se transforme alors de façon très subtile en film de propagande: il est en effet facile pour le spectateur de l’époque de reconnaître dans cet instigateur d’un violent totalitarisme un symbole dangereux du fascisme. De plus, la connotation germanique du prénom de Larsen renforce cette idée: depuis la création d’une certaine section de SS et la sortie du fameux Blitz Wolf de Tex Avery, la figure du loup semble être liée de façon évidente au nazisme.
Cette dénonciation de la dictature n’est cependant pas ce qui marque le plus le spectateur contemporain, plus sensible à la superbe ambiance du film, imprégné d’une esthétique expressionniste propre au réalisateur Michael Curtiz. Le film baigne même dans une atmosphère à la lisière du fantastique lorsque l’on voit des navires sortir de brumes épaisses. Ce fut d’ailleurs le premier film à utiliser ladite « machine à brouillard », alors nouvellement installée.
Faisant appel à Sol Polito pour la direction de la photographie, Curtiz s’entoure donc d’excellents techniciens. Le Vaisseau fantôme marque d’ailleurs la dernière collaboration de Curtiz avec Eric Von Korngold qui avait signé auparavant la partition de quatre de ses films: Capitaine Blood (1935), Les Aventures de Robin des Bois (1938), La Vie privée d’Elizabeth d’Angleterre (1939) et L’Aigle des Mers (1940). Les acteurs sont eux aussi remarquables, même les inoubliables seconds rôles que sont Barry Fitzgerald en lâche cuisinier et Gene Lockhart en médecin alcoolique.
Servi par une excellente atmosphère et de brillants acteurs, Le Vaisseau fantôme est donc un remarquable film de studio qui prouve encore une fois de plus l’extraordinaire qualité des productions de la Warner.
25.06.08.