lundi 22 août 2011

Boxcar Bertha / Bertha Boxcar (1972) de Martin Scorsese


         Après Who’ s That Koncking at my Door (1967), film indépendant, Martin Scorsese signe avec Bertha Boxcar son premier film commercial. Bertha Boxcar s’inscrit dans la série de films de gangsters produite par Roger Corman [1] suite au succès de Bonnie & Clyde (1967) d’Arthur Penn. Comme ses acolytes de l’écurie « Corman » (Francis Ford Coppola, Peter Bogdanovich, Monte Hellman…), Scorsese apprend à tourner vite (en 24 jours) et économiquement (budget de 600 000 $).
         Cependant, il ne s’agit pas d’un simple film d’exploitation fauché. Certes, la violence est de rigueur et Bertha Boxcar accuse quelques scènes de sexe osées, sensées appâter le spectateur masculin. Cependant, comme souvent chez Corman, Bertha Boxcar s’avère très soigné du point de vue des décors, de la photographie ou de la musique. Surtout, Bertha Boxcar est l’une des rares œuvres politisées de la filmographie de Scorsese, marquée une fois de plus par l’obsession de la religion catholique.

         Bertha « Boxcar » Thompson et « Big » Bill Shelly sont des criminels malgré eux : Bertha a tué pour venger son père alors que Bill, syndicaliste convaincu, est recherché pour incitation à la grève. Véritables Robin des Bois, ils attaquent trains et banques, dérobant l’argent des capitalistes pour donner aux pauvres. Comme Butch Cassidy et le Kid, ce ne sont pas des vrais gangsters. Le sourire moqueur toujours aux lèvres, ils n’ont pas l’air dangereux et leur jeu semble innocent : les rares meurtres seront d’ordre accidentel. Le couple de Bertha et Bill, apparaît donc comme une icône contestataire et libertaire.
         Adapté d’une autobiographie fictive [2], Bertha Boxcar n’est donc pas pour autant un film de gangsters à prétention historique comme Saint Valentine’s Day Massacre ou Capone. Il faut plutôt comparer cette histoire de couple fugitif et rebelle dans le Sud de l’Amérique en pleine Dépression au Bonnie & Clyde (1967) d’Arthur Penn ou à Nous sommes tous des voleurs (1974) de Robert Altman. Cependant, Bertha et Bill transpirent une réelle colère politique alors que Bonnie et Clyde ne sont que des adolescents attardés, des « rebels without a cause ». Bertha Boxcar, dans sa dimension politique, semble en fait plus proche du film d’Altman dans lequel Keechie et Bowie sont des victimes d’une société de consommation dont l’accès aux biens qu’ils convoitent sera accéléré par le crime en sautant la case « travail ».
         Bertha Boxcar semble revendiquer par son générique avec les personnages du film présentés dans des médaillons en noir et blanc, une filiation avec les films de la Warner des années 30. Cependant, le caractère social qui prévalait lors de l’âge d’or du film de gangsters a ici évolué vers un enjeu politique plus palpable. La bande de Bertha, très composite, révèle pourtant les ambigüités politiques du groupe. Certes, la revanche d’un noir, victime récurrente du racisme dans le Sud profond, alimente le sentiment de révolte de la bande. Néanmoins, un autre membre n’est autre qu’un joueur, un peu égaré dans la lutte politique. Bertha, elle, suit Bill plus par amour que par conviction. Quant à ce dernier, il se révèle assez complexé par son étiquette de « criminel ».
         A la fin du film, Bill, recherché par toutes les polices du pays et reclus dans une petite cabane en bois, écrit ses pensées sur une table dans un intérieur simple et rural. Avec ses petites lunettes rondes, il nous fait penser à Trotski, Scorsese ressuscitant alors l’iconographie révolutionnaire. Quand Bill est crucifié sur un wagon d’un train de la grande compagnie de chemin de fer, l’icône politique bascule dans le martyre religieux.
         Ce glissement nous fait penser à ce mythe gauchiste du Christ travailleur que l’on connait par des chansons du répertoire folk comme « Jesus was a Carpenter » de Johnny Cash, « Ballad of a Carpenter » d’Ewan MacColl, ou encore « Joe Hill » de Phil Ochs. Ce motif religieux permet à Scorsese de nous faire part une fois de plus de ses hantises. Ce final est d’autant plus scorsesien qu’il se caractérise par une explosion de violence avec un usage abondant de l’hémoglobine.

         Bertha Boxcar est donc intéressant à plus d’un titre : il illustre parfaitement la rencontre entre un genre (le film de gangster) et un style (un film d’exploitation trash produit par Corman), entre le mouvement d’une époque (l’élan contestataire et le pessimisme) et les préoccupations d’un auteur (le catholicisme et ses symboles).


[1] Saint Valentine’s Day Massacre / L’Affaire Al Capone (1967) et Bloody Mama (1970), réalisés par Roger Corman lui-même ; A Bullet For Pretty Boy (1970) de Larry Buchanan et Dillinger (1973) de John Milius, produits par AIP (American International Pictures); Big Bad Mama / Super Nanas (1974) et Capone (1975) de Steve Carter, The Lady in Red / Du rouge pour un truand (1979) de Lewis Teague, produits par New World Pictures ; et, bien plus tard Dillinger and Capone (1991) de Jon Purdy.
[2] Bertha Boxcar est l’adaptation de Sister of the Road : The Autobiography of Boxcar Bertha, autobiographie fictive écrite par Ben Reitman en 1937. Reitman y a romancé sa liaison dans les années 10 avec Emma Goldman, anarchiste et communiste d’origine russe. Tous deux luttèrent pour la liberté d’expression et pour l’avancée des droits des ouvriers.