vendredi 30 août 2013

Ici et Ailleurs (1976) d'Anne-Marie Miéville et Jean-Luc Godard

Après Week-end (1968), Jean-Luc Godard s'éloigne du cinéma et se radicalise politiquement. Il tente avec Jean-Pierre Gorin de faire un cinéma politique et signe ses films sous le pseudonyme collectif de Groupe Dziga Vertov. Ici et Ailleurs inaugure ensuite une nouvelle période dans la filmographie de JLG où le cinéaste expérimente la vidéo avec sa compagne Anne-Marie Miéville.
 
Ici ET ailleurs, la chaîne complète des images. En 1970, Anne-Marie Miéville et Jean-Luc Godard filment un camp palestinien en Jordanie. Quatre ans plus tard, ils reprennent ces images en critiquant leur démarche de l'époque et en affirmant le droit à l'erreur: ils ont voulu parler à la place des palestiniens et faire la révolution ailleurs afin de ne pas avoir à la faire chez eux (ici). Pour rétablir la réalité, il faut donc établir un lien véritable entre ici et ailleurs, entre nous et les autres, entre A et B. D'où le choix de Godard de rajouter à son documentaire initial sur la révolution palestinienne des images d'un ménage français qui regarde la télévision.
 
Le danger est donc de s'attarder sur une seule information, sur une unique image qui en ferait oublier les autres ou sur un son trop fort qui étoufferait les sons plus faibles. Ainsi, Godard critique le montage des images et des séquences au cinéma, qui se suivent les unes après les autres, obstruant les précédentes: il devient impossible de prendre du recul, de voir l'enchainement de toutes les images sur le même plan et d'avoir une vision d'ensemble. L'enchainement rapide et dangereux des images mène donc à l'oubli et permet la propagande. En même temps, dans une société de la prolifération des images, notre œil ne sait plus sur quelle image s'arrêter et se perd dans la contemplation d'une seule représentation. Sur ce point, Godard porte un regarde acerbe envers la famille de téléspectateurs, français moyens et consommateurs abrutis.
 
Jean-Luc Godard, cinéaste autocritique et engagé. Godard nous invite donc à développer un esprit critique: il s'agit de prendre du recul face à un flot constant d'informations et d'images et de remettre en cause leur authenticité. Le cinéaste s'amuse lui-même à nous manipuler et nous révèle par un dé-zoom que la révolutionnaire palestinienne qu'il filme et qui était prête à sacrifier son futur enfant pour la cause n'est en fait pas enceinte. Pour développer ses théories, Godard multiplie les aphorismes: à partir d'une calculette ou de dessins sur un tableau noir, il démontre que tout s'ajoute pour que finalement tout s'annule.
 
Influencé par l'avant-garde russe, Godard se prête également à un jeu de montage-attraction: par une association entre une photographie de Golda Meir puis une autre d'Adolf Hitler, le cinéaste, engagé pro-palestinien, affirme clairement son antisionisme, se fondant sur la théorie que ce que les nazis ont fait subir aux juifs, les israéliens le font désormais subir aux palestiniens.
 
Film-essai engagé, film de montage autocritique, Ici et Ailleurs est une dissertation brillante mais confuse et difficile à suivre, comme souvent chez Godard. Il fait assurément partie de la période la plus difficile d'accès de la filmographie de JLG.
 
12.08.13.