jeudi 1 novembre 2012

L'Ennemi intime (2007) de Florent-Emilio Siri

 
            Un an après la sortie en 2006 de La Trahison de Philippe Faucon et de Mon Colonel de Laurent Herbiet, L'Ennemi intime projette sur l'écran les horreurs longtemps tabou de la guerre d'Algérie. Combinant les influences de Schoendoerffer et de Spielberg, Florent-Emilio Siri signe une œuvre où le film de guerre à l'américaine l'emporte sur la remise en perspective historique ou politique.
 
            Centré sur le quotidien d'une patrouille française faisant la chasse aux rebelles dans les montagnes, L'Ennemi intime fait penser à La 317ème Section (1965) de Pierre Schoendoerffer qui se déroulait lors d'une autre guerre coloniale, l'Indochine. Comme le film de Schoendoerffer, le film de Siri se focalise sur l'amitié entre un jeune officier idéaliste et un vieux sergent, bourru et désenchanté. Terrien, le nom du lieutenant interprété par Benoit Magimel, n'est d'ailleurs pas éloigné de celui du personnage incarné par Jacques Perrin, un certain Torrens. La guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie sont connexes dans notre imaginaire: le sergent joué par Albert Dupontel a servi en "Indo"; Schoendoerffer a lui même évoqué l'Algérie dans un autre film (L'Honneur d'un Capitaine).
            Florent-Emilio Siri s'inspire surtout du film de guerre à l'américaine, façon Il faut sauver le Soldat Ryan de Spielberg. Lyrique et violent, L'Ennemi intime est servi par une mise en scène énergique et grandiose (plans en hélicoptères), un montage nerveux. Le film n'a pas peur du grand spectacle, des paysages imposants et d'une musique vibrante. L'action est très présente même si le film n'occulte pas l'aspect politique.
 
            D'un point de vue historique, le scénario de Patrick Rotman[1] commence subtilement en exposant la complexité de la représentation de la guerre d'Algérie et la multiplication des points de vue sur ce traumatisme national: les motivations des soldats français et celles des indépendantistes, les moyens utilisés, la comparaison avec les autres colonies françaises... Le film donne la parole à un membre du FLN mais propose également la vision d'un soldat algérien engagé dans l'armée française, dénonçant ainsi une guerre fratricide.
            Par la suite, le trait devient plus grossier: le jeune officier idéaliste perd son innocence et finit par adhérer au cynisme de son second. L'ennemi des militaires français n'est pas forcément le fellagha mais est en eux: les soldats sont rongés par la culpabilité et le personnage du sergent se soumet lui-même à la torture. Mais "le titre renvoie [aussi] au fait que l'adversaire est français puisque, à cette époque, l'Algérie, c'est la France" précise Rotman.
            La conclusion de L'Ennemi intime est la présentation de la guerre d'Algérie comme un Vietnam français. Le film dénonce une guerre perdue d'avance où des gens sont morts pour rien et où les combattants sont condamnés à l'horreur et à la folie. Il évoque une sale guerre où la torture était une méthode fréquente. Le rappel de l'utilisation du napalm en Algérie vient finalement clouer la comparaison avec le Vietnam. L'Ennemi intime est donc le passage du vide, du point aveugle du cinéma français à une vision déjà constituée, calquée sur le cinéma américain.
            Le film de Siri généralise (tout le monde n'a pas torturé en Algérie) et systématise. Mais tout n'est pas aussi simple: d'autres solutions que l'indépendance pouvaient être envisagées (et l'ont été).  Au contraire, L'Ennemi intime préfère développer l'action plutôt que de poser des questions pertinentes sur le plan historico-politique où il apporte des réponses toutes faites.
            L'Ennemi intime suit la même logique qu'Indigènes (2006) de Rachid Bouchareb, celle visant à un mea culpa de la France pour son passé colonial. C'est ce que l'essayiste Pascal Bruckner a appelé "le sanglot de l'homme blanc".
 
22.09.2012.
 
 
 


[1] Patrick Rotman a cosigné le scénario de La Guerre sans nom (1992) de Bertrand Tavernier, un documentaire sur les appelés en Algérie. Rotman a également réalisé en 2002 un documentaire sur la Guerre d'Algérie intitulé L'ennemi intime et qui a donné son titre au film de Siri.