mercredi 7 août 2013

L'Anglaise et le Duc (2001) d'Eric Rohmer

Avec Triple Agent (2004) et Les Amours d'Astrée et de Céladon (2007), L'Anglaise et le Duc est l'un des derniers films réalisés par Eric Rohmer. Ce film historique est centré sur la relation authentique entre le duc d'Orléans et Grace Elliott, son ancienne maîtresse d'origine anglaise, pendant la période trouble de la Révolution française.
 
Une reconstitution d'époque de l'époque. Lorsqu'Eric Rohmer s'est attaqué à des films historiques, il s'est toujours soucié de la question de la reconstitution. Alors que dans La Marquise d’O… (1976), il a reconstitué avec réalisme l’Italie du XIXème siècle esquissée par le roman éponyme d’Heinrich Von Kleist, dans Perceval le Gallois (1978), il a retranscrit le Moyen Age selon l'art de l'époque (une naïveté picturale avec des représentations souvent en deux dimensions ainsi que des perspectives disproportionnées).
 
Cette même volonté de déjouer les anachronismes et de faire "authentique", selon l'art de l'époque, se retrouve dans L'Anglaise et le Duc. Ainsi, Rohmer a opté pour des toiles peintes des rues du Paris des années 1790 à la façon des gravures que l'on trouve au musée Carnavalet. décors extérieurs de L'Anglaise et le Duc, les rues de Paris sous la Convention, sont donc des toiles vivantes, où les personnages traversent l'écran dans des plans fixes et aux perspectives figées. Le paradoxe, c'est que Rohmer, pour arriver à cette représentation, presque réactionnaire, fait appel à un procédé moderne, celui des fonds numériques. A plus de 80 ans, Eric Rohmer explore les nouvelles technologies cinématographiques, et fait de l'ancien avec du neuf. Si le choix de reconstitution étonne, il véhicule surtout un sentiment d'artifice et de faux chez le spectateur.
 
 
L'épure rohmeriene. Ce vieux Paris de la peinture du XVIIIème semble faire écho à l'artifice recherché par Rohmer: la musique est absente (sauf l'air de "Ca ira" qui accompagne le générique, soit une musique... d'époque, qui confirme le souci d'authenticité du cinéaste), les décors intérieurs sont tournés en studio et le jeu des comédiens, leurs expressions et leur diction, paraissent bien théâtraux. En détournant le spectateur de la recherche du véridique, Rohmer focalise son attention sur l'intrigue et les enjeux qu'elle met en scène.
 
Opposant l'Anglaise au Duc, Rohmer confronte deux différents comportements d'aristocrates face à la Révolution et à la République naissante: Grace Elliott, plus royaliste que le Roi, tient en horreur le nouveau régime alors que le Duc d'Orléans fraternise avec la Convention, quitte à voter en faveur de la mort de son cousin, le roi Louis XVI. Mais la déroutante audace politique de "Philippe-Egalité", suspecté de projets contradictoires, s'avérera hasardeuse et les Révolutionnaires finiront par l'exécuter. La sympathie de Rohmer va de façon explicite du côté de Grace Elliott et des aristocrates monarchistes: la moralité du Duc paraît douteuse alors que la Révolution, présentée à l'époque de la Terreur, est un ramassis d'idiots et de brutes. Grace Elliott, elle, est une femme d'un autre temps, courageuse et fidèle à ses principes.
 
 
Malgré le pari audacieux pour la reconstitution, L'Anglaise et le Duc ne convint pas vraiment car le film est parfois si théâtral et artificiel qu'il en devient bidon et risible. Frôlant le ridicule en raison de leur fâcheuse mais sincère volonté pour être authentiques, les derniers films de Rohmer (je pense surtout aux Amours d'Astrée et de Céladon) figurent sûrement parmi les moins réussis de son auteur.
 
24.07.13.