vendredi 30 août 2013

Moonlighting / Travail au Noir (1982) de Jerzy Skolimovski

Après l'interdiction de son film Haut les mains en 1967, Jerzy Skolimovski fuit la Pologne pour s'installer en Angleterre. Après The Adventures of Gerard (1970), Deep End (1970) et The Shout (1978), le cinéaste tourne Travail au Noir où il aborde le sort de quatre polonais arrivés à Londres pour restaurer illégalement une maison et revenir au pays avec de l'argent.
 
Le regard de Skolimovski envers ses compatriotes se fait résolument critique. Les quatre polonais sont complètement inadaptés à leur nouvelle vie. Tout d'abord, seul Nowak, le contremaître, parle anglais. Quant aux trois ouvriers, ils apparaissent comme des crétins. Maladroits, ils se cognent contre des poteaux dans la rue. Le soir, ils s'enivrent à la vodka. Enfin, leur unique désir est celui d'acheter une montre et ils découvriront avec une fascination béate le silence du mécanisme. Affublés de vieux pulls et bonnets, les ouvriers polonais, sont presque des caricatures de polonais. Nowak, le supérieur, paraît plus malin mais s'avéra être tout autant une victime: il a quitté son pays en laissant son épouse à la merci de son patron...
 
Si Skolimovski moque ses compatriotes, il dénonce également leur rejet par la population anglaise. Dans la rue, le regard des Anglais se fait méfiant et le seul contact des polonais avec la population s'effectue en fait dans le supermarché local où Nowak fait ses courses. La supérette, luttant contre le vol grâce à des caméras de surveillance, apparaît comme une métaphore de l'Angleterre comme un pays-prison où chacun tenterait vainement de tricher face à une autorité réprobatrice. Une employée du supermarché, une cinquantenaire aux cheveux teints et aux tailleurs "flashy", évoque par ses sourires trompeurs la figure d'une Margaret Thatcher... On se demande aussi si Skolimovski n'établit pas en réalité un parallèle avec les pays du bloc de l'Est sous l'emprise du totalitarisme communiste.
 
Satire sociale, Travail au Noir de Skolimovski développe une ironie grinçante. Finalement, tout ce que les polonais ramèneront dans leur pays, ce sont de modestes montres, rien de plus. Leur exploitation n'aura servi à rien et ils rentreront chez eux tout aussi pauvres alors que la Pologne libre de Solidarnosc qu'ils avaient quittée a désormais sombré dans la dictature militaire... Si l'on poursuit l'interprétation politique du film, on peut voir la maison que rénove les polonais, avec ses murs qui s’écroulent, ses canalisations qui fuient et ses fils électriques dénudés, comme une matérialisation de l'effondrement de la démocratie en Pologne.
 
Evoquant en arrière-plan les évènements qui secouent la Pologne de 1982, Skolimovski décide donc d'ancrer son film dans l'actualité. Travail au Noir est d'ailleurs tourné dans un style aux accents documentaires, le cinéaste filmant sans éclat les quartiers populaires de Londres, aux alentours des gares, dans les ruelles composées d'immeubles bas et de briquette rouge. Comme dans Deep End, Skolimovski, loin de son pays, scrute le triste paysage urbain de Londres et se prend d'affection pour des perdants ridicules en perte de repère.
 
10.08.13.