samedi 8 septembre 2012

Gas-s-s-s ! (1971) de Roger Corman

 
            Easy Rider sort en juillet 1969, donnant naissance au Nouvel Hollywood. Roger Corman a fortement contribué à l'avènement de cette génération en lançant la carrière de réalisateurs comme Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Peter Bogdanovich ou encore Monte Hellman ainsi que d'acteurs tel que Jack Nicholson ou Peter Fonda.
            En bon cinéaste d’exploitation, Cormansait épouser les aspirations du public de son époque et dans la deuxième partie des années 60,  produit des films sur et pour les "jeunes". D'un côté, il crée la vogue des films de bikers avec The Wild Angels (1966), qui sera suivi par Devil's Angels (1967) de Daniel Haller, The Glory Stompers (1967) d'Anthony M. Lanza, The Born Losers (1967) de T.C. Frank et Naked Angels (1969) de Bruce D. Clark. De l'autre, Corman "exploite" la scène hippie et psychédélique avec des films comme The Trip (1967) Riot on Sunset Strip (1967) d'Arthur Dreifuss, Wild in the Streets (1968) de Barry Shear, Maryjane (1968) de Maury Dexter ou encore Psych-Out (1968) de Richard Rush. 
            Gas-s-s-s ! fait partie de ce deuxième corpus de films. Dans Wild in the Streets, un sénateur abaisse le droit de vote à 14 ans et une pop star, élue président des États-Unis, crée des camps de concentration où sont enfermés les plus de 35 ans. Dans Gas-s-s-s !, un gaz mortel anéantit la population âgée de plus de 25 ans[1]. L'Amérique devient alors un terrain d'opposition entre hippies et jeunes réacs.
            Partant d'un concept aussi loufoque qu'absurde, Gas-s-s-s ! s'avère une comédie apocalyptique qui parle des peurs de l’Amérique. Le film s'ouvre par un dessin animé : un général dont la voix parodie celle de John Wayne explique comment la course à l’armement nucléaire et chimique a mené à une bavure regrettable… Gas-s-s-s ! plante ensuite sa caméra dans un campus en proie à la contestation étudiante : le héros, armé d’une arbalète, est poursuivi par la police à travers une université. Le film montre une Amérique malade et évoque même une des origines de ce malaise : l’assassinat de Kennedy.
            Au fil des années, le meurtre de Dallas était devenu un élément de la culture populaire, tout spécialement auprès des jeunes. Dans les universités américaines, le film d’Abraham Zapruder fut en effet montré et étudié. Comme Greetings (1968) de Brian DePalama, le film de Corman n’a pas peur de rigoler de ce traumatisme. Tourné au Texas, Gas-s-s-s ! inclut une brève séquence, précédée du bruit de trois coups de feu, où la voiture des héros passe devant le Texas School Book Depository et traverse Dealey Plaza, lieux du crime...
            Le film transpose les conflits de la société américaine dans le microcosme de la jeunesse. Désormais, d’un côté, les conservateurs sont des footballeurs fascistes, arrogants et intolérants. De l’autre, les hippies sont des adolescents immatures, obsédés par le sexe, sur lesquels Corman porte un regard volontiers ironique. Les jeunes survivants du monde nouveau s'amusent comme des enfants en jouant aux cow-boys et aux indiens.
Le féminisme, la religion, les programmes d’assurance maladie, le radicalisme des black panthers, le réactionnaire des Hell’s Angels, la nécessité des jeunes de se fier à des oracles, l’amour de la musique pop sont quelques unes des cibles du fiel de Corman  Le ton bouffon du film fleure bon le cartoon ravageur, façon Robert Crumb. D’ailleurs, les affrontements prennent la forme de duels verbaux (dans le cimetière de voitures), de course-poursuites burlesques et absurdes (avec les footballeurs ou les Hell’s Angels, où les balles de golf tiennent lieu de bombes). Le film s’achève d’ailleurs par une joyeuse réconciliation des hippies et de leurs adversaires.
            Gas-s-s-s ! apparaît comme une caricature de film sixties où l'on veut voir le trio gagnant: sexe, drogue et rock'n'roll. En plus d'une bo électrique (signée par Country Joe and The Fish), le film réutilise la syntaxe duroad movie (les héros se dirigent vers une communauté idyllique) et ose même reprendre l'effet de montage transitionnel d'Easy Rider (trois plans de la séquence prochaine interrompent la fin de la précédente) Le film propose une esthétique volontiers pop, comme en témoigne la séquence d’amour durant un concert, marquée par des effets visuels psychédéliques. Parmi les jeunes errant de Gas-s-s-s !, on trouve Bud Cort, le suicidaire Harold du film d'Ashby, ainsi que Talia Shire, la jeune sœur de Francis Ford Coppola.         
Déjanté,  Gas-s-s-s ! Voit Corman faire preuve d’un humour inattendu et adresse même un clin à son propre cinéma en introduisant, en guise de narrateur, un Edgar Allan Poe à moto accompagné d’un corbeau…
24.08.2012.


[1] La fiction apocalyptique basée sur la mort des adultes sera reprise dans L'Age de Cristal (1976) de Michael Anderson et dans la série tv Jeremiah (2002-2004).