mercredi 14 septembre 2011

Habemus Papam (2011) de Nanni Moretti



         Quand le cinéma représente le pape, il privilégie l’approche historique (par exemple Pie XII dans Amen de Costa Gavras) ou biographique (on pense aux nombreux films sur Jean-Paul II). Marchant sur les pas des Souliers de Saint Pierre (1968) de Michael Anderson, Nanni Moretti ose avec Habemus Papam mettre en scène un pape fictif. Le point de départ intrigue : lorsque le cardinal Melville (interprété par Michel Piccoli) est élu pape, celui-ci se révèle incapable de faire face à ses nouvelles responsabilités. Refusant de se présenter à ses fidèles, il va se réfugier dans ses appartements.
         Avec sa forme inhabituelle qui mélange la comédie et le drame, le burlesque et le vérisme, Habemus Papam déconcerte aussi par son message politique. En effet, sans adopter une vision clairement anticléricale, Moretti semble hésiter à se moquer l’Eglise. Pour le réalisateur, Habemus Papam serait en fait moins un film sur le Vatican en particulier que, plus généralement, un film sur l’engagement personnel et le droit de chacun de pouvoir dire « non ».


         Habemus Papam s’inscrit dans une actualité récente. A la mort de Jean-Paul II (exposée par des images d’archive), toutes les caméras de la place Saint Pierre sont braquées sur le conclave, réuni pour choisir le nouveau chef spirituel de l’Eglise. L’élection du cardinal Melville, filmée dans une chapelle Sixtine reconstituée en studios, s’apparente à une parfaite uchronie, soit une histoire alternative permise par l’annulation rétroactive d’un événement réel du passé (l’élection de Benoit XVI).
         Révélant une Eglise catholique en crise qui peine à trouver un leader, cette modification de l’Histoire alarme. Par la simple peinture d’ecclésiastiques partagés entre leur désir d’ambition et leur sentiment de peur, Habemus Papam souligne l’absurdité des règles du conclave, institution vétuste qui élierait un guide (Dieu s’exprimerait à travers les hommes) de façon aléatoire (il n’y a pas de candidature !).
         En inventant une situation critique (un pape défaillant), Moretti s’amuse à tourner en dérision l’Eglise. Il nous montre des cardinaux séniles (buvant péniblement du thé) et dénonce la gourmandise, l’orgueil ou l’insouciance des autres. Dans une scène aux accents surréalistes, un match de volley-ball entre cardinaux sera organisé pour les distraire de l’attente du rétablissement du pape. L’ombre de Buñuel n’est jamais loin mais le regard de Moretti est attentionné, amusé, plus que réellement critique et railleur.
         Dans Habemus Papam, le Vatican est perçu comme un théâtre artificiel, un spectacle d’ombres chinoises. Les gardes suisses perpétuent des rites démodés d’adoubement et font office de soldats dérisoires d’un palais fantoche. Au sommet du pouvoir, une silhouette à une fenêtre suffit à rassurer le clergé. S’il faut un pantin, le cardinal Melville [1] se remémore son rêve d’adolescent : devenir comédien. Simulacre d’un lien entre le réel et le spirituel, l’Eglise s’avère hors de son temps : dans une séquence révélatrice, le pape, assis dans un bus, parle à voix haute. Il ressemble à une personne âgée qui n’a plus toute sa tête. A côté, un jeune italien se fait larguer au téléphone : il existe un net fossé d’incompréhension entre ces deux mondes complètement séparés.

         Cependant, la crise du pape est moins une crise collective qu’une crise personnelle. Etre pape, c’est en effet un rôle à tenir et Melville, malgré son amour du théâtre, ne veut pas le jouer. L’évasion du pape, déjà présente dans Les Souliers de Saint Pierre, aboutissait dans le film d’Anderson à une humanisation de la « sainte » personne du pape et à une proclamation papale révolutionnaire (le pape s’engageait à concéder les biens de l’Eglise pour lutter contre la pauvreté dans le monde). Dans Habemus Papam, il n’en est rien : le pape Melville a beau se faire psychanalyser, on ne comprendra pas à un seul moment sa dépression. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la psychanalyse ne joue donc qu’un rôle comique et anecdotique dans le film.
         Finalement retrouvé par les cardinaux, le pape décide de se présenter aux fidèles. Du haut du balcon de la place Sainte Pierre, il avoue qu’il ne se sent pas capable d’assumer sa lourde tache. Moretti détourne alors son récit : à la grande surprise du spectateur, Habemus Papam ne sera pas l’histoire d’une prise de conscience du monde mais l’affirmation audacieuse du droit de chacun de déclarer son incompétence, surtout si cela permet d’éviter un désastre pour la communauté.


         Film sur le doute et la peur de ne pas être à la hauteur, Habemus Papam dérange le spectateur. Il trouble d’autant plus que, malgré lui, il se perd souvent dans son message (la psychanalyse, l’amour du pape pour le théâtre, l’absence d’explication de la crise du personnage). Même la narration semble donc être touchée par le chaos, sentiment omniprésent dans cette œuvre, légère en apparence, mais grave en réalité.

14.09.11.


[1] Ce nom n’est pas innocent : Jean-Pierre Melville, après tout, fut un des papes de la Nouvelle Vague