samedi 20 août 2011

Ça n’arrive qu’aux autres (1971) de Nadine Trintignant



         D’abord monteuse [1], Nadine Trintignant [2] est l’une des rares réalisatrices françaises avec Agnès Varda. Ça n’arrive qu’aux autres est son troisième film après Mon Amour, mon Amour (1967) et Le voleur de Crimes (1969), qui mettaient tous deux en scène son mari Jean-Louis. Le couple Trintignant a eu trois enfants : Marie Trintignant (née en 1962 ; actrice dont on connait la triste fin), Pauline (née en 1969) et Vincent Trintignant (né en 1973 ; assistant réalisateur, acteur et scénariste, il a lui aussi un pied dans le monde du cinéma).
         La mort accidentelle brutale de Pauline en 1970 (à l'âge de 9 mois) plonge le couple Trintignant dans la douleur. Cet épisode tragique est le sujet de Ça n'arrive qu'aux autres, film exutoire s’il en est. Jean-Louis Trintignant devait initialement jouer son propre rôle auprès de Catherine Deneuve. Il refusa finalement le rôle, qui échut à Marcello Mastroianni [3]. Mais Ça n'arrive qu'aux autres demeure une œuvre très personnelle qui touche profondément le spectateur.

         A première vue, il paraît assez facile d’émouvoir le public avec la mort d’un enfant, décès nécessairement injuste compte tenu de l’innocence de sa victime. Pourtant, peu de films parviennent à évoquer la douleur sans sombrer dans le cliché ou susciter le rire protecteur du spectateur. De toute façon, comme le rappelle la très belle chanson-titre du film, signée par Michel Polnareff [4], on s’imagine que ces malheurs de la vie, ça n’arrive qu’aux autres. Sauf qu’un jour il peut être le nôtre. « Un oiseau de plus/ un oiseau de moins/ Tu sais la différence, c’est le chagrin ». Et cette différence justifie un film.
         Ça n'arrive qu'aux autres, contrairement à Rabbit Hole de John Cameron Mitchell, vu récemment sur nos écrans [5], n’entend pas apporter des remèdes à la souffrance : Nadine Trintignant filme la peine à l’état pur. La course aux urgences, rythmée par la stridence maladive de l’air « In C » de Terry Riley, fait vivre la graduelle montée de l’angoisse. Suit une scène insoutenable où Catherine Deneuve apprend par les médecins de la mort officielle de son bébé. Chacun des cris étouffés de la mère est comme un coup de couteau dans le cœur et on ressent la paralysie d’un estomac tordu de douleur.
         La chagrin est d’autant plus fort qu’il touche un couple magnifique : en effet, Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni semblent paradoxalement ne jamais avoir été aussi beau que dans ce film. S’enfermant dans leur appartement, ils vont progressivement reprendre goût à la vie grâce à leur amour. Et par comparaison avec les scènes difficiles, les scènes où le bonheur s’esquisse dans un sourire ou un geste de tendresse, émeuvent. Lorsque le couple décide de sortir de son isolement, le calme renaît même si les cicatrices restent. Le temps n’a rien changé : ce sont les personnages qui ont eux évolué.

         Bouleversant, Ça n’arrive qu’aux autres frappe par sa sincérité et sa justesse. Récit d’une reconstruction, il parvient à concilier la noirceur avec l’espoir.



[1] Elle a signé entre autres le montage de L’Eau à la Bouche (1960) et du Cœur battant (1961) de Jacques Doiniol-Valcroze, celui de Léon Morin, prêtre (1961) de Jean-Pierre Melville ou encore celui du Petit Soldat (1963) de Jean-Luc Godard.
[2] Nadine Marquand (de son nom de jeune fille) est également le sœur de Serge (acteur) et de Christian (acteur et réalisateur entre autres de Candy en 1968).
[3] C’est après le tournage pourtant éprouvant de Ça n’arrive qu’aux autres que Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni se sont mis ensemble. Un an après, leur fille Chiara naissait. Ça n’arrive qu’aux autres est le premier film dans lequel est réuni le couple. Suivront Liza (1971) et Touche pas à la Femme Blanche (1973), tous deux de Marco Ferreri ainsi que L'Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune (1973) de Jacques Demy.
[4] Il s’agit de l’une des rares BO de Polnareff avec celle de La Folie des Grandeurs (1971, réalisé par Gérard Oury), celle de Viol et Châtiment (Lipstick, réalisé en 1976 par Lamont Johnson, est un thriller interprété par les deux filles d’Ernest Hemingway) et celle de La Vengeance du Serpent à plumes (1984, également réalisé par Gérard Oury).
[5] Sur le même sujet (la mort d’un enfant), on peut également évoquer La Chambre du fils (2001) de Nanni Moretti. La Guerre est déclarée (2011) de Valérie Donzelli raconte lui le combat d'un couple contre le cancer qui menace la survie de leur bébé.