samedi 8 septembre 2012

Hanyo / La Servante (1960) de Kim-Ki Young



            Depuis le début des années 2000, le cinéma coréen rencontre un certain succès auprès du public occidental avec une nouvelle vague de réalisateurs tel que Park Chan-Wook (Sympathy for Mister Vengeance, Old Boy), Bong Joon-Ho (The Host, Mother), Kim Jee-Woon (A bittersweet life, Le bon, la brute et le cinglé ou encore J'ai rencontré le diable). L'œuvre révérée par de nombreux auteurs coréens contemporains est La Servante de Kim Ki-Young. Preuve de son influence, il a fait l'objet d'un remake en 2010 par Iam Sang-Soo (The President's last bang). Récemment restauré par la Martin Scorsese Foundation, La Servante ressort sous nos écrans. Voilà l'occasion de découvrir le film de Kim Ki-Young, souvent considéré comme l'un des meilleurs films du cinéma coréen, comme un film fondateur. 

            Le départ du scénario de La Servante est le suivant: suite à un déménagement dans une maison plus grande, un professeur de musique fait appel à une domestique pour s'occuper de ses deux enfants et soulager son épouse enceinte. Mais l'initiative tourne au cauchemar: la servante, introduite dans le quotidien d'une famille apparemment structurée, y introduit la discorde.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, La Servante n’apparait pas très étranger au spectateur occidental, le film empruntant beaucoup des codes du film d'horreur gothique. La Servante se déroule presqu'entièrement dans la demeure familiale, sorte de modernisation du manoir maléfique, rongé par des rats qui symbolisent la gangrène, la pourriture qui gagnent la petite société bourgeoise.
De même, les apparitions de la servante sont ainsi très fantomatiques: la nuit, elle surgit brusquement de dehors, du balcon inondé par de violentes averses. La servante semble de plus une pure incarnation du mal dont les motivations véritables sont tues : elle désire le maître, et semble bien décidée à détruire cet univers dans lequel elle a réussi à pénétrer et pour lequel elle qui est issue des classes populaires, éprouve un mélange d’attirance et de répulsion.  

            La Servante mobilise ces archétypes du cinéma gothique au service d’une charge féroce contre la société coréenne. L'achat du nouvel appartement, plus grand, entraine le recrutement d’une servante, un évènement déclencheur qui va mener à la déchéance de la famille: c'est bien le consumérisme, la cupidité de la classe bourgeoise, ainsi que le recours à un servage moderne, qui vont sceller leur perte.
            Apparemment heureuse et sans problème, la famille bourgeoise que nous montre Ki-Young est en réalité fissurée. Le maître, professeur de musique, nous est présenté dans les premières scènes comme un être d’une grande dignité morale : il repousse les avances d’une de ses élèves. Mais, plus tard, il succombera à la tentation de l'adultère quand la servante se jette dans ses bras et il la met enceinte.
La maitresse de maison, elle, est prête à accepter toutes les compromissions pour éviter que le scandale de cette liaison n’éclate et que son mari soit licencié : elle laisse son mari à la servante, elle la soigne et la sert. Elle finira même par taire l’assassinat de son fils. Monstrueuse, elle n’hésitera pas à essayer d’assassiner la servante. Les enfants du couple sont eux aussi révélateurs de la névrose bourgeoise: le fils est une véritable petite peste alors que la jeune fille est handicapée, signe d’une société incomplète, imparfaite.  

La Servante, on le voit, met en scène des situations particulièrement choquantes et parle de façon très explicite de sexe. Durant près de deux heures, les pires crimes sont commis, chacun des habitants cherchant à éliminer les autres. La Servante sombre crescendo dans le désespoir et l'autodestruction: l'accumulation de péripéties frise parfois le grotesque. Le film se clôt par le double suicide du mari et de la servante.  Cette outrance trouve en fait une explication logique, propre à faire ressortir la morale du film et révélée dans une séquence finale malicieuse, qu’il convient de ne pas révéler dans cette analyse…
            Le critique Jean-Michel Frodon a comparé à La Servante, centré sur la dialectique du maitre et de l’esclave, au cinéma de Buñuel. Du réalisateur de Belle de Jour, on retrouve également la rationalisation finale de ce qui nous a été montré, présenté comme un rêve. Cependant, le sadisme du film de Ki-Young fait plutôt penser à The Servant de Joseph Losey, qui sortira trois ans après: le film joue également sur le renversement des situations et voit le personnage du domestique esclavager ceux qu'il servait. De même que Le Salon de Musique préfigurait Le Guépard de Visconti, La Servante, par son rapport avec Buñuel et Losey, illustre l’universalité des sujets et des concepts.

 

22.08.2012.