samedi 5 juillet 2008

Serpico (1973) de Sidney Lumet



        Après une escapade anglaise avec Sean Connery pour deux films (Le gang Anderson en 1971 et The Offence en 1972) et un succès mitigé lors de son retour aux Etats-Unis avec Les Yeux de Satan (1972), Sidney Lumet quitte les huis clos théâtraux et étouffants pour les grandes artères de New York, la ville dans laquelle il est né et a toujours vécu. Serpico est donc un polar urbain qui, comme French Connection (1971) de William Friedkin, s’inspire d’une histoire vraie. Il s’agit de la lutte contre la corruption menée par l’inspecteur de police Frank Serpico qui détient une même force de conviction que son homologue Popeye Doyle, tout aussi solitaire, mais qui diffère cependant de Serpico par une constante nécessité d’action. Uniquement centré sur le personnage éponyme du film, Serpico nous présente en effet un être tragique et absurde, victime d’une totale impuissance.


        Le film de Lumet insiste avant tout sur l’humanité du personnage véridique de Frank Serpico. D’origine italienne, Serpico est un flic intègre : drôle et fantasque, il est plus à l'aise dans les soirées branchées de la jeunesse contestataire que parmi ses collègues policiers. Il habite Greenwich Village et épouse progressivement le style vestimentaire du mouvement hippie, convaincu que la police doit ressembler à ceux qu'elle surveille. Entêté et très idéaliste, il est donc très déçu lorsqu’il découvre avec effroi la corruption de ses pairs qui extorquent des pots-de-vin aux criminels. En s’opposant ouvertement à ces méthodes, Serpico connaît donc l’animosité de tous les policiers de New York.
        Ses collègues finiront enfin par le trahir lors d'une opération de rue où il frôle la mort en recevant un projectile d'arme à feu à la figure. C’est sur l’arrivée aux urgences d’un Serpico blessé que s’ouvre le film dont la construction se fera dès lors en flash-back. Déshabillé sur la table d’opération, Serpico est mis à nu : difficile de ne pas apercevoir une figure christique dans ce visage encadré par une barbe et des cheveux longs. L'intransigeance du héros le hisse en effet au rang de martyre : rejeté par les siens (les policiers), il l’est aussi par ses proches (sa vie conjugale se détériore).
        Mais avant d’être un héros tragique, Serpico est un héros absurde qui se bat contre des moulins à vents. En effet, le film de Lumet n’est pas l’histoire d’un homme en lutte contre la corruption de la police mais celle d’un policier qui tente de trouver vainement une police des polices non corrompue. Même lorsqu’il il révèlera au grand jour le scandale en le racontant au New York Times, l'affaire sera étouffée. Après l’échec de sa croisade, il décide de se réfugier en Suisse. Le film se clôt sur le plan de Serpico attendant son départ sur un embarcadère, seul avec son chien.
        Le caractère absurde cette histoire kafkaïenne d’un être en guerre dérisoire contre la société trouve d’une certaine façon son prolongement dans le décalage complet que provoque l’étonnante musique grecque de Mikis Theodorakis, plutôt inappropriée.

        Avec ses scènes d’interpellations, d’arrestations et de filatures, Serpico joue la carte du réalisme et la caméra nerveuse de Lumet n’oublie pas de filmer avec une frappante authenticité l’agitation de la ville de New York. Quant à Al Pacino (dont ce n’est que le cinquième film !), il est bien évidement hallucinant dans le rôle de Serpico. Pour sa brillante composition, il fut cité à l'Oscar du meilleur acteur en 1974, sa seconde nomination après celle du Parrain en 1973. Il remporta néanmoins le Golden Globe du meilleur acteur. Notons aussi que le film fut également cité à l'Oscar du meilleur scénario.


        Film captivant et sans défaut, Serpico est donc un film incontournable du cinéma américain des années 70. Le film connut un tel succès qu’il engendra même une éphémère série TV en 1976. Quant à Sidney Lumet, il allait retrouver Al Pacino en 1975 pour Un Après-midi de chien et aborder de nouveau le thème de la corruption dans la police avec Le Prince de New York (1981), Contre-enquête (1990) et Dans l’ombre de Manhattan (1997).

05.07.08.