vendredi 11 juillet 2008

Objectif 500 millions (1966) de Pierre Schoendoerffer


        Après le succès de La 317ème Section en 1964, Pierre Schoendoerffer accepte, sous l’influence de son producteur Georges de Beauregard, de réaliser un polar. Produit par Rome-Paris Films, Objectif 500 millions sera en prise avec la réalité des années 60 et comprendra à son générique Marisa Mell, une actrice en vogue jouant dans des coproductions internationales. Mais, si Schoendoerffer remplit le cahier des charges, il ne renonce pas pour autant à ses thèmes favoris. Vrai polar et véritable film de Schoendoerffer, Objectif 500 millions est une œuvre particulièrement intrigante et intéressante.


        Objectif 500 millions est assurément un authentique polar comme le prouve son histoire, typique du genre. Le personnage principal, Jean Reichau, sort à peine de prison qu’il met déjà au point un braquage. Il s’agit de voler un sac postal, transporté par avion de Paris à Bordeaux, contenant cinq cent millions de Francs.
        Film de casse avec une préparation minutieuse, Objectif 500 millions détient donc de nombreuses caractéristiques du film noir : un personnage principal sombre et cynique, des personnages secondaires ambigus et inquiétants, une ambiance nocturne instaurée par un glacial noir et blanc et une musique jazz de Pierre Jansen (qui signait déjà la partition de La 317ème Section). Les scènes du début (un homme astiquant dangereusement son pistolet devant une glace, dans le noir d’une chambre d’hôtel, éclairée par la lumière clignotante d’un néon ; une rencontre dans un garage, virant rapidement à la violence) sont à ce titre particulièrement mystérieuses.
        On retrouve aussi d’autres éléments relatifs au genre, comme le décor d’une salle de boxe ou le ciré porté par Reichau semblable à celui d’Alan Ladd dans Le Tueur à gages (1942) de Frank Tuttle. La fin du film où Reichau se fait abattre de dos alors qu’il tente de s’enfuir en courant vers une plage n’est d’ailleurs pas sans rappeler le tragique final de Quand la ville dort (1950) de John Huston.

        Suivant la mode du renouveau du film noir en France, Objectif 500 millions est donc bien un film de son temps, contrairement aux films antérieurs de Schoendoerffer. En effet, ses trois premiers films, d’après Joseph Kessel ou Pierre Loti, étaient d’un autre monde (spatial ou temporel). Quant à La 317ème Section, le film se rapportait à une guerre finie depuis dix ans lors de sa sortie.
        Objectif 500 millions est en prise avec la réalité de la France des années 60 : Yo, qui fait partie du gang, est une femme top model aux robes artificielles et dont les photos ornent les rues des cités ; on y aperçoit un disque de Bob Dylan (The Times, they are a-changin’) ou une affiche de Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard. Et surtout, on voit sans arrêt à la télévision des images de la guerre du Vietnam.

        Schoendoerffer ne délaisse pas ses principales préoccupations dans Objectif 500 millions. On retrouve en effet son univers avec ses acteurs (Bruno Cremer) et ses thèmes (le soldat perdu). Reichau n’est autre qu’un ancien para qui a été emprisonné pour avoir participé au putsch en Algérie. A sa sortie de prison, il se trouve seul, sans travail, sans argent et cruellement marqué par l'issue d'un combat qu'il n'a pas acceptée. Reichau n’arrive pas à se réadapter normalement, devenant ainsi complètement désespéré et profondément asocial. Il fréquente cependant quelques amis vietnamiens et d’anciens militaires.
        Parmi ces anciens, Douard, qui a servi sous ses ordres, se propose de l'aider. Mais, c’est justement Douard qui a dénoncé Reichau, lequel ne manquera pas de se venger. Comme de nombreux personnages dans l’œuvre de Schoendoerffer, le capitaine Jean Reichau, blessé dans son honneur, ira jusqu’au bout de son triple combat (vengeance, réussite du hold-up et poursuite de l’action de l’OAS). Mais cet engagement ne serait-il pas absurde, mené par la folie ? C’est ce que semble insinuer Jorge Semprún qui signe ici son premier scénario. On s’étonnera d’ailleurs de cette curieuse collaboration entre un réalisateur conservateur et un écrivain d’extrême gauche, connu pour son militantisme communiste.


        Merveilleux polar avec une incroyable épaisseur psychologique, Objectif 500 millions est donc un film très réussi. Ce n’est pas le meilleur film de Schoendoerffer mais il reste un agréable et surprenant petit bijou dans sa filmographie.

11.07.08.